Le cercle Le Vent Se Lève (média né en 2016) organisait le 30 novembre dernier
une conférence autour de la thématique de la souveraineté populaire telle
qu’elle a été théorisée et mise en pratique sous la Révolution française.
Florence Gauthier, historienne des révolutions de France et de Saint-Domingue
Haïti, professeur à l’Université Paris 7-Diderot, a centré son intervention sur
l’enjeu des débats sur la souveraineté pendant l’époque révolutionnaire, de
1789 à 1795. Nous retranscrivons ici une partie de son intervention
Au XIVe siècle, le roi
proposa d’intégrer ses sujets à la prise de décision politique en créant les
États généraux dans le royaume de France (il existe d’autres dénominations
comme les Cortès en Espagne ou le Parlement en Angleterre). C’était le grand
conseil du roi et tous les corps du royaume envoyaient leurs mandataires,
chargés de leur mandat : à savoir, les communautés villageoises, les corps de
métiers urbains, les communes urbaines et les deux ordres du clergé et de la
noblesse, organisés eux aussi en corps avec leurs mandataires.
Le peuple, réuni dans le Tiers
état dans le royaume de France, participait aux décisions politiques du royaume
et surtout, avait le droit précieux de consentir le montant des impôts. Droit
précieux que nous avons perdu, mais qui vient pourtant d’entrer en mouvement
revendicatif récemment. Retenons qu’à partir des États généraux, la
souveraineté était partagée entre le roi et ses sujets selon la Constitution du
royaume, fondée sur ce contrat social éclairé par la conscience populaire du «
sens commun du droit ».
Je dois préciser maintenant le
système électoral de tous ces corps : c’est celui du fidei commis en latin,
commis de confiance ou mandataire révocable par ses électeurs. Nous ne le
connaissons plus, il a disparu en France depuis la répression brutale de la
Commune de Paris de 1871 et il est interdit dans la Constitution actuelle comme
je viens de le rappeler. Le commis de confiance est une institution que nous
connaissons encore sous des formes qui ne sont pas celles du système électoral.
Un médecin que l’on choisit : si
on trouve qu’il ne convient plus, on en choisit un autre, tout simplement. Un
ministre est choisit par un roi ou par une assemblée habilitée à le faire. Si
le ministre ne fait pas ce qu’on lui demande, il est remplacé tout simplement.
Dans le système électoral
médiéval, l’assemblée générale des communautés villageoises, à titre d’exemple,
choisissait ses mandataires pour se rendre aux États généraux : ce mandataire
était chargé d’un mandat et il était entretenu par les mandants ou électeurs.
S’il ne remplissait pas son mandat, ses mandants le rappelaient et le
remplaçaient, tout simplement. L’institution du mandataire, choisie, contrôlée
par ses mandants et révocable si elle trahit son mandat a été celle du système
électoral dans toutes les élections depuis le Moyen-âge et a duré des siècles
et faisait partie intégrante de la culture politique du peuple, mais aussi du
clergé ou de la noblesse. L’institution du mandataire n’est pas une institution
démocratique en soi, mais elle le devient lorsque c’est un corps comme les
assemblées générales de communes qui le pratiquent.
Or, depuis le XVIIe siècle, le
roi n’a plus convoqué les États généraux. Je ne peux expliquer les raisons
faute de temps. Et, depuis ce moment, la monarchie a été qualifiée de «
despotique et tyrannique » parce que les sujets du roi étaient exclus de la
prise de décision politique. En 1789, la crise de la monarchie française était
telle que le roi ne pouvait plus gouverner. Louis XVI a choisi de convoquer à
nouveau les États généraux. Ce choix d’une solution politique, en associant ses
sujets aux décisions à prendre pour le futur, est à mettre à son actif. Et la
société s’en est largement réjouie.
Les élections du Tiers état se
sont faites au premier niveau des assemblées générales des habitants des deux
sexes des communautés villageoises, dans les villes divisées en quartiers ou
par corps de métiers et ont choisi leurs mandataires chargés du mandat des
cahiers de doléances. Les mandataires de ce premier niveau se sont retrouvés au
chef-lieu de bailliage et ont choisi, parmi eux, les mandataires qui iraient à
Versailles, mandatés par la refonte des doléances en un cahier de bailliage. Les
États généraux, convoqués selon la tradition le 1er mai, se sont réunis à
Versailles le 5 mai 1789.
ouverture des Etats Généraux (mai 1789) |
Les États généraux se
transforment en Assemblée nationale constituante
A Versailles, un noyau de députés
proposa de donner une Constitution à la France et parvint à entraîner une
majorité de députés, ouvrant ainsi l’acte 1 de la Révolution : le 20 juin 1789
par le Serment du Jeu de Paume, ces députés se déclaraient, par leur propre
volonté, « Assemblée nationale constituante » et juraient de ne point se séparer
avant d’avoir réalisé cette Constitution. La réponse du roi fut la répression :
il se préparait à réprimer militairement les députés et la ville de Paris, qui
suivait avec passion ce qu’il se passait à Versailles.
Pourquoi cette réponse du roi ?
Parce que l’Assemblée nationale constituante lui a retiré sa souveraineté. Et
pourquoi a-t-elle pu le faire ? Parce qu’elle était une assemblée de
mandataires révocables devant leurs électeurs et il s’agissait bien de la
souveraineté populaire en acte : les mandataires de tous les habitants du
royaume.
L’acte 2 de la Révolution s’est
produit en juillet 1789, au moment où le roi préparait la répression. Ce fut le
peuple entier qui se souleva, sous forme de jacqueries énormes, dans quasiment
tout le pays. Les Jacques armés s’en prirent à la féodalité et commencèrent le
brûlement des titres de seigneurie, exprimant clairement leur refus de
maintenir plus longtemps la féodalité. De plus, villes et campagnes prirent le
pouvoir local et créèrent les Gardes nationales avec des citoyens volontaires.
Ce soulèvement appelé par les contemporains « Grande Peur » entraîna
l’effondrement de la grande institution de la monarchie. Pourquoi ? Parce que
les intendants et les gouverneurs militaires, agents du roi, se cachèrent tant
ils avaient peur.
En août 1789, le roi avait perdu
sa souveraineté, son épée et son administration. La nouvelle situation du pays,
au lendemain de la Grande Peur, va mettre en lumière le débat de fond sur la
question centrale de la souveraineté. Le mouvement populaire de juillet a
empêché le roi de réprimer : le peuple s’est armé avec les Gardes nationales et
c’est lui qui a sauvé l’Assemblée constituante.
L’Assemblée vote deux décisions
importantes : le 4 août, elle vote un décret rendant hommage à la jacquerie : «
L’Assemblée nationale détruit entièrement le régime féodal ». Mais elle ne
l’appliquera pas. Et, le 26 août, elle vote une Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen qui expose la théorie politique que je résume : les
principes éthiques sont contenus dans l’article premier : « Les hommes naissent
et demeurent libres et égaux en droits », et dans le droit de résistance à
l’oppression (Art. 2), elle fonde la société politique sur le principe de la
souveraineté populaire et sur la suprématie du pouvoir législatif sur
l’exécutif.
Mais, le principe de l’égalité en
droits va diviser l’Assemblée en un « côté droit » qui refuse la Déclaration
des droits et un « côté gauche » qui s’engage à défendre les principes de la
Déclaration des droits.
A partir de là, le « côté droit »
de l’Assemblée va passer à l’offensive et voter une Constitution établissant
une monarchie constitutionnelle et une aristocratie des riches, qui réserve,
comme son nom l’indique, les droits politiques à un certain niveau de richesses.
C’est la Constitution de 1791, qui a été mise en application de septembre 1791
au 10 août 1792, qui l’a renversée.
Que faisait le mouvement
populaire de 1789 à 1792 ?
Il s’est organisé d’une manière
autonome : les paysans d’une part, qui représentent plus de 85 % de la
population, vont poursuivre les jacqueries. Pourquoi ? Parce que l’Assemblée
nationale ne répond pas à leur programme de suppression de la féodalité et de
récupération des biens communaux usurpés par les seigneurs.
Les jacqueries vont reprendre et
imposer leur rythme à la Révolution. Depuis juillet 1789, il y eut cinq autres
jacqueries, soit deux par an entre 1789 et 1793, qui éclatent à travers le
pays, renforcent le mouvement paysan et son pouvoir local et récupèrent, dans
les faits, des communaux usurpés avec les droits d’usage et poursuivent le
brûlement des titres féodaux. L’Assemblée nationale a décrété la Loi martiale
contre toutes les formes du mouvement populaire, mais n’a pas les moyens de
l’appliquer. Pourquoi ? Parce que les paysans se protègent en s’armant et que
les soldats ne sont pas toujours disposés à réprimer : c’était cela aussi la
Révolution. L’Assemblée nationale, avec la Loi martiale, a déclenché une guerre
civile ouverte.
(à suivre ici)
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