vendredi 30 août 2013

Marion Sigaut sur la Révolution

                                                   

Concernant le supposé amour du peuple pour son roi-protecteur, je ne peux m'empêcher de rapporter cet extrait de Maladie et mort de Louis XV (1866), dans lequel Georges d'Heilly raconte les dernières heures du monarque, puis le transfert de son corps à la basilique St-Denis...
                      
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Le vendredi 6, à six heures du matin, le roi reçut la communion des mains du cardinal, en présence de la Cour et de ceux des membres de la famille royale qui n'avaient rien à redouter ou ne voulaient rien redouter de la maladie. Quand il eut communié, Louis XV prit dans ses mains la main de sa fille Louise, qui était arrivée récemment de son couvent, et le cardinal, se tournant vers l'assistance, prononça très haut la formule de repentir concertée entre l'archevêque, les évêques et le confesseur:

« Quoique le roi ne doive compte de sa conduite qu'à Dieu seul, il déclare qu'il se repent d'avoir causé du scandale à ses sujets, et qu'il ne désire vivre encore que pour le soutien de la religion et pour le bonheur de son peuple. »

Sur quoi, le maréchal de Richelieu, d'une voix assez haute pour être entendue de tout le monde, gratifia le cardinal de l'épithète de jean f....

Dès cet instant, les intrigues cessèrent; on ne pouvait plus rien attendre, selon les intérêts des uns et des autres, que de la mort ou du rétablissement du Roi, dont, d'ailleurs, l'état empirait d'heure en heure. On se parlait à l'oreille de pourpre et de gangrène, et le corps du monarque s'en allait littéralement en lambeaux. L'infection dans sa chambre était affreuse ; un valet mourut asphyxié, et plusieurs personnes se trouvèrent mal. D'autres gagnèrent la maladie, et les princesses filles du roi en furent les premières atteintes. La journée du lundi 9 mai fut horrible ; Louis XV la passa tout entière dans le délire le plus ardent; il voyait devant lui les flammes vengeresses de l'enfer; il appelait tour à tour Dieu et son confesseur; il rejeta plusieurs fois de son lit ses draps et ses couvertures, et, demandant de l'eau bénite, il s'en jetait partout le corps. On voyait alors à travers la chair crevassée les os de ses cuisses, et l'on se demandait, si la maladie n'emportait le malade au plus vite, qui pourrait jamais le soigner plus longtemps.

La nuit fut plus calme, mais le mardi 10 mai l'agonie commença, aussi terrible que la veille. Vers une heure, cependant, le roi cessa de crier : il s'affaissa, respira plus lentement; ses mains purulentes s'étendirent et se raidirent; ses yeux restèrent fixes et sans mouvement; à deux heures, il était mort.

Aussitôt tout le monde s'enfuit, à l'exception de ceux que les devoirs de leurs charges retenaient absolument au palais. On se dépêcha d'entourer le corps du roi de grands linges aromatisés, et on l'enferma dans deux cercueils de plomb, remplis de son, mais sans pouvoir songer à l'embaumer. Une chapelle ardente fut édifiée à la hâte, et quelques prêtres y prièrent et y gardèrent cette royale pourriture jusqu'au jeudi soir 12 mai.

Ce soir-là, à huit heures, on mit le cercueil du roi dans un carrosse ; deux autres voitures contenant les ducs d'Ayen et d'Aumont, le cardinal grand aumônier et le curé de Versailles, suivirent le convoi. Le cortège était fermé par une vingtaine de pages et une cinquantaine de palefreniers à cheval, portant des torches. On avait été si pressé de tout terminer, qu'on n'avait pas eu le temps de draper les équipages, ni de faire prendre le deuil à la livrée. Une foule immense bordait le chemin, et le funèbre convoi y passa au grand trot, au milieu des brocards et des plaisanteries de tout ce peuple, unanime à flétrir la mémoire du feu roi.

On arriva à onze heures à la basilique royale de Saint-Denis, où un très court service fut dit pour le repos de l'âme de Louis XV. Puis le cercueil fut descendu dans le caveau provisoire, où chaque roi mort attendait son successeur, pour prendre alors sa place définitive au milieu des princes ses ancêtres. Paris accueillit la mort de son roi avec une joie que personne ne prit la peine de dissimuler. On publia sur la fin du monarque force vers, pamphlets et chansons.

Une longue complainte courut bien vite les carrefours; on y énumérait les vices, l'indifférence et les honteuses passions de l'amant couronné de la Dubarry. Cette pièce se terminait par les quatre vers suivants:

Ami des propos libertins,

Buveur fameux, et roi célèbre

Par la chasse et par les catins:

Voilà ton oraison funèbre!



On composa même son épitaphe:

La V.... par un bienfait A mis enfin Louis XV en terre! En dix jours la petite a fait, Ce que pendant vingt ans la grosse n'a pu faire !...



Enfin, comme on plaisantait le curé de Sainte-Geneviève sur l'inefficacité des prières dites en présence de la châsse de la sainte patronne de Paris pour le rétablissement du roi:

« De quoi vous plaignez-vous donc, messieurs? répondit le malin curé; Dieu ne vous a-t-il pas écoutés, puisqu'il vous en a débarrassés? »

Le caveau de Saint-Denis ne devait pas être la dernière demeure de Louis XV. Nous redirons ici, comme conclusion, ce que nous avons publié dans une précédente relation sur l'état des tombeaux de Saint-Denis lors de la profanation de 1793:

Le mercredi 16 octobre, à onze heures du matin, on sortit de son caveau provisoire le cercueil de Louis XV. On ne l'ouvrit que dans le cimetière, sur le bord de la fosse. Le corps, bien enveloppé de linges et de bandelettes, paraissait tout entier et bien conservé; mais, dégagé de tout ce qui l'entourait, il tomba aussitôt en putréfaction, et il en sortit une odeur si infecte, qu'il ne fut pas possible de rester présent: on brûla de la poudre, on tira plusieurs coups de fusil pour purifier l'air, et on jeta bien vite dans la fosse commune ces tristes restes, sur un lit de chaux vive.

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