mercredi 28 mars 2012

Louise d'Epinay (4)

E. Badinter
Les propos d'Elisabeth Badinter sur Louise d'Epinay me laissent perplexe. Dans "Emilie, Emilie", la philosophe nous présente Louise comme une épouse rapidement trompée par son mari (ce qu'elle fut...), et désirant dès lors vouer son existence à l'éducation de Louis-Joseph, son premier enfant né en 1746. Dans un courrier à son mari, elle lui demande même l'autorisation d'allaiter ce premier né. "Vous, nourrir votre enfant ?" lui répond-il aussitôt, "j'en ai pensé mourir de rire." En lui signifiant aussi sèchement son refus, M. d'Epinay ne fait que s'inscrire dans une tradition aristocratique qui voit dans le nouveau né un élément gênant pour l'équilibre familial.
Louis-Joseph passera donc près d'une année chez une nourrice, et ce n'est qu'en juillet 1747 que Louise le récupèrera pour devenir "enfin mère" (dixit Badinter). Pourtant, ce sont aussitôt les grands-parents de l'enfant, mais également sa gouvernante et le précepteur qui le prennent en charge. Dans les Contre-Confessions (ou Histoire de Mme de Montbrillant), Louise ne semble accorder que peu d'intérêt à son aîné. Les deux premiers tiers de l'ouvrage sont quasiment exclusivement consacrés à sa place dans la famille, aux mondanités dont elle semble friande, et plus encore aux trois hommes qu'elle a aimés : son mari, Francueil, Grimm.
C'est vers 1756, alors que Rousseau s'installe à l'Ermitage, que Louise entreprend d'écrire ses premiers textes sur l'éducation. Un an plus tard, elle rompt avec lui et part se soigner à Genève. Pendant cet interminable séjour (jusqu'en 1759), c'est son amant Grimm, longtemps resté à Paris, qui prendra soin de la petite Angélique, née en 1749.
Louise d'Epinay
"Longtemps, Louise d'Epinay... fuira la renommée pour l'idéal moral", écrit E. Badinter, faisant d'elle une femme désireuse de devenir une mère idéale. C'est seulement lors du séjour à Genève auprès de Voltaire que Louise aurait commencé à songer à son ambition personnelle. Ayant échoué dans son ambition maternelle (son garçon, surtout, n'ayant pas répondu à ses attentes), elle aurait alors pensé s'affirmer dans le domaine littéraire en écrivant un ouvrage sur l'éducation ("Les conversations d'Emilie"). E. Badinter nous dit alors : "Elle est la première mère à vouloir faire profiter d'autres femmes de son expérience..." En faisant de Louise d'Epinay une féministe avant l'heure, E. Badinter feint d'ignorer que le sujet était déjà traditionnel chez les épouses des grands financiers. A ce propos, on rappellera que Rousseau fut vingt ans plus tôt le secrétaire de Louise Dupin (elle aussi mariée à un fermier général) et qu'il l'aida à la rédaction d'un ouvrage sur l'égalité des femmes et des hommes. Autant Louise d'Epinay que Louise Dupin, et plus tard Germaine Necker, appartiennent à une classe sociale aisée, mais également avide de reconnaissance et de respectabilité. Ce n'est évidemment pas un hasard si toutes les trois ont accueilli dans leurs sociétés respectives les plus grands esprits du moment.
Quant à l'instinct maternel de Louise d'Epinay, il se manifesta surtout au cours des dernières années de son existence, lorsqu'elle retira son enfant (nommée Emilie) à sa fille Angélique, et qu'elle tenta de mener à bien ce qu'elle n'avait pas réussi avec ses propres enfants.

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