samedi 21 septembre 2013

Les Badinter relus par Marion Sigaut

 

Une relecture intéressante du Condorcet d'Elisabeth et Robert Badinter. Vous trouverez ci-dessous un extrait de la diatribe écrite par Voltaire, que Marion Sigaut mentionne au cours de son intervention.


(...) Quand nous approchâmes de Pontoise, nous fûmes tout étonnés de voir environ dix à quinze mille paysans qui couraient comme des fous en hurlant, et qui criaient : Les blés, les marchés ! les marchés, les blés ! Nous remarquâmes qu'ils s'arrêtaient à chaque moulin, qu'ils le démolissaient en un moment, et qu'ils jetaient blé, farine et son dans la rivière. J'entendis un petit prêtre qui, avec une voix de Stentor, leur disait : Saccageons tout, mes amis, Dieu le veut ; détruisons toutes les farines, pour avoir de quoi manger.
.le m'approchai de cet homme; je lui dis : Monsieur, vous me paraissez échauffé, voudriez-vous me faire l'honneur de vous rafraîchir dans ma charrette ?j'ai de bon vin
Il ne se fit pas prier. Mes amis, dit-il, je suis habitué de paroisse. Quelques uns de mes confrères et moi nous conduisons ce cher peuple. Nous avons reçu de l'argent pour cette bonne œuvre (1). Nous jetons tout le blé qui nous tombe sous la main, de peur de la disette. Nous allons égorger dans Paris tous les boulangers pour le maintien des lois fondamentales du royaume. Voulez-vous être de la partie?
Nous le remerciâmes cordialement, et nous prîmes un autre chemin dans notre charrette pour aller voir le roi.
En passant par Paris nous fûmes témoins de toutes les horreurs que commit cette horde de vengeurs des lois fondamentales. Ils étaient tous ivres, et criaient d'ailleurs qu'ils mouraient de faim. Nous vîmes à Versailles passer le roi et la famille royale. C'est un grand plaisir; mais nous ne pûmes avoir la consolation d'envisager l'auteur de notre cher édit du 13 septembre. Le gardien de sa porte m'empêcha d'entrer. Je crois que c'est un suisse. Je me serais battu contre lui si je m'étais senti le plus fort. Un gros homme qui portait des papiers me dit : Allez, retournez chez vous avec confiance, votre homme ne peut vous voir; il a la goutte, il ne reçoit pas même son médecin, et il travaille pour vous.
Nous partîmes donc mon compagnon et moi, et nous revînmes cultiver nos champs; ce qui est, à notre avis, la seule manière de prévenir la famine.
Nous retrouvâmes sur notre route quelques uns de ces automates grossiers à qui on avait persuadé de piller Pontoise, Chantilli, Corbeil, Versailles, et même Paris. Je m'adressai à un homme de la troupe, qui me paraissait repentant. Je lui demandai quel démon les avait conduits à cette horrible extravagance. — Hélas ! monsieur, je ne puis répondre que de mon village. Le pain y manquait : les capucins étaient venus nous demander la moitié de notre nourriture au nom de Dieu. Le lendemain les récollets étaient venus prendre l'autre moitié. « Hé, mes amis, leur dis-je, forcez ces messieurs à labourer la terre avec vous, et il n'y aura plus de disette en France

1) II est très vrai que, dans les émeutes de 1775, les séditieux avaient plus d'argent que les hommes de leur état n'en ont ordinairemcnt; qu'ils étaient plus occupés de détruire les subsistances, on de voler, que de se procurer un morceau «le pain; qu'on employa pour les ameuter des lettres, de faux arrêts du conseil, etc. Des prêtres s'en mêlèrent très peu ; quelques uns même furent très utiles, et la religion n'y entra pour rien.

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