Le cercle Le Vent Se Lève (média né en 2016) organisait le 30 novembre dernier
une conférence autour de la thématique de la souveraineté populaire telle
qu’elle a été théorisée et mise en pratique sous la Révolution française.
Florence Gauthier, historienne des révolutions de France et de Saint-Domingue
Haïti, professeur à l’Université Paris 7-Diderot, a centré son intervention sur
l’enjeu des débats sur la souveraineté pendant l’époque révolutionnaire, de
1789 à 1795. Nous retranscrivons ici une partie de son intervention
En ville, le peuple s’organise en
assemblées générales électorales en quartiers de commune, appelés sections de
commune. Ce fut l’institution révolutionnaire par excellence: les assemblées
générales électorales pour les États généraux se sont maintenues et sont
devenues le lieu de réunion des citoyens des deux sexes, pour préparer des
manifestations, lire de façon collective les journaux, discuter des lois et
reprendre peu à peu les pouvoirs locaux de la commune.
L’Assemblée a bien supprimé dans sa
Constitution de 1791 les assemblées générales communales démocratiques, mais le
mouvement populaire ne lui obéit pas. Par contre, le mouvement populaire
découvre que la Constitution de cette Assemblée nationale viole les principes
de la Déclaration des droits et c’est bien cette contradiction qui fut le
ressort de la Révolution.
La Révolution du 10 août 1792.
En août 1792, la situation s’est
gravement dégradée : le roi a réussi, avec la complicité de l’Assemblée, à
déclarer la guerre dans l’espoir que les armées ennemies vont venir le rétablir
sur son trône. Cette haute trahison du roi conduit le mouvement populaire à
organiser sa propre défense et, le 10 août 1792, les Parisiens et les
volontaires de tout le pays, qui viennent des départements pour défendre les
frontières du Nord, renversent la Constitution de 1791 et la monarchie. Le roi
est emprisonné et la Révolution convoque une nouvelle assemblée constituante,
la Convention.
La Convention est élue au
suffrage universel par les assemblées générales électorales communales et le
système électoral est celui du mandataire révocable. La Convention proclame la
République démocratique : comme avec la Déclaration des droits de 1789, le
principe de la souveraineté populaire est rétabli, avec le système électoral du
mandataire révocable.
Cependant, un nouvel obstacle
apparaît, celui du nouveau « côté droit » de la Convention, formé du parti de
la Gironde. La Gironde va réussir au début de la Convention girondine à
rassembler une majorité de voix sur ses propositions. La Gironde a peur du
mouvement populaire et d’une république démocratique et continue de s’opposer
au programme paysan, qui propose une réforme agraire supprimant la féodalité et
protégeant les biens communaux et leurs droits.
Le programme paysan est complété
par le mouvement populaire urbain qui est victime de la politique de liberté
illimitée du commerce des subsistances : il s’agit de détruire les protections
des marchés publics et d’imposer des pratiques spéculatives qui cherchent à
privatiser le marché afin d’imposer les prix. Nous connaissons bien ces
pratiques aujourd’hui. A l’époque, l’offensive capitaliste visait le marché des
subsistances : il faut bien comprendre que la hausse des prix provoque des
famines et se révèle mortelle pour les salariés aux revenus fixes.
Le mouvement populaire avait
élaboré le programme du Maximum pour répondre à cette offensive mortifère : il
défendait « le droit à l’existence et aux moyens de la conserver comme premier
des droits de l’homme » et avait même, en la personne de Robespierre, exprimé
cela par un concept remarquable : celui « d’économie politique populaire » pour
se libérer de « l’économie politique despotique ». Le mouvement populaire
s’exprimait avec le courant appelé la Montagne. Mais la Gironde lui répondit à
nouveau par la Loi martiale. La Convention était une assemblée constituante et
la Gironde prépara la discussion sur la Constitution, mais l’interrompit en
février 1793, craignant la poussée démocratique. Elle réussit ainsi à gouverner
sans constitution jusqu’à sa chute.
De plus, la Gironde déclara une
guerre de conquête avec l’objectif d’occuper la rive gauche du Rhin : la guerre
était un moyen de prendre le pouvoir et de créer une diversion. Mais, les
peuples occupés n’aimèrent pas la conquête girondine et se défendirent si bien
que la politique girondine échoua : l’adversaire menaçait maintenant les
frontières de la République. C’est alors que la majorité de la Convention
changea et exprima son refus de la politique girondine.
La Révolution des 31 mai-2 juin
1793
Comme pour le 10 août, le peuple
organisa sa propre défense et ce furent les assemblées générales des sections
de Paris, appuyées par les volontaires partant aux frontières, qui organisent
une nouvelle insurrection le 31 mai 1793.
Que demandaient-ils ?
Non la dissolution de la
Convention, mais le rappel des députés de la Gironde qu’ils jugeaient infidèles
depuis plusieurs mois. Le 31 mai, les sections parisiennes vinrent à la
Convention réclamer les 32 députés et ministres qui avaient perdu leur
confiance. La discussion dura jusqu’au 2 juin et les mandataires infidèles
furent destitués.
arrestation des Girondins (juin 1793) |
Voilà un exemple remarquable de
l’application de l’institution du mandataire révocable par le peuple souverain.
Ces 31 mai-2 juin furent pacifiques, il n’y eut ni mort ni blessé. Et les 32
rappelés furent assignés à résidence, chez eux. La Montagne, qui n’était pas
majoritaire en voix à la Convention, fit des propositions qui emportèrent la
majorité des députés. Le premier débat de la Convention montagnarde fut celui
sur la Constitution qui fut votée le 26 juin suivant, avec une Déclaration des
droits naturels, proche de celle de 1789 et une Constitution fondée sur le
principe de la souveraineté populaire et de la démocratie communale.
Le 17 juillet, la Convention
votait enfin la grande Loi agraire qu’attendaient les paysans : suppression des
rentes féodales, partage des terres entre seigneurs et paysans, reconnaissance
de la propriété des biens communaux aux communes, partage égal des héritages
entre les enfants des deux sexes, y compris les enfants naturels et ouvrait une
série de mesures pour distribuer des lopins de terre aux paysans sans terre.
La politique du maximum
concernant le marché des subsistances fut enfin appliquée et la politique
montagnarde prit en mains la défense des frontières. Pour mener à bien cette
politique, la Convention montagnarde renforça la souveraineté populaire au
niveau de l’application des lois.
Ce sera mon dernier point.
L’exécutif était, depuis 1789,
décentralisé : il n’y avait plus d’appareil d’État. L’application des lois se
faisait au niveau local des communes, des districts, des départements par des
administrateurs élus par les assemblées générales communales. En décembre 1793,
la Convention montagnarde organise le Gouvernement révolutionnaire. Pour
empêcher la non application des lois, tactique des contre-révolutionnaires élus
dans les instances démocratiques, la loi du Gouvernement révolutionnaire décida
que l’application des lois se ferait au niveau de la Commune, sous le contrôle
des assemblées générales sur leurs administrateurs élus. Ce fut ainsi que la
législation que je viens de rappeler a pu s’appliquer avec une grande rapidité
et répondre au mouvement populaire et surtout mettre fin à la guerre civile.
La décentralisation communale
sous le contrôle des assemblées générales communales dissuadait efficacement
les actes contre-révolutionnaires. Pour conclure sur la souveraineté populaire
: il n’y a pas eu de dictature avec la Convention montagnarde, mais au
contraire un approfondissement de la démocratie communale, expression de la
souveraineté du peuple, qui contrôlait les pouvoirs publics, le législatif par
le système électoral du mandataire révocable et l’exécutif par la
décentralisation et l’application des lois au niveau de la commune.
Le 9 thermidor-17 juillet 1794,
les opposants à cette République démocratique et sociale faisaient tomber la
Montagne sur un simple vote et détruisirent cette souveraineté populaire, clé
de cette expérience.
Les conséquences du 9 thermidor
sur la souveraineté populaire
Je précise que ce qui a été
maintenu de cette période démocratique a été la réforme agraire : les divers
régimes qui ont suivi thermidor, le Directoire, le Consulat, l’Empire, la
restauration des Bourbons etc. n’ont jamais osé défaire la réforme agraire, qui
s’est maintenue en France.
Il faut souligner que ce fut une
des rares réformes agraires en faveur des paysans qui ait pu se maintenir, ce
n’a pas été le cas ni en URSS ni en Chine au XXe siècle. Louis XVIII répondait
à ses Ultraroyalistes, qui lui demandaient de rétablir la féodalité en France :
« Messieurs, voulez-vous rallumer la guerre civile en France ? ». Alors, les
Ultraroyalistes se sont calmés.
Par ailleurs, il est important de
savoir que la Déclaration des droits naturels de l’homme et du citoyen a été
expulsée, depuis thermidor, du droit constitutionnel français. Vérifiez dans
les Constitutions de la France qui ont suivi, c’est une recherche intéressante
à vérifier. Et ce n’est que plus de 150 ans après, en 1946, à la suite d’une
guerre terrible contre fascisme et nazisme que la Déclaration des droits de
1789 a été réintroduite dans le droit constitutionnel français. Puis, l’ONU a
voté sa « Déclaration universelle des droits de l’homme » en 1948.
Enfin, les droits politiques des
femmes qui existaient depuis le Moyen Âge, ont eux aussi été supprimés à
l’occasion des diverses Constitutions avec leurs diverses formes d’aristocratie
des riches depuis Thermidor.
Après la répression sauvage de la
Commune de Paris de 1871, la Troisième République a annoncé le rétablissement
du suffrage universel, mais c’est inexact : les femmes en étaient exclues et la
misogynie, soit une forme de division du peuple, fut légalisée depuis.
Et ce n’est qu’avec la
Déclaration des droits, en 1946, que les droits politiques des femmes ont été
rétablis en France, les deux ensemble: il est certain que la Résistance a été
un grand moment de retrouvailles avec « le sens commun du droit ».
Mais de nouveau, ce dernier est
attaqué avec virulence.
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