vendredi 11 octobre 2019

Les Mémoires secrets de Bachaumont (6e épisode-année 1767)


Animateur du salon de Madame Doublet, où l’on collectait les informations du jour, Louis de Bachaumont est l’auteur (présumé) des fameux Mémoires secrets, vaste chronique des événements survenus à Paris entre 1762 et 1787.


Ci-dessous quelques nouvelles concernant l'année 1767. Il y est surtout question de la "mise à mort" de Rousseau dans l'opinion parisienne, savamment orchestrée par Voltaire et ses comparses. 

 
Bachaumont


Mars 1767.  
M. de Voltaire, dans une lettre au chevalier de Pezay , du 6 janvier 1767, rend compte des menées de M. J. J. Rousseau contre lui.
(NDLR : Datée du 5 janvier, cette lettre "semi-publique" de Voltaire circulait dans le Tout-Paris, dès la fin du mois de février

Vous savez que ma mauvaise santé m'avait conduit à Genève auprès de M. Tronchin le médecin, qui alors était ami de M. Rousseau. Je trouvai les environs de cette ville si agréables que j'achetai d'un magistrat, 78000 liv., une maison de campagne, à condition qu'on m'en rendrait 38ooo liv. lorsque je la quitterais. M. Rousseau dès lors conçut le dessein de soulever le peuple de Genève contre les magistrats.

Il écrivit d'abord à M. Tronchin , qu'il ne remettrait jamais les pieds dans Genève , tant que j'y serais. . .

vous connaissez le goût de Mad. Denis, ma nièce , pour les spectacles : elle en donnait dans le château de Tournay et dans celui de Ferney , qui sont sur la frontière de France, et les Genevois y accouraient en foule. Monsieur Rousseau se servit de ce prétexte pour exciter contre moi le parti qui est celui des représentants , et quelques prédicants qu'on nomme ministres. Il ne s'en tint pas là : il suscita plusieurs citoyens ennemis de la magistrature, il les engagea à rendre le conseil de Genève odieux , et à lui faire des reproches de ce qu'il souffrait , malgré la loi, un catholique domicilié sur leur territoire...

M. Tronchin entendit lui-même un citoyen dire, qu'il fallait absolument exécuter ce que M. Rousseau voulait, et me faire sortir de ma maison des Délices, qui est aux portes de Genève....

Je prévis alors les troubles qui s'exciteraient bientôt dans la petite république de Genève. Je résiliai mon bail à vie, des Délices; je reçus 38ooo liv. et, j'en perdis 40000 liv. outre environ 3oooo liv. que j'avais employées à bâtir dans cet enclos.
les Délices, l'"enclos" dont parle Voltaire dans ce courrier


Je ne vous parlerai point des calomnies dont il m'a chargé auprès de Mgr. le prince de Conti et de Mad. la duchesse de Luxembourg. ... Vous pouvez d'ailleurs vous informer de quelle ingratitude il a payé les services de M. Grimm , de M. Helvétius , de M. Diderot. . . .

 Le ministère est aussi instruit de ses projets criminels, que les véritables gens de lettres le sont de tous ses procédés; je vous supplie de remarquer que la fuite continuelle des persécutions qu'il m'a suscitées pendant quatre années, ont été le prix de l'offre que je lui avais faite de lui donner en pur don une maison de campagne, nommée l'Hermitage, que vous avez vu entre Tournay et Ferney....

Que M Dorat juge à présent s'il a eu raison de me confondre avec un homme tel que M. Rousseau , et de regarder comme une querelle de bouffons les offenses personnelles que M. Hume , M. d'Alembert et moi avons été obligés de repousser

 (NDLR : Entre 1755 et 1760, Voltaire connut en effet les pires difficultés pour monter son théâtre privé à Genève. C'est de là, n'en doutons pas, qu'est née sa haine à l'égard de Rousseau. Au demeurant, ce courrier n'est qu'un tissu de mensonges...)



 Juin 1767 
On écrit d'Angleterre en effet, que J. J. Rousseau , après s'être brouillé avec M. Davenport, son hôte, lui a écrit une lettre dans le goût de celle à M. Hume , où il lui dit un éternel adieu, ainsi qu'à la Grande-Bretagne. Il a dû s'embarquer le 22 mai pour revenir en France, ou du moins pour la traverser, et se rendre d'abord à Amiens , où ses amis l'attendent. On assure que sa tête est bien affaiblie, et sa conduite et son silence paraissent le confirmer.

 (NDLR : Bachaumont est une fois encore bien informé des moindres faits et gestes du Genevois. Rousseau venait de débarquer à Calais quelques jours plus tôt, le 22 mai)


Juin 1767
 On écrit d'Amiens que Rousseau s'est rendu dans cette ville, que ses partisans l'y ont accueilli avec tout l'enthousiasme qu'il est capable d'inspirer; que certains même avaient proposé de lui rendre des honneurs publics et de lui offrir les vins de ville : qu'un homme plus sage a représenté de quelle conséquence serait un pareil éclat en faveur d'un accusé , dans les liens des décrets et dans le ressort du même parlement qui l'a décrété. On s'est contenté de le fêtoyer à huis clos, et il s'est rendu à Fleury , où il est chez M. de Mirabeau, l'auteur de l'Ami des Hommes. On continue d'assurer que le moral se ressent chez lui beaucoup du physique, qui est en très mauvais état.
(NDLR : décrété de prise de corps, Rousseau était toujours sous la menace d'une arrestation)



Juillet 1767
J. J. Rousseau n'a passé que huit jours à Amiens, où, comme on l'a dit, il a été fort couru et fort célébré. M. le prince de Conti l'a envoyé chercher à mi-chemin d'Amiens à Paris, et l'on présume qu'il est à présent à l'Isle-Adam : il déclare avoir renoncé à écrire, et paraît ne s'occuper que de botanique.

(NDLR : le prince de Conti lui avait offert l'asile au château de Trie.)

Juillet 1767 
On continue à spéculer sur les étranges opérations de M. J. J. Rousseau : on assure qu'il jouit d'un bien-être très honnête. Il paraît constant qu'outre 1800 liv. de rentes qu'il a, il reçoit, malgré toutes ses réclamations, la pension du roi d'Angleterre , qui est de 2000 livres.
(NDLR : de toute évidence, ses anciens "amis" parisiens continuaient d'alimenter cette rumeur, faisant passer Rousseau pour un tartuffe

(à suivre ici)
 

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