mardi 27 août 2019

Les Mémoires secrets de Bachaumont (3e épisode-année 1764)


Animateur du salon de Madame Doublet, où l’on collectait les informations du jour, Louis de Bachaumont est l’auteur (présumé) des fameux Mémoires secrets, vaste chronique des événements survenus à Paris entre 1762 et 1787.
Ci-dessous quelques nouvelles concernant l'année 1764. Il y est question de la mort de la Pompadour, mais ce sont deux grands absents, Voltaire et Rousseau, qui continuent d'occuper le devant de la scène.


 Avril 1764
L'éclipse tant annoncée pour aujourd'hui, et qui avait attiré l'attention de tout Paris, n'a pas sait une sensation considérable : l'obscurité a été de peu de durée , et très médiocre , à peu près comme lorsqu'il va pleuvoir. Toute la cour était à l'observatoire. M. de Cassiny s'était persuadé que la nuit serait épaisse; en conséquence, l'heure venue , et le jour pâlissant un peu , il a demandé des bougies , sous prétexte qu'on ne voyait plus clair. Tous les spectateurs l'ont assuré qu'on voyait très bien : lui d'insister et d'assurer qu'il ne voyait goutte ; et le monde de rire , et l'astronome d'être hué...




Avril 1764.  
Depuis quelque temps la fureur d'écrire sur les matières de finance avait passé comme une maladie épidémique : une Déclaration du Roi du 28 mars, enregistrée le 31  du même mois par la grand'chambre, semble chercher à ranimer cette rage, par les défenses de rien publier sur cet objet. On ne peut rien dire d'une autorité aussi mal employée. On motive cette démarche sur la nécessité de réprimer les auteurs obscurs qui se servent d'un pareil prétexte pour répandre des calomnies et jeter l'alarme dans les esprits. La police, chargée de tout .temps de veiller sur la librairie, suffisait pour arrêter Ies ouvrages imprimés avec permission, .Quant aux autres, que peut y faire une défense aussi absurde ? On voit avec peine cette déclaration signée Laverdy. On croit y entrevoir l'empreinte d'un génie petit, étroit, minutieux et tendant au despotisme.

 
une déclaration qui ne fut suivie d'aucun effet


Avril 1764.  
Ce soir est morte madame la marquise de Pompadour. La protection éclatante, dont elle avait honoré les lettres, le goût qu'elle avait pour les arts, ne permettent point de passer sous silence un si triste événement. Cette femme philosophe a vu approcher ce dernier terme avec la constance d'une héroïne. Peu d'heures avant sa mort, le curé de la Magdelaine, sa paroisse à Paris, étant venu la voir , comme il prenait congé d'elle : un moment, lui dit la moribonde, nous nous en irons ensemble.


Avril 1764.  
On a fait sur madame de Pompadour une épitaphe bien différente de la première, elle est simple et contient l'historique de sa vie :
    Ci-gît qui fut vingt ans pucelle,
    Quinze ans catin, et sept ans maquerelle
Elle a été mariée à vingt ans, et est morte dans la quarante-troisième année de son âge.


Juin 1764.  
II paraît un Mémoire fur l'exportation libre des grains hors du royaume, qui fait grand bruit. II est plein de vues profondes, philosophiques et très propres à l'encouragement de l'agriculture, à l'accroissement de la population, à remonter la marine, enfin à la prospérité insensible et permanente de l'état. II est d'ailleurs écrit fortement. On l'attribue à M. de Belle-Isle, attaché à M. le duc d'Orléans.


 
Né d'une bonne intention, le projet fut loin d'obtenir les effets escomptés

Juillet 1764. On parle depuis quelques jours d'un ouvrage qu'on attribue à M. de Voltaire ; il a pour titre Dictionnaire Philosophique  vol, in-8 de 3o pages. La liberté qui règne dans cet écrit et le nom imposant de son auteur, le font rechercher avec autant de soin qu'on en prendra surement pour en empêcher la distribution.

Septembre 1764. La faculté de médecine s'est assemblée ce matin pour entendre la lecture du mémoire favorable à l'inoculation. II a été lu par M. Petit, qu'on appelle communément l’Anatomiste. MM. Geofroy, Lorry, Thiery et Malonart, l'avaient signé. La matière mise en délibération, il a été arrêté la tolérance de l'inoculation. Cet avis a passé à la pluralité de cinquante-deux voix contre vingt-cinq.

Septembre 1764.  
 Nous venons de lire le Dictionnaire Philosophique de M. de Voltaire. C'est un réchauffé de tout ce qu'on a écrit contre la religion. Quelques articles sont raisonnés et soutenus d'arguments forts et difficiles à résoudre, mais empruntés de différents philosophes dans plusieurs endroits. Le controversiste s'est servi du ridicule, et l'on sait que ce sont les armes que manie le plus adroitement M. de Voltaire. Cet ouvrage fait encore plus d'honneur à sa mémoire qu'à son jugement.

 Octobre 1764.  
 M. de la Condamine ne cesse de militer en saveur de l'inoculation : de temps en temps il ranime le courage des combattants par des lettres calculées sur cette matière. II en paraît deux nouvelles de cet illustre défenseur : son grand argument est que plus de 30000 personnes en France sont tous les ans victimes de la petite vérole naturelle , et qu'elle en mutile , estropie ou défigure un plus grand nombre. Au contraire, cent personnes au plus succomberaient à la nouvelle pratique , en supposant un accident sur 300. II ne doute point que ce raisonnement ne fasse une grande impression. Ces deux lettres doivent incessamment être suivies de deux autres du même auteur, où il rend compte des ouvrages qui ont paru pour et contre l'inoculation.

 Octobre 1764.  
 M. de Voltaire ne s'est point  borné à écrire à ses amis en particulier, à ses connaissances, à ses protecteurs mêmes, pour tâcher de leur persuader qu'il n'avait aucune part au dictionnaire philosophique ; il a encore écrit à I'Académie française et l'on a fait hier lecture de sa lettre au comité pour désavouer cet ouvrage, que ses ennemis, suivant lui, cherchent à lui attribuer. On ne peut assez s'étonner de la constance de ce célèbre écrivain, à croire qu'il fera prendre le change sur sa parole, comme si chaque ligne de cette œuvre philosophique, ne portait pas le caractère de son style et de son esprit.

 Novembre 1764
 Les noms de Jean-Jacques Rousseau et de Diderot sont si connus dans le monde, qu'il n'est pas besoin de rappeler leur célébrité : il vient de se passer un fait trop singulier pour ne le pas rapporter. Les rebelles de Corse leur ont député pour les engager à leur dresser un code qui puisse fixer leur gouvernement, ayant en horreur tout ce qui leur est venu de la part des Génois. Jean-Jacques leur a répondu que l'ouvrage était au-dessus de ses forces, mais non pas de son zèle, et qu'il y travaillerait. Quant à Diderot, il s'en est défendu sur son impuissance à répondre à cette invitation, n'ayant point assez étudié ces matières pour pouvoir les traiter relativement aux moeurs du pays, à l'esprit des habitants et au climat, qui doivent entrer pour beaucoup dans l'esprit de législation propre à la confection d'un code de lois.
II ne paraît pas étonnant que les Corses se soient adressés à Rousseau, auteur du Contrat Social, où dans une note très avantageuse il prédit la grandeur inévitable de cette république : mais à l'égard de Diderot, on ne voit pas en quoi il a pu mériter une distinction aussi flatteuse.

Pascal Paoli
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