J’ai rapidement présenté l’institution du commis de confiance,
qui correspond au mode d’élection des représentants, depuis le
Moyen-âge. Cette institution vient des Romains, mais ils en faisaient un
usage différent. Le Moyen-âge a donc repris et repensé la pratique du
commis de confiance pour en faire une institution électorale.
l'historienne Florence Gauthier |
Le
Moyen-âge inventait-là une forme très intéressante, parce qu’elle
renvoie à l’idée de souveraineté. Dans le cadre des assemblées générales
des habitants des communautés villageoises, des communes, des corps de
métier, etc…, le commis est chargé d’une mission et doit rendre
des comptes à ses commettants, sinon il est destitué et remplacé : cela
signifie que les mandataires sont reconnus comme souverains dans ce mode de chargé de mission.
D’où
l’intérêt de rappeler l’existence de cette institution, puisque nos
systèmes électoraux ne la connaissent plus ! Aujourd’hui, ce sont les
élus qui s’imposent comme souverains aux électeurs. Le résultat des élections actuelles est encore une manifestation de cette nouvelle hiérarchie.
Il
faut bien voir que, dans le système actuel, le fonctionnement des
partis politiques a pris la place de l’assemblée générale médiévale et
l’a ainsi confisquée aux citoyens : ce point est fondamental à
comprendre. De peuple souverain, il n’y a plus que le nom dans le texte
de la Constitution, et un peuple vidé de ses pouvoirs. Voilà ce qu’il me
semblait important à clarifier.
Pour être plus précis, le système
des partis, avec leur chefferie au sommet, sur le modèle de toute
hiérarchie (qu’elle soit papale, monarchique ou aristocratique), n’est
pas en cause. Tout parti politique impose nécessairement ses objectifs
et ne recrute que les personnes qui sont d’accord avec ceux-ci. Qu’en
interne, le débat soit la norme est sans aucun doute préférable, mais un
parti ne doit pas être non plus un moulin ouvert à tous les vents (il y
a de beaux exemples en ce moment…). Mais là où le système des partis
diffère complètement de ce qu’il se passait pendant la Révolution
française, c’est bien sur la possibilité, qui s’est instituée pour eux,
de prendre la place de l’assemblée générale des citoyens et de
transformer les électeurs en machine à élire des majorités en nombre de
places dans les instances élues. C’est à ce moment-là que la culture
politique et les pratiques populaires ont disparu : on peut le dater en
France de l’échec et de la disparition, corps et esprit, de la Commune
de Paris de 1871.
En 1789, l’institution du commis de confiance
était généralement pratiquée et tous les députés aux États généraux
étaient des commis de confiance. Comprenons bien : la noblesse ou le
clergé avaient aussi des commis de confiance, chargés de missions
conformes à ce que demandaient leurs commettants. Le commis de confiance
n’est pas, en soi, une forme démocratique, c’est parce que le principe
de la souveraineté populaire est reconnu que cette institution peut
prendre un caractère démocratique.
Cette institution existe dans nos sociétés actuelles, mais n’est plus appliquée aux formes électorales. On trouve dans les sociétés, comme les banques par exemple, des commis de confiance chargés de telle ou telle mission et étroitement contrôlés et destitués si nécessaire par leurs commettants.
Cette institution existe dans nos sociétés actuelles, mais n’est plus appliquée aux formes électorales. On trouve dans les sociétés, comme les banques par exemple, des commis de confiance chargés de telle ou telle mission et étroitement contrôlés et destitués si nécessaire par leurs commettants.
page de garde d'un cahier de doléances |
Passons maintenant aux élections à 2 degrés pour le Tiers-état à ces États généraux de 1789. Il y avait un 1er degré, qui est celui des assemblées générales de villages, communes, corps de métier etc…
Il y en a eu des dizaines de milliers ! Ces a.g. ont envoyé leurs
commis de confiance, chargés des doléances, à la réunion du second
degré : au siège des justices royales appelées alors bailliage ou sénéchaussée,
situés dans les principales villes. Là, les doléances de chaque
province ont été fondues en un seul cahier et les députés, qui allaient à
Versailles, choisis parmi l’ensemble des députés du degré 1. Ainsi,
tous les députés qui se rendirent à Versailles étaient des commis de
confiance du degré 1, qui ont été choisis, à nouveau, au degré 2 : tous
des commis de confiance donc !
Par ailleurs, pour le Tiers état,
on sait qu’un nombre important de juristes se sont retrouvés commis de
confiance. L’explication est la suivante : un commis de confiance, comme
son nom l’indique, doit être capable de mener à bien sa mission de
défense des doléances : il faut qu’il ait le courage de prendre la
parole dans des assemblées - et SANS MICRO, ne l’oublions pas - il faut
avoir du savoir-faire… et du coffre ! Écoutez Mirabeau, commis de
confiance du Tiers-état d’Aix-en-Provence, qui, bien que noble, a refusé
de siéger dans les a.g. de son ordre et est devenu commis de confiance
du Tiers, eh bien, il en a du coffre, même s’il n’est pas avocat ! On
l’entend encore, deux siècles après ! Lisez ses interventions, vous
entendrez… avant qu’il ne trahisse la cause du peuple et retourne à
celle du roi en été 1790, ce qui lui a coupé la parole : elle est
devenue un chuchotement discret, c’est qu’il ne parlait plus en public…
Mirabeau |
Que
le degré 1 des élections ait choisi des juristes ou des clercs, c’est
compréhensible parce qu’à l’époque, à la différence de la nôtre, être
commis de confiance était une charge, une responsabilité, et les
travailleurs des villes et des campagnes n’avaient pas le temps ni les
moyens de se rendre à ces réunions qu’étaient les États généraux, mais
ils savaient que c’étaient eux, les commettants, qui pouvaient révoquer
ce commis s’il trahissait sa mission ou s’il se révélait incapable de
l’accomplir.
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