Animateur du salon de
Madame Doublet, où l’on collectait les informations du jour, Louis de
Bachaumont est l’auteur (présumé) des fameux Mémoires secrets, vaste chronique des événements survenus à Paris entre
1762 et 1787.
Ci-dessous
quelques nouvelles concernant l'année 1768, marquée par la mort de la reine Marie Leczynska. Il y est toujours question de Rousseau, que ses ennemis parisiens continuent de surveiller.
Juin I768
Il est très vrai que Rousseau
est ici depuis près d'un an, c’est-à-dire, depuis son retour d'Angleterre. II
est sous un nom étranger, et dans le ressort du parlement de Normandie. C'est
le prince de Conti qui lui donne un asile à Try. Quand il y vint, malgré la
recommandation du prince, ses gens n'eurent pas beaucoup
d'égards pour un homme simple, sans mine et
qui mangeait avec la gouvernante.
L'inconnu eut la
délicatesse de ne point se plaindre, mais il écrivit à son protecteur de ne
point trouver mauvais qu'il quittât ce lieu, et de lui permettre de se
soustraire à ses bienfaits. Le prince de Conti se douta de ce qu’il en était ; il arrive chez lui, il arrache son
secret à Rousseau, il le fait manger avec lui, assemble sa maison, et menace de
toute son indignation dans les termes les plus énergiques celui qui manquera à
cet étranger.
Du reste
y il paraît faux que ce grand homme fasse imprimer
à présent ses mémoires, comme on a dit ; sa gouvernante assure même qu'il a
tout brûlé. Il est revenu de la vanité d'auteur : à peine a-t-il une plume et
de l'encre chez lui (NDLR : à lire
ces lignes, on devine combien ses anciens amis parisiens – Louise d’Epinay,
Diderot, Grimm- redoutaient la parution de ces mémoires). Il botanise
depuis le matin jusqu'au soir, et forme
un herbier considérable ; il a très peu de relations, ne lit rien, aucun papier
public, et ne saura peut-être jamais que M. de Voltaire ait fait une épître où
il le plaisante.
Juillet 1768.
Le bruit court que M. Rousseau
est sorti de sa retraite de Try et est
passé à Lyon, sans qu'on donne d'autres raisons de cette émigration que
l'inconstance du personnage (NDLR :
Rousseau avait effectivement quitté Trie pour Lyon, avant d’épouser Thérèse à
Bourgoin) : on ne sait s'il restera dans cette ville, où il se trouve dans
le ressort du parlement de Paris : on présume qu'il y a conservé son nom
étranger.
Août 1768.
La Grève
n'a point désempli depuis quelque temps, et les supplices de toute espèce se
sont succédés sans relâche. Ce spectacle affligeant pour l'humanité a réveillé
la question si importante, de savoir si un homme a le droit d'en faite périr un
autre ? On discute de nouveau le code criminel ; on en démontre l'absurdité,
l'atrocité. On s'étonne que nos magistrats n'aient pas encore porté aux pieds
du trône leurs représentations sur cette matière. (NDLR : Le traité de Beccaria, Des délits et des peines, venait d'être
traduit par l’abbé Morellet en 1766)
Nos philosophes voudraient
qu'on tournât au profit du bien public les bras dont on prive l'état par tant
d'exécutions. Ils prétendent avoir résolu toutes les objections que l'on pourrait
faire, et nous donner
pour exemple de la possibilité de concilier cette indulgence avec la sûreté
générale, celui de la feue impératrice de Russie, qui pendant son règne s'était
imposé la loi de ne point signer un arrêt de mort ; ils trouvent honteux qu'il
nous vienne du nord de pareilles leçons de morale et de législation.
(à suivre ici)
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