dimanche 8 juin 2014

Jansénistes, Jésuites et Philosophes (10)

(Pour lire les articles précédents, c'est ici)

Alors que le combat entre Jansénistes et Jésuites fait rage depuis des décennies dans le royaume, c'est aux Antilles, et plus précisément à la Martinique, que va se jouer l'épisode décisif de cette guerre ouverte. La Compagnie de Jésus y possédait alors de grandes concessions de terrains que le Père La Valette (procureur de la Maison Jésuitique de Saint-Pierre de la Martinique) avait entrepris de faire prospérer. De cette affaire (fort peu charitable, reconnaissons-le !), nous nous contenterons de dire qu'elle mêlait opérations bancaires douteuses, esclavage à la Barbade et acquisitions d'immenses propriétés. La guerre de 7 ans ayant entravé son négoce, le Jésuite fit bientôt faillite. Par malheur, il entraînait dans sa chute d'autres négociants, installés à Marseille ceux-là, les frères Lionci et un dénommé Gouffre. Le syndic de la faillite attaqua aussitôt en justice le Père La Valette, mais également le Père de Sacy, Procureur Général des missions sur l'île. Endettée à hauteur d'1 M 500000 livres, la Compagnie de Jésus fut condamnée par la juridiction de Marseille et déclarée solidaire de son représentant aux Antilles. Outrés de cette décision, la Société de Jésus obtint (par un arrêt daté d'août 1760) de porter l'affaire devant le Parlement de Paris. 


Erreur fatale que celle qui consiste à se jeter dans la gueule du loup !
Malgré les tours et les détours empruntés par les Jésuites pour éviter ce nouveau procès, la cause sera plaidée le 8 mai 1761, tout d'abord par l'avocat Gerbier, au nom des créanciers du Père La Valette, puis par l'avocat général (et janséniste !) Le Pelletier de Saint-Fargeau. Les Jésuites seront condamnés à payer à la maison Lionci et Gouffre un million cinq cent deux mille deux cent soixante six livres. La Société de Jésus aura beau protester, elle sera considérée comme un tout indivisible, et donc responsable des opérations commerciales du Père La Valette. 
La publicité faite au procès déchaîne alors l'opinion publique contre les Jésuites et amène le Parlement à examiner la Constitution de la Société.

Au cours de cette même année, l'abbé Chauvelin, conseiller-clerc au Parlement de Paris dénonce cette  constitution devant les chambres assemblées. A l'automne, le roi convoque à son tour une assemblée d'évêques pour étudier les statuts de la Société.
Le coup fatal est porté durant l'été 1762 (voir ci-dessous) par le Parlement de Paris qui dissout la Société de Jésus, arguant du fait que leur Constitution est "perverse, destructive de tout principe de religion... pernicieuse à la société civile, séditieuse, attentatoire aux droits et à la nature de la puissance royale..."
L'arrêt du Parlement fait défense aux sujets du roi de fréquenter les écoles, collèges et missions de la Société et ordonne aux Jésuites de quitter leurs établissements.
Dans la foulée, les autres parlements du royaume, à l'exception de deux, rendront les mêmes arrêts contre les Jésuites.
Enfin, le duc de Choiseul fait rendre par le roi ( en novembre 1764) un nouvel édit ordonnant que désormais la Société de Jésus n'aurait plus aucune place en France.
 
l'expulsion des Jésuites

Arrêt du parlement de Paris du 6 août 1762
(Berryer, Garde des Sceaux)
Notre dite cour, toutes les chambres assemblées, faisant droit sur l’appel comme d’abus interjeté par le procureur général du roi, de l’institut et constitutions de la Société se disant de Jésus, et reçu par arrêt de la cour du 6 août 1761, sur lequel appel comme d’abus lesdits général et Société ont été surabondamment intimés, et faisant pareillement droit sur les autres délibérations jointes audit appel comme d’abus, déclare le défaut faute de comparaître pris au greffe de la cour par notre procureur-général, le 7 janvier 1762, bien et valablement obtenu, et adjugeant le profit d’icelui ;
Dit qu’il y a abus dans ledit institut de ladite Société se disant de Jésus, bulles, brefs, lettres apostoliques, constitutions, déclarations sur lesdites constitutions, formules de vœux, décrets des généraux et congrégations générales de ladite Société, et pareillement dans les règlements de ladite, Société, appelés « Oracles de vive voix », et généralement dans tous autres règlements de ladite Société; ou actes de pareille nature, en tout ce qui constitue l’essence dudit institut.
Ce faisant, déclare ledit institut inadmissible par sa nature dans tout État policé, comme contraire au droit naturel, attentatoire à toute autorité spirituelle et temporelle, et tendant à introduire dans l’Église et dans les États, sous le voile spécieux d’un institut religieux, non un ordre qui aspire véritablement et uniquement à la perfection évangélique, mais plutôt un corps politique, dont l’essence consiste dans une activité continuelle pour parvenir par toutes sortes de voies directes ou indirectes, sourdes ou publiques, d’abord à une indépendance absolue, et successivement à l’usurpation de toute autorité   (à suivre)

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