lundi 21 octobre 2013

Olympe de Gouges démystifiée par Florence Gauthier




Elle a publié son texte le plus intéressant, Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, en septembre 1791, au moment où l’Assemblée constituante achevait le vote de la Constitution censitaire de 1791. Ce texte met au féminin celui de la Déclaration de 1789 d’une façon remarquable, en l’encadrant par un préambule et un postambule, dans lesquels elle expose, avec force et clarté, ses revendications d’égalité en droits entre les deux sexes et les propositions qui lui tiennent à cœur. On notera toutefois, qu’elle se satisfait du système censitaire, qui excluait non seulement les femmes pour cause de sexe, mais aussi les pauvres, et qu’elle ne remet aucunement en cause cette seconde exclusion. Or, il est difficile de penser, qu’à cette date de septembre 1791, elle n’ait pas clairement saisi de quoi était faite cette exclusion par le cens électoral, étant donné les nombreux débats et luttes que le mouvement populaire avait développés depuis plus de deux ans. Mais, a-t-elle modifié son point de vue par la suite ? Non, elle maintint son choix politique en faveur d’une monarchie et d’une aristocratie censitaire. Voyons de plus près.
l'historienne Florence Gauthier
 
 
Liberté illimitée du commerce et loi martiale
 
Le 3 mars 1792, le maire d’Étampes, Simonneau, qui défendait la politique de liberté illimitée du commerce des grains, fut tué dans une révolte populaire, au moment même où il décrétait la loi martiale. Cette politique, poursuivie par l’Assemblée législative, autorisait la spéculation à la hausse des prix des subsistances, à commencer par celui du pain, et menaçait les bas salariés de famine. Des « troubles de subsistances », comme on les appelait, s’étaient développés dans tout le pays et l’Assemblée législative, qui gouvernait, n’hésita pas à décréter la loi martiale, une loi de guerre civile, qui faisait intervenir la force armée pour tirer sur les « séditieux ». Le maire Simonneau se trouvait partie prenante de cette politique à un moment où les troubles de subsistances s’étendaient d’une façon inouïe dans le Bassin parisien et contribuèrent à la Révolution du 10 août suivant.
Le gouvernement chercha à imposer « le respect de la loi » en organisant une fête en l’honneur de Simonneau, promu « héros » de la liberté illimitée du commerce.
Lors des préparatifs de cette fête, Olympe de Gouges s’occupa très activement de la participation des femmes et demanda à la reine son concours pour financer les costumes du « cortège des Dames françaises », qui devait rendre hommage à la liberté du commerce et à son moyen d’application, la loi martiale. Olympe écrivit des pétitions à la Commune de Paris et à l’Assemblée législative à ce sujet, dont on peut lire l’extrait suivant : « Les femmes, à la tête du cortège national, confondront les partis destructeurs et les factieux frémiront. »
On le voit, Olympe prenait parti activement en faveur de l’aristocratie des riches et de sa politique anti-populaire de spéculation à la hausse des prix des subsistances. Elle ne s’indignait pas des conséquences de ces hausses de prix qui, on le sait en détail, étaient non seulement « payées » par les bas salariés, les femmes au premier chef, mais entraînaient famines, maladies et crise de mortalité. Elle ne s’indignait pas davantage de la forme de terreur qu’était cette loi martiale qui substituait au débat politique, lorsqu’il s’agissait des revendications populaires, la proclamation d’un état de guerre !
Cette politique de liberté illimitée du commerce fut une des causes de la Révolution du 10 août 1792, qui renversa la Constitution censitaire de 1791. Mais le parti de la Gironde qui gouverna la République de septembre 1792 à juin 1793, poursuivit cette politique et refusa de répondre aux revendications paysannes en matière de réforme agraire et choisit de mener une guerre extérieure de diversion, ce qui le conduisit à l’échec. 

La Gironde fut renversée à son tour par la Révolution des 31 mai-2 juin 1793 et la Constitution, enfin votée en juin 1793, supprima expressément la loi martiale. La politique montagnarde développa ensuite une politique démocratique et sociale en commençant par l’abolition de la féodalité par la loi, ce qui n’avait pas encore été réalisé juridiquement depuis 1789 et cinq années de jacqueries permanentes ! Elle entreprit une politique dite du « maximum », qui mettait fin à la liberté illimitée du commerce, réclamée par les spéculateurs au nom du « sacro-saint » droit de propriété privée, qui fut justement désacralisé. En effet, le « maximum » empêchait la spéculation sur les denrées de première nécessité, y compris les matières premières indispensables aux artisans et aux manufactures. Les troubles de subsistances cessèrent et les marchés furent, à nouveau, fournis à des prix rééquilibrés par rapport aux salaires et aux revenus fixes de la population.
Dès le lendemain de la Révolution des 31 mai-2 juin 1793, Olympe de Gouges publia par affiches son rejet de la Constitution de 1793, de la République démocratique et de sa politique économique et sociale. Puis, en juillet, dans la période du référendum sur la Constitution, elle mena campagne contre la république démocratique et réclama une monarchie et une aristocratie des riches : elle fut arrêtée le 20 juillet, condamnée et exécutée. Imprudence, sans doute, car depuis le printemps 1793, la situation politique avait tourné à la guerre civile et les Girondins, battus, n’hésitèrent pas à y participer, elle s’y engouffra.
Son procès ne mentionne aucune inculpation pour cause de son sexe, mais pour ses écrits politiques contre le principe de souveraineté populaire.
Il apparaît bien difficile de présenter Olympe de Gouges en héroïne de la justice sociale et de la défense des droits sociaux ! Elle dénonça la République démocratique et sociale, qui institua le mariage comme un contrat civil et dissoluble, accompagné du divorce par consentement mutuel (20 septembre 1792), mais aussi l’égalité en droit des enfants légitimes et naturels (9 août 1793) et une réforme agraire considérable, des droits économiques, sociaux et politiques. De même, il est difficile de voir en elle « l’anticipatrice en avance sur son temps » qu’évoque l’article, alors que son temps était bien conscient de ces questions et s’en est largement occupé.
 
Liberté générale pour les esclaves des colonies ?
Même constat en ce qui concerne les droits de l’homme et du citoyen dans les colonies esclavagistes : en 1791, Olympe prit la défense des droits des colons « libres de couleur », comme le parti des « colons blancs » les nommait. En mai 1791, il y eut un très important débat, qui aborda les trois questions suivantes : 1) faut-il conserver les colonies ? 
2) Les colons « libres de couleur », discriminés par les colons « blancs », sont-ils susceptibles de l’égalité en droit ? 
3) L’esclavage doit-il être maintenu ?
Le parti colonial était lui-même divisé par le parti des « colons blancs », qui avait pris le pouvoir dans la grande colonie de Saint-Domingue, en 1789, et cherchait à discriminer les « 
colons de couleur », afin de leur prendre leurs biens et leur conférer un statut juridique de « libres subalternes », intermédiaire entre celui de libre et celui d’esclave. Il existait aussi un courant critique du système colonial, qui commençait à réfléchir à des formes de décolonisation, comme le fit la Société des Citoyens de couleur et ses alliés, et prépara l’indépendance d’Haïti. Il y avait encore un courant favorable à une forme de néo-colonialisme, avec « adoucissement » de l’esclavage, comme le proposa la Société des Amis des Noirs.
Olympe de Gouges avait réussi à faire jouer sa pièce de théâtre
Zamor et Milza en 1789 et fut calomniée par le parti colonial. À la suite du débat de mai 1791, elle prit la défense des droits des colons « libres de couleur ». Il faut toutefois noter qu’elle n’abordait ni la critique du système colonial, ni celle de l’esclavage des captifs africains déportés en Amérique.
Un peu plus tard, en mars 1792, elle fit rééditer sa pièce sous un nouveau titre
L’esclavage des Noirs ou l’heureux naufrage, avec une préface où elle défend le projet officiel de la Société des Amis des Noirs, c’est-à-dire un projet colonialiste, qui se limitait à « adoucir » les conditions de vie des esclaves, ce qui n’est pas abolir l’esclavage !
Précisons qu’en mars 1792, cela faisait déjà plus de six mois que l’insurrection des esclaves avait commencé, à Saint-Domingue, et qu’elle se poursuivait, ce qui signifie qu’il n’avait pas été possible de la réprimer. En effet, l’Assemblée constituante avait suivi la politique du Club Massiac, le parti des colons, en constitutionnalisant l’esclavage dans les colonies et en suivant la politique ségrégationniste contre les « 
libres de couleur ».

La guerre des épidermes, qui divisait la classe des colons, avait désintégré le système des milices paroissiales, chargées du maintien de l’ordre esclavagiste, car les « 
colons de couleur » ayant pris le maquis pour se protéger, les avaient désertées. Les esclaves avaient alors compris qu’une occasion particulièrement favorable se présentait à eux. Ils organisèrent une insurrection dans le Nord de l’île, qui débuta dans la nuit du 22-23 août 1791. Depuis, les maquis de « colons de couleur » négocièrent des traités avec les « colons blancs », comme avec des groupes d’esclaves insurgés. La situation de l’île échappa, alors, au Club Massiac et rendit caduque la législation de l’Assemblée constituante : le processus de la Révolution de Saint-Domingue était bien avancé.
Il est clair qu’Olympe de Gouges n’a pas saisi cette nouvelle situation et, dans sa « Préface » de 1792, croit encore possible de tenir un discours de soumission aux esclaves et aux « colons de couleur », en leur conseillant de renoncer à leur combat et de retourner sagement chez leurs maîtres, que des gens éclairés sont en train de convaincre « d’adoucir » l’esclavage.
Écoutons-la :
« 
C’est à vous, actuellement, esclaves, hommes de couleur, à qui je vais parler ; j’ai peut-être des droits incontestables pour blâmer votre férocité : cruels, en imitant les tyrans, vous les justifiez (…) Ah ! combien vous faites gémir ceux qui voulaient vous préparer, par des moyens tempérés, un sort plus doux, un sort plus digne d’envie que tous ces avantages illusoires avec lesquels vous ont égarés les auteurs des calamités de la France et de l’Amérique. La tyrannie vous suivra, comme le crime s’est attaché à ces hommes pervers. Rien ne pourra vous accorder entre vous. Redoutez ma prédiction, vous savez si elle est fondée sur des bases vraies et solides. C’est d’après la raison, d’après la justice divine que je prononce mes oracles. »
Ces gens éclairés, sensés adoucir l’esclavage, étaient les Amis des Noirs, avec Brissot, et avaient déjà prudemment fermé la porte de leur société, au moment même où l’insurrection des esclaves avait commencé à Saint-Domingue, choisissant la plus grande discrétion… Les Brissotins se retrouvèrent diriger le parti de la Gironde, mais lorsqu’ils exercèrent le pouvoir, ils refusèrent de soutenir la Révolution des esclaves insurgés et de leurs alliés.
Ce fut la Convention montagnarde, qui prépara l’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises avec la Constitution de 1793, et la réalisa le 16 pluviôse an II-4 février 1794. Et il s’agissait bien de l’abolition de l’esclavage, non de quelque « adoucissement »…

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