mardi 19 février 2019

L'image du roi au XVIIIè siècle (3)


En 1758, l'affaire Moriceau de la Motte va mettre en évidence cet affaiblissement de l'autorité royale. Arrêté au cours de l'été pour avoir (soi-disant) écrit des placards séditieux contre la personne du roi, cet huissier des requêtes de l'Hôtel va payer au prix fort les décisions enregistrées par le Parlement à la suite de l'affaire Damiens (voir ci-dessous).


 Voyons ce que nous disent les archives de la Bastille à propos de cette arrestation et des premiers interrogatoires.
extrait des archives de la Bastille

extrait des archives de la Bastille
Expéditif (l'arrêt est daté du 6 septembre !), le Parlement condamna à mort cet "auteur de propos séditieux et attentatoires à l'autorité royale". 
Arrêt du Parlement

Alors qu'elle se voulait exemplaire, cette exécution publique fut loin de produire les effets escomptés. Lisons ce que nous en rapporte Barbier dans son Journal.  

Du mercredi 6 septembre, arrêt de la Tournelle.

Le sieur Moriceau de La Motte, huissier des Requêtes de l'hôtel, cerveau brûlé, fanatique et frondeur du gouvernement, homme de cinquante-cinq ans au moins (il s'est marié depuis huit mois et a épousé une maîtresse qu'il avoit), s'est avisé il y a un mois ou deux d'aller dîner dans une auberge rue Saint-Germain de l'Auxerrois, à une table d'hôte de douze personnes, et là, ayant fait tomber la conversation sur la terrible affaire de Damiens, il a parlé avec emportement sur la manière dont ce procès a été instruit, contre le gouvernement, même contre le Roi et les ministres. On dit qu'un abbé qui était à côté de lui lui fit sentir doucement l'imprudence de pareils discours, et que cela ne l'empêcha pas de continuer. Soit par les gens de l'auberge, soit par quelqu'un de la table inquiet des suites d'une pareille déclamation, M. le lieutenant général de police a été averti, et le lendemain cet huissier a été arrêté et conduit à la Bastille, et le scellé mis sur ses papiers. Sur son interrogatoire, il a été renvoyé au Châtelet. Par sentence du 30 août dernier; il a été ordonné qu'ayant fait droit sur les plaintes et accusations du procureur du Roi, il serait appliqué à la question ordinaire et extraordinaire, les preuves demeurant en leur entier. Mais à la prononciation de la sentence, le procureur du Roi, M. Moreau, a déclaré se rendre appelant a minima. On dit que dans ses papiers on a trouvé des placards qui ont été affichés devant et depuis l'assassinat du Roi aux portes des jardins publics et autres. On lui a demandé d'où il tenait ces placards; à quoi il a répondu qu'il les avait arrachés. Mais ces placards n'étaient ni collés ni percés de clous pour avoir été attachés. (…) Cet huissier n'a été appliqué à la question au Châtelet, où il a été renvoyé, que lundi 11 septembre, pour éviter la veille d'une fête ou dimanche. Son arrêt a été crié dans les rues, à midi. Il est convenu, dit-on, à la question, qu'il avait composé les placards; il a fait l'amende honorable avec tranquillité et bien de la résignation, regardant tout le monde d'un air assez gai, priant le peuple de prier Dieu pour lui. Il a conservé le même air en allant à la Grève; il a monté à l'Hôtel de Ville, où il a été environ une heure. On ne sait pas ce qu'il y a dit, mais il n'a fait venir personne. ll s'est mis à genoux un quart d'heure au pied de la potence pour faire sa prière, et il a été pendu sur les cinq heures. Il y avait dans son passage et à la Grève grande affluence de peuple. Quelques-uns disaient qu'on ne fait point mourir pour des paroles et de simples écrits; d'autres espéraient qu'il aurait sa grâce; mais on a voulu faire un exemple sur un bourgeois de Paris, homme ayant une charge, pour réprimer la licence d'un nombre de fanatiques, qui parlent trop hardiment du gouvernement par un esprit de parti, qui est une suite du jansénisme porté loin depuis trois ou quatre ans. On dit qu'en sortant du Châtelet il a demandé des prières, en disant qu'il était la victime des circonstances du temps.


 Cette protestation populaire rapportée par Barbier révèle en fait l'évolution des mentalités. Désormais, dans l'esprit du public, on ne devrait plus avoir le droit de faire "mourir pour des paroles et simples écrits". Le crime de "lèse-majesté humaine" (à l'encontre du roi) ne saurait donc plus être puni de mort.
En perdant sa grandeur et une part de dignité, le roi s'est malheureusement humanisé. 
Or, on ne pend point qui lèse une telle majesté.


 
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