Animateur du salon de
Madame Doublet, où l’on collectait les informations du jour, Louis de
Bachaumont est l’auteur (présumé) des fameux Mémoires secrets, vaste chronique des événements survenus à Paris entre
1762 et 1787.
Ci-dessous
quelques nouvelles concernant l'année 1767. Il y est surtout question
de la "mise à mort" de Rousseau dans l'opinion parisienne, savamment orchestrée par Voltaire et ses comparses.
Mars 1767.
M. de Voltaire, dans une lettre au chevalier de Pezay , du 6 janvier 1767, rend compte des
menées de M. J. J. Rousseau contre lui.
(NDLR : Datée du 5 janvier, cette lettre "semi-publique" de Voltaire circulait dans le Tout-Paris, dès la fin du mois de février)
Vous savez que ma mauvaise
santé m'avait conduit à Genève auprès de M. Tronchin le médecin, qui alors était
ami de M. Rousseau. Je trouvai les environs de cette ville si agréables que
j'achetai d'un magistrat, 78000 liv., une maison de campagne, à condition qu'on
m'en rendrait 38ooo liv. lorsque je la quitterais. M. Rousseau dès lors conçut
le dessein de soulever le peuple de Genève contre les magistrats.
Il écrivit
d'abord à M. Tronchin , qu'il ne remettrait jamais les pieds dans Genève , tant
que j'y serais. . .
vous
connaissez le goût de Mad. Denis, ma nièce , pour les spectacles : elle en
donnait dans le château de Tournay et dans celui de Ferney , qui sont sur la
frontière de France, et les Genevois y accouraient en foule. Monsieur Rousseau
se servit de ce prétexte pour exciter contre moi le parti qui est celui des
représentants , et quelques prédicants qu'on nomme ministres. Il ne s'en tint
pas là : il suscita plusieurs citoyens ennemis de la magistrature, il les
engagea à rendre le conseil de Genève odieux , et à lui faire des reproches de
ce qu'il souffrait , malgré la loi, un catholique domicilié sur leur territoire...
M. Tronchin
entendit lui-même un citoyen dire, qu'il fallait absolument exécuter ce que
M. Rousseau voulait, et me faire sortir de ma maison des Délices, qui
est aux portes de Genève....
Je prévis
alors les troubles qui s'exciteraient bientôt dans la
petite république de Genève. Je résiliai mon bail à vie, des Délices; je
reçus 38ooo liv. et, j'en perdis 40000 liv. outre environ 3oooo liv. que j'avais
employées à bâtir dans cet enclos.
les Délices, l'"enclos" dont parle Voltaire dans ce courrier |
Je ne
vous parlerai point des calomnies dont il m'a chargé auprès de Mgr. le prince
de Conti et de Mad. la duchesse de Luxembourg. ... Vous pouvez d'ailleurs vous
informer de quelle ingratitude il a payé les services de M. Grimm , de M. Helvétius
, de M. Diderot. . . .
Le ministère est aussi instruit de ses
projets criminels, que les véritables gens de lettres le sont de tous ses procédés;
je vous supplie de remarquer que la fuite continuelle des persécutions qu'il
m'a suscitées pendant quatre années, ont été le prix de l'offre que je lui avais
faite de lui donner en pur don une maison de campagne, nommée l'Hermitage,
que vous avez vu entre Tournay et Ferney....
Que M
Dorat juge à présent s'il a eu raison de me confondre avec un homme tel que M.
Rousseau , et de regarder comme une querelle de bouffons les offenses personnelles
que M. Hume , M. d'Alembert et moi avons été obligés de repousser…
(NDLR : Entre 1755 et 1760, Voltaire connut en effet les pires difficultés pour monter son théâtre privé à Genève. C'est de là, n'en doutons pas, qu'est née sa haine à l'égard de Rousseau. Au demeurant, ce courrier n'est qu'un tissu de mensonges...)
Juin 1767
On écrit d'Angleterre en effet, que J. J.
Rousseau , après s'être brouillé avec M. Davenport, son hôte, lui a écrit une
lettre dans le goût de celle à M. Hume , où il lui dit un éternel adieu, ainsi
qu'à la Grande-Bretagne. Il a dû s'embarquer le 22 mai pour revenir en France,
ou du moins pour la traverser, et se rendre d'abord à Amiens , où ses
amis l'attendent. On assure que sa tête est bien affaiblie, et sa conduite et
son silence paraissent le confirmer.
(NDLR : Bachaumont est une fois encore bien informé des moindres faits et gestes du Genevois. Rousseau venait de débarquer à Calais quelques jours plus tôt, le 22 mai)
Juin 1767
On écrit
d'Amiens que Rousseau s'est rendu dans cette ville, que ses partisans l'y ont
accueilli avec tout l'enthousiasme qu'il est capable d'inspirer; que certains
même avaient proposé de lui rendre des honneurs publics et de lui offrir les
vins de ville : qu'un homme plus sage a représenté de quelle conséquence serait
un pareil éclat en faveur d'un accusé , dans les liens des décrets et dans le
ressort du même parlement qui l'a décrété. On s'est contenté de le fêtoyer à
huis clos, et il s'est rendu à Fleury , où il est chez M. de Mirabeau,
l'auteur de l'Ami des Hommes. On continue d'assurer que le moral se
ressent chez lui beaucoup du physique, qui est en très mauvais état.
(NDLR : décrété de prise de corps, Rousseau était toujours sous la menace d'une arrestation)
Juillet 1767
J. J.
Rousseau n'a passé que huit jours à Amiens, où, comme on l'a dit, il a été fort
couru et fort célébré. M. le prince de Conti l'a envoyé chercher à mi-chemin
d'Amiens à Paris, et l'on présume qu'il est à présent à l'Isle-Adam : il
déclare avoir renoncé à écrire, et paraît ne s'occuper que de botanique.
(NDLR : le prince de Conti lui avait offert l'asile au château de Trie.)
Juillet 1767
On continue
à spéculer sur les étranges opérations de M. J. J. Rousseau : on assure qu'il
jouit d'un bien-être très honnête. Il paraît constant qu'outre 1800 liv. de
rentes qu'il a, il reçoit, malgré toutes ses réclamations, la pension du roi
d'Angleterre , qui est de 2000 livres.
(NDLR : de toute évidence, ses anciens "amis" parisiens continuaient d'alimenter cette rumeur, faisant passer Rousseau pour un tartuffe)
(à suivre ici)
(à suivre ici)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Pour commenter cet article...