Animateur du salon de
Madame Doublet, où l’on collectait les informations du jour, Louis de
Bachaumont est l’auteur (présumé) des fameux Mémoires secrets, vaste chronique des événements survenus à Paris entre
1762 et 1787.
Ci-dessous
quelques nouvelles concernant l'année 1763. Il y est toujours question de
Rousseau, mais également de l'incendie de l'Opéra.
(Pour lire depuis le 1er épisode)
Janvier 1763.
Il court dans le monde une épigramme sur Fréron, qu'on
dit être de M. de Voltaire : elle est tapée, mais mal digérée. 0n en jugera.
Un
jour loin du sacré Vallon,
Un serpent mordit Jean Fréron.
Savez-vous ce qu'il arriva?
Ce sut le serpent qui creva.
Un serpent mordit Jean Fréron.
Savez-vous ce qu'il arriva?
Ce sut le serpent qui creva.
(NDLR : cette épigramme est effectivement de Voltaire)
Février 1763.
M. d'Alembert s'est décidément refusé aux instances de
l'impératrice des Russies. Bien des gens croient qu'il aurait dû accepter , et
que le gouvernement même aurait dû lui insinuer l'utilité dont il nous aurait
été dans cette cour. Mais M. d'Alembert a-t-il les talents nécessaires pour
l'éducation d'un prince? est-ce un politique , un homme fait pour vivre auprès
des rois ? C'est un Diogène, qu'il faut laisser dans son tonneau.
(NDLR : Sollicité par Catherine, d'Alembert refusera pourtant l'invitation. Durant l'été 1763, il séjournera auprès de Frédéric. Catherine ne lui pardonnera jamais cette dérobade.)
(NDLR : Sollicité par Catherine, d'Alembert refusera pourtant l'invitation. Durant l'été 1763, il séjournera auprès de Frédéric. Catherine ne lui pardonnera jamais cette dérobade.)
Avril 1763.
Entre 11 heures et midi le feu s'est déclaré dans la
salle de l'opéra , et a communiqué avec beaucoup de
violence à la partie qui la lie au Palais-Royal. En très peu de temps
l’'incendie a été terrible : avant que les secours aient pu être apportés,
toute la salle et l'aile de la première cour ont été embrasées Il n'est plus
question d'opéra. Le feu a pris par la faute des ouvriers, et s'est perpétué
par leur négligence à appeler du secours; il avait pris dès huit heures
du matin : ils ont voulu l'éteindre seuls, et n'y ont pu réussir. Les portiers
qui ne doivent jamais quitter, étaient absents.
Si
le fait est vrai, c'est la ville qui doit en répondre et réparer tout le
mal qui en a résulté,
Mai
1761
Plan d'éducation nationale par La Chalotais. Ce magistrat infatigable, après avoir
fait voir la nécessité de profiter de la crise actuelle pour réformer les
études très mauvaises aujourd'hui, vient de déposer au parlement de Bretagne un
ouvrage sur cette matière (…) sans doute que les yeux
se dessilleront enfin , et qu'on opérera un changement si nécessaire. On ne
saurait qu'applaudir surtout, à la guerre constante et raisonnée que M. de la Chalotais
ne cesse d'exercer contre la gent monacale.
Mai
1763.
Il
faut se rappeler ce qui s'est passé à Genève touchant l’Emile de J. J.
Rousseau. Voici la lettre que ce moderne Diogène a écrite au premier syndic,
pour abdiquer le titre et la qualité qu'il a toujours affecté de prendre, de
citoyen de cette république.
«
Revenu du long étonnement où m'a jeté de la part du magnifique conseil le
procédé que j'en devais le moins attendre, je prends enfin le parti que
l'honneur et la raison me prescrivent, quelque cher qu'il en coûte à mon cœur.
Je
vous déclare donc, Monsieur, et je vous prie de déclarer au magnifique conseil,
que j'abdique à perpétuité mon droit de bourgeoisie et de cité de la ville et
république de Genève :
( ) J'ai
tâché d'honorer le nom de Genevois: j'ai tendrement aimé mes compatriotes; je
n'ai rien oublié pour me faire aimer d'eux. On ne saurait plus mal réussir. Je
veux leur complaire jusques dans leur haine : le dernier sacrifice qui me reste
à faire, est celui d'un nom qui me fut cher. Mais, Monsieur, ma patrie en me
devenant étrangère, ne peut me devenir indifférente : je lui reste attaché par
un tendre souvenir , et je n'oublie d'elle que ses outrages. Puisse-t-elle
prospérer toujours et voir augmenter sa gloire! puisse-t-elle abonder en
citoyens meilleurs et surtout plus heureux que moi! Recevez , Monsieur, je vous
supplie, les assurances de mon profond respect. »
(NDLR : ce billet est daté du 24 mai, soit 12 jours après les faits survenus à Genève. On ignore qui informait les habitués du salon de Mme Doublet)
Juin
1763.
On continue a s'entretenir de la lettre de
J. J Rousseau : en rendant justice à la force du raisonnement , à l'énergie du
style de l'auteur , on ne le trouve pas ici plus exempt de contradiction que
dans ses autres ouvrages. En discutant exactement celui-ci, on y sent des
paralogismes, qui induisent à juger qu'il n'est pas intimement convaincu de
tout ce qu'il dit pour conserver son système de singularité : il veut allier à
sa façon de penser, la plus libre et la plus indépendante une forte de religion
incompatible ; il se dit chrétien et il ne croit pas au péché originel :
il rit de nos dogmes et de nos mystères, il les appelle un vrai galimatias ;
il n'adopte que notre morale : mais les, déistes, les athées même en font
autant. On entrevoit que la fermeté du ci-devant citoyen de Genève se dément en
quelque chose; tout courageux qu'il veut paraître , il n’a osé donner sa profession
de foi, purement socratique. II est plus hardi et plus sincère dans son Contrat
Social. (…)
Juin 1763.
L'inoculation, sur laquelle on a tant écrit, est à la veille d'être proscrite.
Le 3 de ce mois le parlement a rendu un arrêt provisoire qui, sans suivre à la
lettre les conclusions des gens du roi , ordonne les précautions les plus sévères
pour employer certe pratique. Il est question d'avoir l'avis des facultés de
médecine et de théologie , avant de statuer définitivement. On regarde cette
marche, comme tendant d'une façon sûre, quoique plus éloignée , à la
destruction du système des inoculateurs. On prétend que des médecins ont excité
le parlement en certe occasion ; ainsi il n'est aucun doute que leur avis fera
très contraire à l'introduction de la nouvelle méthode. Quant à la faculté de
théologie , il suffit que ce soit une nouveauté pour être réputée condamnable:
(…)
(NDLR : il faudra attendre 1774 pour que cette pratique soit acceptée en France)
Juillet 1763.
On a imprimé depuis quelques jours une lettre de J. J. Rousseau de Genève, qui
contient sa renonciation à la société civile, et ses adieux aux hommes. C'est
une déclamation des plus vives contre l'espèce humaine, qu'il taxe de tous les
vices , et qu'il abandonne à ses mœurs corrompues. Libre par la proscription
qu'on a faite de sa personne, il se regarde comme sans maître et sans patrie;
il y déclare qu'il préfère les forêts aux villes infectées d'hommes cruels,
barbares, méchants par principes , inhumains par éducation, injustes par des
lois qu'ont dicté la tyrannie. On serait presque tenté de croire que cette lettre
n'est point de Rousseau, tant elle est extraordinaire.
(NDLR : L'auteur émet des doutes à juste titre. Il s'agit d'un faux, écrit par un dénommé Pierre-Firmin de Lacroix, un avocat toulousain)
(à suivre ici)
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