mercredi 4 juillet 2012

Tricentenaire Rousseau

Il y a pire que d'oublier son passé.
C'est de le nier, ou encore de le travestir.
Il ne vous aura pas échappé qu'on fait peu de cas, en France, de la célébration du "tricentenaire Rousseau". Quelques dossiers çà et là dans la presse, souvent bâclés (cf le tout récent Télérama), des manifestations annoncées comme festives, généralement qualifiées de "pique-niques républicains", auxquelles les médias locaux consacrent au mieux un entrefilet complaisant, quelques conférences encore sur le Rousseau herboriste, le Rousseau musicien, le Rousseau amoureux de la nature...
Voilà à quoi on réduit l'un des plus grands penseurs du XVIIIème siècle, celui que Mély surnommait autrefois l'"intellectuel en rupture". De sa pensée politique, on ne dit mot. Ni de son Contrat Social, ni de son Discours sur l'Inégalité. J'écoutais dernièrement le sociologue Alain Soral rendre hommage au Genevois (voir ci-dessous) au cours d'une intervention qui remettait ce second discours en perspective. Effectivement, l'homme de la nature n'intéresse guère Rousseau, sinon comme point de comparaison avec l'homme social. L'histoire de nos sociétés est celle de l'aliénation progressive du pauvre au riche. Ce dernier s'approprie les moyens de production, les biens, les terres, et condamne le moins habile à la dépendance. Pour légitimer l'usurpation de ces biens, les possédants imaginent l'ordre civil, la création de lois et de règlements qui les protégeront des indigents. Chez Rousseau, les premières lois sont nécessairement injustes car imaginées par une oligarchie craignant de se voir dépossédée. Et le dernier tour de force consiste, in fine, à transformer ce pouvoir économique en pouvoir politique, et à le rendre héréditaire.
Chez Rousseau, l'histoire de l'homme est bien celle d'une chute, mais celle-ci est liée à la socialisation et non au péché originel.
Le Contrat Social prolonge cette première réflexion et s'interroge sur la notion d'intérêt général et sur celle de souveraineté. Selon Rousseau, cette dernière appartient au peuple (rien de nouveau jusque-là), mais contrairement à ses prédécesseurs, Rousseau prétend que cette souveraineté est inaliénable et que le peuple est donc condamné à l'exercer ! Il ne saurait confier le pouvoir à Dieu, à ses représentants, au roi, à des ministres ou à qui que ce soit d'autre... 
Inutile, j'imagine, de poursuivre trop avant. Si la pensée d'un Voltaire, celle d'un Diderot ou d'un Montesquieu s'inscrivent dans un processus historique en cours, celle de Rousseau est profondément subversive parce qu'elle pointe du doigt nos erreurs passées et présentes. Et ce faisant, elle nous amène à repenser notre relation au monde, au travail, au religieux et à la chose politique... 
Cet aspect pourtant capital de la pensée rousseauiste est aujourd'hui totalement esquivé dans les programmes scolaires. On lui préfère (au mieux) une étude des 6 premiers livres des Confessions, ceux dans lesquels le Genevois recrée son enfance. Et au passage, on élude les 6 suivants, où Rousseau dénonce le complot des philosophes contre sa personne ! Mais là encore, peut-être vaut-il mieux garder intactes certaines figures de notre passé littéraire...



Gérard Collard
NB : Je tenais à vous remercier de l'accueil enthousiaste que vous avez réservé au "Voile déchiré", mais également à "la Comédie des Masques", qui est paru en folio le mois dernier.
Evidemment, je sais ce que je dois à Gérard Collard, dont les multiples interventions sur France 5, LCI et France Info ont placé mes deux romans sous le feu des projecteurs.
N'appartenant à aucun "réseau", je suis d'autant plus sensible à cette main qu'il m'a tendue...
Car qu'il ait aimé mes deux romans est une chose. Mais qu'il vous les fasse aimer en est une autre. Pour cela, je lui exprime toute ma reconnaissance. OM

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