Ingénieur en chef de la ville de
Paris en 1789, Dufourny de Villiers conçoit le projet d'un journal
destiné à faire reconnaître par les
députés aux Etats-Généraux les droits du quatrième ordre, c'est-à-dire
« des infortunés, des infirmes, des indigents »,
« des journaliers », « des
salariés abandonnés de la société », « contraints par la misère à donner
tout leur temps, toutes leurs forces, leur santé même pour un salaire
qui représente à peine le pain nécessaire pour leur nourriture ». Cette
publication généreuse intitulée Cahiers du quatrième ordre paraît le 25 avril 1789. Elle n'aura qu'un seul numéro.
En voici la 2nde partie.
En vain me dira-t-on que les Députés du Tiers, que la loyauté de tous les Ordres prendront sa défense, que le cœur de Sa Majesté est l'asile de l'infortuné : personne n'est plus enclin par respect et par estime pour tous les Ordres, et pour chacun de leurs Représentants, à se laisser persuader de l'existence de ce sentiment unanime d'équité et de protection : personne n'a une plus haute idée de la sensibilité du Roi ; mais je demande à l'Ordre du Tiers si, lorsqu'il n'était pas suffisamment représenté dans les Etats (soi-disant) Généraux, la protection et les vertus des deux autres Ordres, le défendaient, le préservaient de l'introduction des impôts, des abus et des vexations, contre lesquels il ne réclame efficacement aujourd'hui, que parce qu'il est enfin parvenu à une représentation proportionnelle ? Je demande à tous les Ordres, et particulièrement à celui du Tiers, s'ils ne sont pas éminemment privilégiés en comparaison du Quatrième Ordre ? Et forcés d'en convenir, comment pourraient-ils se soustraire à l'application du grand principe, que les Privilégiés ne peuvent représenter les non Privilégiés ? Je demanderai enfin aux députés des Villes commerçantes, si les Fabriquants, forcés de prendre leur bénéfice entre le prix de la matière première et le taux de la vente aux Consommateurs, ne sont pas continuellement occupés à restreindre le salaire de l'ouvrier, à calculer sa force, sa sueur, ses jouissances, sa misère et sa vie, et si l'intérêt qu'ils ont à conserver cet état de chose, n'est pas directement opposé aux réclamations du Quatrième Ordre, dont leur générosité les porterait d'ailleurs à se charger. (….)
Les Cahiers du Tiers ou leurs
projets, dont j'ai eu connaissance, indiquent avec sagesse, noblesse, franchise
et respect, les points principaux sur lesquels doivent statuer des Lois
constitutives, d'où l'on attend la restauration et la stabilité de la félicité
publique ; mais aucun ne m'a présenté le mandat, distinctement énoncé, de
donner pour base inamovible du bonheur général, des Lois conformes au but de la
Société, la protection, la conservation des
faibles de la dernière Classe. Je ne doute pas cependant que,
l'évidence et l'humanité étouffant tout intérêt personnel, ces principes et ces
désirs ne se développent dans le cœur de ses députés ; ainsi lorsque des
Mémoires instructifs et des réclamations formelles auront été publiés, il n'y
aura plus d'obstacles au soulagement du Quatrième Ordre ; chaque Député du
Tiers sera son Représentant, chaque Français formera des vœux pressants pour la
destruction de toutes les causes de la misère, pour la défense des infortunés.
Cette portion du Clergé si importante par ses fonctions consolatrices, par les
soulagements qu'elle répand sur les infortunés, les Curés scrutateurs des
causes de la misère, seront certainement des défenseurs aussi persuasifs
qu'instructifs et zélés ; mais il faut dans tous les cas, pour que le
zèle, la vertu, le courage des Députés quelconques s'expriment avec cette
énergie respectueuse et persuasive, qui seule opère le bien, qu'elle soit
encore appuyée de l'opinion publique ; c'est en effet l'opinion publique
qui alors régira seule les Etats Généraux : ou plutôt, les Etats Généraux ne
feront que rédiger les délibérations publiques. Il ne suffit donc pas, pour
opérer le bien, d'envoyer des Mémoires particuliers aux Députés ; mais il faut
publier ces Mémoires, il faut ainsi faire vertir au soulagement du quatrième
Ordre cet amour du bien général, qui va diriger la Nation et ses Députés.
PROSPECTUS
Le quatrième ordre ne sera point
convoqué en 1789 ; s’il l’était, il choisirait sans doute un autre
représentant que moi ; mais en m’efforçant de suppléer à l’exercice du
droit naturel dont il est privé, j’espère obtenir son aveu, sa confiance, sa
correspondance, et surtout ses bénédictions. Une si belle cause trouvera dans la sensibilité de mon cœur, des
ressources que des talents ne pourraient remplacer, et dans la fermeté de mon
caractère, le courage nécessaire, soit pour écarter les mépris de l’orgueil,
soit pour combattre sans relâche l’opposition de l’intérêt personnel. Identifié
depuis longtemps avec les Infortunés, ce n’est pas seulement pour avoir éprouvé
des revers que je suis attaché à leur sort, ce n’est point par l’odieux motif
de l’égoïsme (…) c’est pour avoir été le témoin de leurs grandes vertus (…)
Entre toutes les grandes causes de calamité qui feront l’objet de ces Mémoires,
les vicissitudes et l’excès du prix du pain et des premières denrées tiendront
sans doute le premier rang. J’ai sur cet objet des propositions importantes à
faire (…) Il est encore un objet bien important pour la félicité générale et
pour celle du Peuple en particulier : c’est l'éducation populaire. Non
seulement cette éducation chrétienne aussi imparfaite qu’importante, aussi
incomplète que mal administrée ; mais cette éducation nationale, qui, d’un
homme rendu Chrétien par la plus pure morale, fait un Citoyen, un
Patriote ; c’est cette application des principes de la morale chrétienne
aux devoirs de la Société, qui seule peut faire des lois justes, et qui seule
peut les faire respecter
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