mercredi 8 août 2012

Hommage à Benoît Mély (2)

Autant La comédie des masques que Le voile déchiré doivent beaucoup à Benoît Mély, dont l'ouvrage "JJ Rousseau, un intellectuel en rupture" (éd. Minerve) a très largement nourri mon propre travail.
Dans un précédent article (cf février 2011), je rapportais le point de vue de Mély sur la rupture entre Rousseau et les Encyclopédistes.  Selon lui, la nature du conflit était avant tout sociale, Rousseau dénonçant l'embourgeoisement de ses anciens amis. Dans sa Lettre à Christophe de Beaumont, le Genevois nous conforte dans cette approche : "En écoutant les gens à qui on permet de parler, j'ai compris qu'ils n'osent ou ne veulent dire que ce qui convient à ceux qui commandent, et que payés par le fort pour prêcher le faible, ils ne savent parler au dernier que de ses devoirs, et à l'autre que de ses droits... Pourquoi serais-je complice de ces gens-là ?". Si les deux premiers discours du Genevois n'alarment guère les philosophes (celui sur les Sciences et les Arts, celui sur l'Inégalité), c'est son refus obstiné de toute soumission aux grands du Royaume qui va provoquer la colère de ses anciens amis. A commencer par Voltaire qui ironise bientôt à son sujet : "...du fond de son tonneau, il s'avise d'aboyer contre nous".
Comme l'explique B. Mély, aussi paradoxal que cela puisse paraître, il existait bel et bien une connivence tacite entre les Encyclopédistes, les grands financiers et même une fraction de l'aristocratie de cour : "les philosophes rendent service aux princes en détruisant la superstition, qui est toujours l'ennemie des princes", écrit Voltaire dès 1750. De fait, certains hauts dignitaires ne voyaient pas d'un mauvais oeil le combat mené par les philosophes contre la trop puissante Eglise. Ainsi, D'Argenson et Conti (soit deux des hommes les plus puissants du royaume) ont beaucoup oeuvré pour protéger la liberté d'expression de ces mêmes philosophes. Conscients de l'affaiblissement de l'autorité monarchique, ils étaient résignés à sacrifier certains de leurs privilèges, et même leurs anciens alliés, plutôt que de tout perdre. "Les prêtres sont trop dangereux" écrivait déjà Mme de Pompadour en 1753. Plus tard, l'expulsion des Jésuites sera même saluée par le premier ministre Choiseul.
Contrairement à ce qu'on entend souvent ânonner dans nos salles de classe, les intérêts des philosophes (souvenons-nous du mot d'ordre: écraser "l'Infâme") pouvaient effectivement coïncider avec ceux des.puissants. En dénonçant cette collusion, Rousseau rappelle aux philosophes qu'ils ont renoncé à leur idéal, autrefois clamé par d'Alembert : liberté, vérité, pauvreté

La pauvreté, parce qu'ils acceptent désormais la pratique du mécénat. 
La liberté, parce qu'ils sont inévitablement liés à ceux qui les paient.
La vérité, parce qu'ils ne sauraient se brouiller avec leurs bienfaiteurs.

 A l'aube des années 1770, si l'on prend en compte la situation financière des philosophes les plus célèbres (Voltaire, Diderot, d'Alembert, Rousseau...), il n'en est qu'un qui soit resté pauvre pendant que les autres avaient amassé une fortune. 

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