Animateur du salon de
Madame Doublet, où l’on collectait les informations du jour, Louis de
Bachaumont est l’auteur (présumé) des fameux Mémoires secrets, vaste chronique des événements survenus à Paris entre
1762 et 1787.
Ci-dessous
quelques nouvelles concernant l'année 1769, marquée par le nouveau triomphe de Voltaire dans l'affaire Sirven.
Janvier 1769 :
Les libraires de Paris se
proposent de faire une nouvelle édition du fameux Dictionnaire de
l'Encyclopédie. On ne peut qu'applaudir à cette entreprise , si les éditeurs
savent profiter des justes critiques qu'on a faites de ce célèbre ouvrage,
dépôt éternel des connaissances et des délires de l'esprit humain. On sait avec
quelle négligence nombre d'articles ont été rédigés, combien d'autres ont dicté
la passion et l'esprit de parti, comment la cupidité a introduit dans cette
société une quantité de manœuvres à ce travail : en sorte que les deux tiers de
cette compilation immense ont besoin d'être refondus ou du moins revus et corrigés.
Mais le lieu même paraît déjà faire craindre qu'on ne laisse pas aux auteurs
toute la liberté qu'exige un livre de cette espèce. L'impression de Paris est
sujette à tant de gênes, tant de gens se mêlent de cette partie de la police,
on y est si facile à donner accès aux plaintes des mécontents de tout genre, de
tout ordre, de tout caractère, qu'il est presque impossible qu'une entreprise de
cette étendue y arrive à sa perfection.
(NDLR : les deux derniers volumes de planches paraîtront en 1772. Quant à l'Encyclopédie Panckoucke, elle ne verra le jour que bien plus tard, en 1782)
Mars 1769 :
M. de Bougainville raconte
beaucoup de choses de son voyage, il prétend entre autres merveilles avoir
découvert aux Terres Australes une nouvelle île, dont les mœurs sont admirables
, dont l'administration civile fait honte aux gouvernements les plus policés de
l'Europe : il ne tarit point sur les détails charmants qu'il en raconte. Il est
bien à craindre que ce nouveau Robinson n'ait acquis ce goût du merveilleux, si
ordinaire aux voyageurs, et que son imagination exaltée ne lui fasse voir les
objets tout autres qu'ils ne sont.
Avril 1769.
Par différentes lettres que
monsieur de Voltaire a écrites dans ce pays-ci, on sait que ce grand poète a
renouvelé cette année le spectacle édifiant de l'année dernière, et qu'il a
encore fait ses pâques avec beaucoup de dévotion, mais
d'une façon moins publique : il a prétexté des incommodités pour rester dans
son lit et recevoir la communion chez lui.
On apprend que M. de Voltaire,
avant sa communion dernière, a prononcé un beau et pathétique discours , où il
s’est expliqué catégoriquement sur la foi, et où il a renié toutes ces
malheureuses brochures qu’on lui attribue.
(NDLR : Désireux de rentrer en France, Voltaire multipliait depuis plus d'un an les appels du pied à destination de la Cour. Ses efforts demeurèrent vains...)
Juillet 1769.
On vient d'imprimer
un petit recueil contenant la réquisition de monsieur de Voltaire à son curé,
en date du 30 mars dernier, pour le solliciter de lui donner la communion chez
lui, attendu les infirmités de ce seigneur, qui ne lui permettent pas de se rendre
à l'église; il fait valoir toutes les autorités de la puissance spirituelle et
temporelle, dont il appuie sa demande : une déclaration du malade, en date du
31 mars, qui, sur le point de satisfaire au devoir pascal par les mains du curé
rendu chez lui à sa réquisition
, fait l'énumération des articles de sa croyance, dont il fait serment ensuite
sur son Dieu qu'il tient dans la bouche (…) A la suite de ces différentes pièces
est un certificat de plusieurs témoins et habitants de Ferney, qui déposent de
la religion, des mœurs et du bien qu'a fait M. de Voltaire dans la paroisse
depuis qu'il y est , paroisse qui est dans le meilleur état aujourd'hui, et dont
la population est augmentée du double depuis qu'il y réside.
Il était réservé à
nos jours, et à un génie aussi original que celui de M. de Voltaire, de donner
un pareil spectacle, d'en répandre les détails par l'impression, et de les
consigner dans un écrit public pour les faire passer jusques à la postérité la
plus reculée. Cet auteur impie, non content d'avoir couvert la religion de tous
les ridicules possibles, par des écrits de toutes espèces reproduits sous mille
formes différentes, et dont plusieurs se divulguaient encore au moment où il
tenait son Dieu dans la bouche, semble avoir voulu y mettre le dernier sceau,
par une farce que nos ancêtres plus zélés auraient puni des plus cruels
supplices.
Juillet 1769 :
M. de Bougainville, après avoir
présenté au roi, aux princes et aux ministres le sauvage qu'il a ramené de son
dernier voyage, se fait un plaisir de le produire chez les particuliers curieux
de le voir. Sa figure n'a rien d'extraordinaire, ni en beauté ni en laideur ;
il est d'une taille plus grande que petite, d'un teint olivâtre ; ses traits
sont bien prononcés et caractérisent un homme de trente ans. Il est fort bien
constitué ; il ne manque point d'intelligence ; il s'exprime encore mal en
français, et mélange sa langue avec
celle-là. M. de Bougainville prétend connaître environ trois cents mots de la
sienne. Ce patagon ( car il veut qu'il soit tel ) se fait très bien à ce
pays-ci ; il affecte de ne rien trouver de frappant, et il n'a témoigné aucune
émotion à la vue de toutes les beautés du château de Versailles. Il aime beaucoup notre cuisine, boit et mange avec une grande présence
d'esprit ; il se grise volontiers ; mais sa grande passion est celle des
femmes, auxquelles il se livre indistinctement. Elle est généralement celle de
ses compatriotes. M. de Bougainville prétend que, dans le pays où il a pris ce
sauvage, un des principaux chef du lieu, hommes et femmes se livrent sans
pudeur au péché de la chair ; qu'à la face du ciel et de la terre ils se copulent
sur la première natte offerte, d'où il est venu l'idée d'appeler cette île l’île
de Cythère, nom qu'elle mérite également par la beauté du climat, du sol,
du site, du lieu et de ses
productions. Du reste, quand on le pousse de questions sur la position
véritable de sa découverte, ce voyageur s'enveloppe mystérieusement et ne se
laisse point pénétrer.
(NDLR : placé sous la protection de Bougainville, Aotourou demeura en France jusqu'en 1770)
Décembre
1769 :
On a parlé depuis longtemps des
mouvements que M. de Voltaire s'était donnés pour faire rendre justice à la
famille des Sirven, ces malheureux père et
mère, accusés d'être auteurs du meurtre de leur fille, et condamnés
comme tels par contumace au parlement de Toulouse. Ils ont eu le courage de se
rendre en cette ville, de faire juger la contumace, et ils ont été déclares
généralement innocents : on les a remis en liberté et en possession de tous
leurs biens, qui avaient été confisqués au profit du Roi par le domaine, suite
nécessaire de l'arrêt.
Cet événement, qu'on doit
principalement aux soins et aux
réclamations de M. de Voltaire, assure de plus en plus à ce poète philosophe
une place parmi les bienfaiteurs de l'humanité.
(NDLR : dans son épître à Boileau (1768), Voltaire avait écrit : "du fond de mes déserts aux malheureux propices / pour Sirven opprimé, je demande justice")
à suivre ici
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