vendredi 6 juin 2014

Jansénistes, Jésuites et Philosophes (9)

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Décontenancés, Diderot et les Libraires associés en appellent au gouvernement, invoquant le risque de faillite ainsi que les avances déjà versées par les souscripteurs. L'autorité royale charge alors Malesherbes de calculer au plus juste les remboursements à faire aux souscripteurs. En juillet 1759, le Conseil d'Etat rend donc un nouvel arrêt, condamnant les Libraires à restituer une somme de 72 livres à chacun d'eux.
révocation du privilège (8 mars 1759)
Victime de ce qu'il estime être une injustice, le Libraire Durand multiplie de son côté les plaintes auprès de Malesherbes, dont il connaît l'esprit de conciliation : "Si le nouvel arrêt était exécuté, nous nous trouverions condamnés à rendre plus qu'il ne nous reste... On ne nous reproche rien et cependant on nous traite, et pour la forme et pour le fond, comme des malfaiteurs... J'en appelle, Monsieur, à la bonté de votre coeur, qui m'est connue. Elle ne peut pas désapprouver la sensibilité aux humiliations accumulées." (août 1759)
Par chance, les souscripteurs ne se précipitant pas pour exiger leur argent, Malesherbes n'aura pas à mettre en oeuvre cette sinistre opération de liquidation.
Désormais sûrs de leur fait, les dévots (jansénistes et jésuites confondus) paradent ouvertement, trop heureux de voir leur adversaire un genou à terre. Dans une de ses Critiques sur un article du Journal Encyclopédique (1759), Chaumeix  laisse même exploser sa joie: "Que l'exemple que nous donnent aujourd'hui les Auteurs d'un dictionnaire foudroyé par toutes les puissances fasse connaître à ceux qui voudraient imiter ces Auteurs à quelle peine ils s'exposent; et que ceux à qui Dieu a fait la grâce de connaître la religion et d'y être attachés se consolent en voyant sur quelle base elle est établie."
Depuis Genève, Voltaire s'étrangle de rage à l'idée de voir ses ennemis triompher, et plus encore de constater la résignation des encyclopédistes : "Quand il s'agit de faire du mal, les jansénistes, les molinistes, et tous les philosophes sont dispersés..." (lettre à d'Alembert du 15 octobre 1759) ; il se dit "sensiblement affligé de voir les fanatiques réunis pour accabler les philosophes, tandis que les philosophes divisés se laissent tranquillement égorger les uns après les autres..." (au même, 25 avril 1760) 
Voltaire a pourtant tort de désespérer. 
Car de son côté, Diderot est loin d'avoir rendu les armes. La Cour a interdit la publication des derniers tomes ? Soit ! Mais elle n'a pas condamné les planches !!! Avec les Libraires, le directeur de l'Encyclopédie s'attelle aussitôt à la tâche et prépare à la hâte les volumes suivants, exclusivement constitués de planches. Malesherbes, toujours aussi tolérant, donne son aval au projet. Peut-être est-ce lui qui en a donné l'idée...

Le privilège accordé en septembre 1759 pour le Recueil de Planches sonne même comme une garantie tacite d'autoriser la publication ultérieure des volumes de discours. Le Pape Clément VIII a beau condamner à son tour l'Encyclopédie (3 septembre 1759), à la fin de cette même année, le combat semble avoir changé d'âme, l'opinion la plus éclairée de Paris s'offusquant de l'intervention du Vatican. D'ailleurs, après la révocation de son privilège, l'Encyclopédie se trouve paradoxalement débarrassée de son adversaire le plus acharné puisque le Parlement janséniste a obtenu gain de cause. Le temps aidant, on trouvera bien l'occasion propice pour livrer les derniers volumes de textes au public (ils seront imprimés sans privilège à Neufchâtel, en 1765).
l'autodafé dans Candide (1759)
 L'année 1760 marque un nouveau tournant dans le combat à mort qui oppose Philosophes, Jansénistes et Jésuites. A Genève, Voltaire rumine déjà sa vengeance, réclamant à son ami d'Alembert des documents destinés à nourrir ses futurs pamphlets : "N'aurons-nous point l'histoire de la persécution contre les philosophes, un résumé des âneries de maître Joly (ndlr : l'avocat général du Parlement qui a requis contre l'Encyclopédie), un détail des efforts de la cabale, un catalogue des calomnies, le tout avec des preuves ? Ce serait là un coup de foudre... Hérault disait un jour à un de ses frères : Vous ne détruirez pas la religion chrétienne - c'est ce que nous verrons, dit l'autre." (lettre à d'Alembert du 20 juin 1760)
Si les dévots ont remporté une bataille, ils ignorent que bientôt ils perdront la guerre... (à suivre)

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