mardi 19 juin 2018

l'Encyclopédie (13)


"Je suis blessé jusqu'au tombeau", écrit Diderot en découvrant la trahison de Le Breton. Il reste pourtant un dernier obstacle à surmonter : comment faire paraître les dix volumes déjà achevés, mais toujours interdits de parution ?
Comme souvent en pareille situation, on a recours à un artifice sur lequel les autorités ferment volontiers les yeux. C'est ainsi qu'en janvier 1766 se répand à Paris l'Avis suivant : "Samuel Fauche, Libraire à Neufchâtel en Suisse, donne avis au public qu'il a achevé d'imprimer la suite de l'Encyclopédie, dont il avait acquis les manuscrits après la publication des sept volumes imprimés à Paris (...) Ceux qui ont les sept premiers volumes de cet ouvrage et qui désireront s'en procurer la suite, sont priés de prendre chez les imprimeurs de Paris un écrit par lequel il soit constaté qu'ils ont souscrit pour cet ouvrage. Et les dix nouveaux volumes seront délivrés en feuilles au porteur de cet écrit, moyennant 200 livres."
En 1ère page, en lieu et place des libraires associés et de Diderot, on trouve désormais la mention  : "Mis en ordre par M***. A Neufchastel chez Samuel Fauche et Compagnie, libraires et imprimeurs". 
A la tête de la Librairie, le censeur Sartine feint de ne rien voir...
De son côté, l'Eglise continue d'éructer, comme le prouve cette nouvelle condamnation prononcée lors de l'Assemblée du Clergé en 1765:


Même si le groupe encyclopédique bénéficie de la perte d'influence du parti dévot, affaibli par la mort du Dauphin en décembre 1765, il convient donc de faire profil bas et de se montrer prudent. Hélas, l'euphorie qui règne alors chez les Libraires leur fait oublier cette règle des plus élémentaires.
Fort de ses appuis à la Cour où il compte plusieurs clients, Le Breton commet alors l'erreur d'y envoyer (sans autorisation !) quelques exemplaires des derniers volumes imprimés. Mis au courant de cette bravade, le ministre Saint-Florentin ordonne aussitôt de faire arrêter l'impertinent et de le conduire à la Bastille.
Et Sartine de commenter : "Cette punition était indispensable pour donner satisfaction au clergé à son assemblée prochaine".
Accompagné de son domestique, Le Breton ne passera évidemment que quelques nuits sous les verrous... 
Et à compter de ce jour, il ne sera plus jamais inquiété.
Depuis Genève, Voltaire a donc toutes les raisons de se réjouir de cette ultime victoire remportée par les Encyclopédistes.
"Il semble, écrit-il à d'Alembert, que tous ceux qui ont écrit contre les philosophes sont punis en ce monde : les jésuites ont été chassés ; Abraham Chaumeix s'est enfui à Moscou ; Berthier est mort d'un poison froid, et Vernet (un pasteur genevois) sera pilorié infailliblement
(juin 1766)
"Le grand et maudit ouvrage est fini" (lettre à Damilaville), conclut Diderot, 20 ans après s'être lancé dans cette formidable entreprise.

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