Animateur du salon de
Madame Doublet, où l’on collectait les informations du jour, Louis de
Bachaumont est l’auteur (présumé) des fameux Mémoires secrets, vaste chronique des événements survenus à Paris entre
1762 et 1787.
Ci-dessous
quelques nouvelles concernant l'année 1764. Il y est question de la mort de la Pompadour, mais ce sont deux grands absents, Voltaire et Rousseau, qui continuent d'occuper le devant de la scène.
Avril 1764.
L'éclipse tant annoncée pour aujourd'hui, et
qui avait attiré l'attention de tout Paris, n'a pas sait une sensation
considérable : l'obscurité a été de peu de durée , et très médiocre , à peu
près comme lorsqu'il va pleuvoir. Toute la cour était à l'observatoire. M. de
Cassiny s'était persuadé que la nuit serait épaisse; en conséquence, l'heure
venue , et le jour pâlissant un peu , il a demandé des bougies , sous
prétexte qu'on ne voyait plus clair. Tous les spectateurs l'ont assuré qu'on
voyait très bien : lui d'insister et d'assurer qu'il ne voyait goutte ; et le
monde de rire , et l'astronome d'être hué...
Avril 1764.
Depuis quelque temps la fureur
d'écrire sur les matières de finance avait passé comme une maladie épidémique :
une Déclaration du Roi du 28 mars, enregistrée le 31 du même mois par la grand'chambre,
semble chercher à ranimer cette rage, par les défenses de rien publier sur cet
objet. On ne peut rien dire d'une autorité aussi mal employée. On motive cette
démarche sur la nécessité de réprimer les auteurs obscurs qui se servent d'un
pareil prétexte pour répandre des calomnies et jeter l'alarme dans les esprits.
La police, chargée de tout .temps de veiller sur la librairie, suffisait pour
arrêter Ies ouvrages imprimés avec permission, .Quant aux autres, que peut y
faire une défense aussi absurde ? On voit avec peine cette déclaration
signée Laverdy. On croit y entrevoir l'empreinte d'un génie petit,
étroit, minutieux et tendant au despotisme.
Avril
1764.
Ce soir
est morte madame la marquise de Pompadour. La protection éclatante, dont elle
avait honoré les lettres, le goût qu'elle avait pour les arts, ne permettent
point de passer sous silence un si triste événement. Cette femme philosophe a
vu approcher ce dernier terme avec la constance d'une héroïne. Peu d'heures
avant sa mort, le curé de la Magdelaine, sa paroisse à Paris, étant venu la
voir , comme il prenait congé d'elle : un moment, lui dit la moribonde, nous
nous en irons ensemble.
Avril 1764.
On a fait sur
madame de Pompadour une épitaphe bien différente de la première, elle est
simple et contient l'historique de sa vie :
Ci-gît qui fut vingt ans pucelle,
Quinze ans catin, et sept ans maquerelle
Elle
a été mariée à vingt ans, et est morte dans la quarante-troisième année de son
âge.
Juin 1764.
II paraît un Mémoire fur l'exportation libre
des grains hors du royaume, qui fait grand bruit. II est plein de vues
profondes, philosophiques et très propres à l'encouragement de l'agriculture, à
l'accroissement de la population, à remonter la marine, enfin à la prospérité
insensible et permanente de l'état. II est d'ailleurs écrit fortement. On
l'attribue à M. de Belle-Isle, attaché à M. le duc d'Orléans.
Juillet 1764. On parle depuis quelques jours d'un ouvrage
qu'on attribue à M. de Voltaire ; il a pour titre Dictionnaire Philosophique
vol, in-8 de 3o pages. La
liberté qui règne dans cet écrit et le nom imposant de son auteur, le font
rechercher avec autant de soin qu'on en prendra surement pour en empêcher la
distribution.
Septembre 1764. La faculté de médecine s'est assemblée ce
matin pour entendre la lecture du mémoire favorable à l'inoculation. II a été
lu par M. Petit, qu'on appelle communément l’Anatomiste. MM. Geofroy,
Lorry, Thiery et Malonart, l'avaient signé. La matière mise en délibération, il
a été arrêté la tolérance de l'inoculation. Cet avis a passé à la
pluralité de cinquante-deux voix contre vingt-cinq.
Septembre 1764.
Nous venons de lire le Dictionnaire
Philosophique de M. de Voltaire. C'est un réchauffé de tout ce qu'on a
écrit contre la religion. Quelques articles sont raisonnés et soutenus
d'arguments forts et difficiles à résoudre, mais empruntés de différents
philosophes dans plusieurs endroits. Le controversiste s'est servi du ridicule,
et l'on sait que ce sont les armes que manie le plus adroitement M. de
Voltaire. Cet ouvrage fait encore plus d'honneur à sa mémoire qu'à son
jugement.
Octobre 1764.
M. de la Condamine ne cesse de militer en
saveur de l'inoculation : de temps en temps il ranime le courage des
combattants par des lettres calculées sur cette matière. II en paraît deux
nouvelles de cet illustre défenseur : son grand argument est que plus de 30000
personnes en France sont tous les ans victimes de la petite vérole naturelle ,
et qu'elle en mutile , estropie ou défigure un plus grand nombre. Au contraire,
cent personnes au plus succomberaient à la nouvelle pratique , en supposant un
accident sur 300. II ne doute point que ce raisonnement ne fasse une grande
impression. Ces deux lettres doivent incessamment être suivies de deux autres
du même auteur, où il rend compte des ouvrages qui ont paru pour et contre
l'inoculation.
Octobre 1764.
M. de Voltaire
ne s'est point borné à écrire à
ses amis en particulier, à ses connaissances, à ses protecteurs mêmes, pour
tâcher de leur persuader qu'il n'avait aucune part au dictionnaire philosophique ; il a encore écrit à I'Académie
française et l'on a fait hier lecture de sa lettre au comité pour désavouer cet
ouvrage, que ses ennemis, suivant lui, cherchent à lui attribuer. On ne peut assez
s'étonner de la constance de ce célèbre écrivain, à croire qu'il fera prendre
le change sur sa parole, comme si chaque ligne de cette œuvre philosophique, ne
portait pas le caractère de son style et de son esprit.
Novembre 1764.
Les noms de
Jean-Jacques Rousseau et de Diderot sont si connus dans le monde, qu'il n'est
pas besoin de rappeler leur célébrité : il vient de se passer un fait trop
singulier pour ne le pas rapporter. Les rebelles de Corse leur ont député pour
les engager à leur dresser un code qui puisse fixer leur gouvernement, ayant en
horreur tout ce qui leur est venu de la part des Génois. Jean-Jacques leur a
répondu que l'ouvrage était au-dessus de ses forces, mais non pas de son zèle,
et qu'il y travaillerait. Quant à Diderot, il s'en est défendu sur son impuissance
à répondre à cette invitation, n'ayant point assez étudié ces matières
pour pouvoir les traiter relativement aux moeurs du pays, à l'esprit des
habitants et au climat, qui doivent entrer pour beaucoup dans l'esprit de législation
propre à la confection d'un code de lois.
II
ne paraît pas étonnant que les Corses se soient adressés à Rousseau, auteur du Contrat
Social, où dans une note très avantageuse il prédit la grandeur inévitable
de cette république : mais à l'égard de Diderot, on ne voit pas en quoi il a pu
mériter une distinction aussi flatteuse.
Pascal Paoli |
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