samedi 31 mars 2012

Rousseau, le subversif

Au fond, rien n'a changé. Aujourd'hui comme hier, les paroles subversives ont toujours gêné, et les élites se sont toujours arrangées pour les faire taire. Par n'importe quel moyen... Quitte pour cela à laisser parader sur le devant de la scène quelques trublions, de faux agitateurs inoffensifs pour l'ordre établi, mais censés satisfaire une opinion publique friande de propos contestataires.
Lors d'une récente rencontre, un lecteur me demandait ce qui différenciait dans ce domaine Rousseau des grandes figures des Lumières.
Nul besoin d'épiloguer pour répondre : à la fin de sa vie, Voltaire fait un retour triomphal à Paris. Il est millionnaire. Diderot, lui, a amassé sa fortune grâce à la tsarine Catherine II. Un temps, il a même accepté le poste de censeur que lui proposait Sartine... Quant à d'Alembert, il est de toutes les académies, à Paris et dans toutes les grandes villes d'Europe...
Des hommes en place, des notables, des intellectuels cautionnant un régime politique moribond, même s'ils souhaitent le réformer.
De son côté, les rentrées de Rousseau après 1770 sont d'environ 1500 livres par an. Rappelons que Turgot estimait à 6000 livres annuelles le train de vie d'un honnête homme...
S'il ne fallait qu'une preuve, celle-ci serait suffisante.
Il en est pourtant une autre, tout aussi éloquente. A son retour à Paris (toujours après 70), Rousseau doit promettre à Sartine qu'il restera désormais tranquille, et surtout qu'il ne se livrera plus à ces ennuyeuses lectures publiques des Confessions. Jean-Jacques accepte, trop désireux de retrouver cette paix intérieure qui le fuit depuis près de dix ans. Car pendant dix ans, il a fui, de ville en ville, de pays en pays, partout rejeté et condamné.
C'est à cela qu'on reconnaît le vrai subversif, au fait qu'il n'appartient à aucun camp, et que tous s'en prennent à lui. Pour Rousseau, ce furent l'autorité royale, les Encyclopédistes, la Sorbonne, les Jésuites, l'opinion parisienne et jusqu'à Genève, sa propre ville... Il faudra la génération révolutionnaire, celle de Robespierre et des ses amis, pour le tirer de l'oubli auquel on le destinait.
250 ans plus tard, j'en suis encore à me demander quelles sont les paroles dissidentes du moment...

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