samedi 15 mars 2014

Marion Sigaut à Montréal



Diantre ! Sur les Lumières, il existerait donc des archives "interdites" ! Plus sérieusement, si vous vous intéressez au discours contre-révolutionnaire, je vous conseille de retourner aux sources, à Joseph de Maistre, à l'Irlandais Edmond Burke, et même à Augustin Barruel.
Quelques références ci-dessous, évidemment disponibles en ligne.

Joseph de Maistre, Considérations sur la France

Edmond Burke, Réflexions sur la révolution de France

Augustin Barruel, Mémoires pour servir à l'histoire du jacobinisme

vendredi 14 mars 2014

Histoire de la Révolution Française, par Florence Gauthier (4)

Par Florence Gauthier, Université Paris VII Denis Diderot



Le côté droit se déclare contre la Déclaration des droits

La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen était à peine votée que le parti colonial exprimait son refus des principes déclarés en des termes remarquables : ils présentaient en effet la Déclaration des droits comme la terreur des colons :

"Nous avons senti d'abord que ce nouvel ordre de choses devait nous inspirer la plus grande circonspection. Cette circonspection a augmenté… elle est devenue une espèce de terreur lorsque nous avons vu la déclaration des droits de l'homme poser, pour base de la constitution, l'égalité absolue, l'identité de droits et la liberté de tous les individus."

L'équivalence qui apparaît ici sous forme de : "la Déclaration des droits est la terreur des colons", surprenante pour un lecteur du XXe siècle, exprime de façon particulièrement troublante le paradoxe qui hante le mot terreur. Jean-Pierre Faye a souligné que la résonance historique du mot terreur date de la Révolution française. Le parti colonial jette ici une lumière crue sur sa genèse inattendue. Et ce fut l'ensemble du côté droit, et pas seulement le parti colonial, qui reprit et développa ce thème jusque dans ses ultimes conséquences comme nous le verrons.

Ce fut à partir de la fin de l'année 1790 que le mouvement démocratique commença à formuler clairement, à l'égard de la politique d'ensemble de l'Assemblée constituante, des critiques qui mettaient en lumière les contradictions accumulées par ses décrets avec les principes de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Donnons quelques exemples. Le maintien de l'esclavage et la reconnaissance du ségrégationnisme dans les colonies violaient l'article un de la Déclaration des droits : "Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits." Le système censitaire qui excluait les citoyens passifs violait la conception universelle du droit naturel déclaré et les articles trois et six : "Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation. (…) La loi est l'expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants à sa formation." La loi martiale violait ces mêmes principes et l'article deux qui reconnaissait le droit de résistance à l'oppression : "Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression."
 
Robespierre
Robespierre synthétisa cette critique dans un des textes fondateurs du mouvement démocratique, en mettant en pleine lumière comment les décrets de l'Assemblée constituante avaient imposé une nouvelle forme d'esclavage civil et politique aux exclus et introduit une définition de la liberté qui contredisait celle qui était à l'œuvre dans la Déclaration des droits :

"Enfin, la nation est-elle souveraine quand le plus grand nombre des individus qui la composent est dépouillé des droits politiques qui constituent la souveraineté ? Non, et cependant vous venez de voir que ces mêmes décrets les ravissent à la plus grande partie des Français. Que serait donc votre Déclaration des droits si ces décrets pouvaient subsister ? Une vaine formule. Que serait la nation ? Esclave : car la liberté consiste à obéir aux lois qu'on s'est données et la servitude à être contraint de se soumettre à une volonté étrangère. Que serait votre constitution ? Une véritable aristocratie. Car l'aristocratie est l'état où une portion des citoyens est souveraine et le reste sujets. Et quelle aristocratie ! La plus insupportable de toutes, celle des Riches."
 
Ile de Saint-Domingue (1763)
À peine la Constitution de 1791 était-elle achevée que l'insurrection des esclaves de Saint-Domingue rendait caduque sa politique coloniale esclavagiste et ségrégationniste. Dans la nuit du 22 au 23 août 1791, les esclaves de la plaine du Cap découvraient leurs propres forces. Ils avaient saisi l'occasion inespérée que leur offrait la guerre des épidermes qui affaiblissait, pour la première fois, la domination de la classe des maîtres blancs et de couleur. Moins de deux ans plus tard, ce fut encore la région du Cap qui initia la suppression de l'esclavage.

L'Assemblée législative, qui succéda en France à la Constituante, répondit en reconnaissant les droits civils et politiques aux gens de couleur et créa, du nom de son décret, les citoyens du 4 avril 1792. La mesure arrivait trop tard puisque l'insurrection des esclaves avait mis la liberté pour tous à l'ordre du jour, mais elle introduisait un morceau du principe d'égalité en droit dans une société coloniale qui s'effondrait.
 
insurrection de Saint-Domingue
En France, le projet belliciste du parti de Brissot visait à dévoyer la Révolution dans une guerre de conquête en Europe qui permettrait de s'enrichir, de trouver des alliés et de détourner le mouvement populaire et démocratique de ses objectifs économiques et politiques. Or, le roi et la reine surent utiliser le projet brissotin à leur profit : déclarer la guerre et laisser les armées austro-prussiennes réprimer le mouvement démocratique et restaurer le pouvoir royal. La guerre fut déclarée par l'Assemblée législative le 20 avril 1792 et le roi, chef de l'exécutif, invita son état-major à la perdre. Ces trahisons provoquèrent la Révolution du 10 août 1792.

3. La Révolution du 10 août 1792 prépare une nouvelle constitution

Cette Révolution qui s'est trouvée encadrée par les deux dernières jacqueries, répondit immédiatement au mouvement paysan, avant même que la Convention ne soit élue, par la législation agraire des 20-28 août 1792 qui reconnaissait la propriété des biens communaux aux communes et supprimait, sans rachat bien sûr, l'ensemble des droits seigneuriaux sur les censives. Les communaux usurpés par droit de triage depuis 1669 étaient restitués aux communes. Cette législation expropriait, on le voit, la seigneurie d'une importante partie de ses biens.

La Convention fut élue au suffrage universel. Dans les campagnes et dans les sections populaires des villes, les femmes participèrent fréquemment au vote, selon d'ailleurs la tradition villageoise. Le 21 septembre date de sa première réunion, la Convention votait à l'unanimité l'abolition de la royauté en France.

Le parti brissotin, que l'on désignait du nom de Gironde depuis sa rupture avec le club des Jacobins, était devenu le point de ralliement des adversaires de la Révolution du 10 août et de la démocratie. S'il fit partie du côté gauche sous la Législative, il forma le côté droit de la Convention. Minoritaire en nombre d'élus, la Gironde obtint la majorité des suffrages dans les premiers mois de la Convention.

Combattant ouvertement le mouvement populaire, le gouvernement girondin refusa de mettre en application la législation agraire des 20-28 août 1792. La poursuite de la guerre du blé permit d'ouvrir un débat remarquable, de septembre à décembre 1792 à la Convention, et de préciser les programmes. Mais le 8 décembre 1792, la Convention votait les propositions girondines qui consistaient à reconduire la politique de la Constituante en faveur de la liberté illimitée du commerce des grains et de son moyen d'application qu'était alors la loi martiale.

Ce refus girondin d'entendre le peuple ne parvint cependant pas à empêcher le mouvement démocratique de prendre en mains une partie de la politique économique. En effet, la démocratie communale qui s'inventait en France s'empara, durant l'automne et l'hiver 1792-93, de la politique des subsistances, de la fixation des prix des denrées de première nécessité, de la fourniture des marchés, de l'aide aux indigents. Ainsi, le ministère de l'intérieur dirigé par le girondin Roland se vit peu à peu dépouillé de ses attributions au profit des communes. Soulignons que ce fut de cette manière que la séparation des pouvoirs se réalisa en France, à cette époque, et que se construisit, dans la pratique, une véritable démocratie communale où les citoyens réunis dans leurs assemblées générales de village, ou de section de commune urbaine, élisaient leur conseil municipal, les commissaires de police, les juges de paix. Ces mêmes assemblées générales contrôlaient leurs élus chargés de l'application des lois, mais aussi de la politique des subsistances comme de l'aide sociale. Précisons qu'il n'y avait pas ce que nous connaissons sous les termes de centralisation administrative avec appareils d'Etat séparés de la société.

Le programme d'économie politique populaire fut défendu par la Montagne. Ce terme de Montagne désignait non un parti organisé au sens où nous l'entendons aujourd'hui, mais plus précisément un projet général, un ensemble de principes exposés dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et qui tenaient lieu de boussole pour la réflexion et l'action. Chaumette, qui fut procureur général syndic de la Commune de Paris, en donna une définition qui mérite d'être rappelée : la Montagne, ce rocher des droits de l'homme.

Des partis, il en existait un grand nombre, comme les clubs, les sociétés populaires, les sociétés de section. Certains s'affiliaient par correspondance, par affinité, pour organiser une campagne, lancer une pétition, envoyer une délégation dans une autre section, une région, à la Convention pour y présenter une réclamation ou un projet de loi. Ce fut de cette manière qu'une très forte conscience de la souveraineté du peuple, associée à l'exercice effectif de la citoyenneté comme participation à l'élaboration des lois, se forma à cette époque. Dans les fêtes de 1792-94, le peuple souverain était représenté par Hercule, image de la force et de l'unité bien sûr, mais aussi de ses durs travaux, car la construction de la liberté civile et politique n'était pas facile : Hercule accomplissait des exploits en gravissant la Montagne qui conduisait à la liberté, à sa réciprocité l'égalité, et à la fraternité.

Pour tenter de freiner les progrès d'Hercule, la Gironde qui voyait bien qu'à l'intérieur la réalité du pouvoir lui échappait, tenta de s'opposer à la Révolution du 10 août 1792 en calomniant le peuple et la Montagne. Elle voulut empêcher le procès du roi, puis sa condamnation, mais échoua. Elle tenta de dévoyer la Révolution en provoquant la guerre de conquête en Europe. Or, la guerre qu'elle présentait sous l'aimable figure de la libération des peuples tourna à l'annexion pure et simple avec le décret du 15 décembre 1792. Mais les peuples annexés n'aimèrent pas les missionnaires armés et résistèrent à l'occupation. Sur le plan politique, la guerre de conquête girondine fut un échec cinglant qui divisa les peuples européens, contribua à les détourner de la révolution et renforça leurs princes dès lors qu'ils résistèrent aux armées françaises d'occupation. La tragédie de la République de Mayence, dont l'échec contraignit les partisans à se réfugier en France, illustre les conséquences désastreuses de cette guerre de conquête.

La Montagne représentée sur cette question par Robespierre, Marat, Billaud-Varenne, avait dénoncé, dès ses premières annonces en 1791, les erreurs et les dangers que comportait une telle politique. La Montagne s'opposait, au nom du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, à toute guerre de conquête et cette question fut un point de rupture avec le parti brissotin-girondin. Robespierre et Grégoire, en particulier, contribuèrent à renouveler les principes d'un droit des gens respectueux des droits des peuples, opposé à toute forme de conquête, qu'elle soit militaire ou commerciale, et jetèrent les fondements d'une cosmopolitique de la liberté, dans l'espoir de mettre un terme aux politiques conquérantes des puissances européennes.

En ce qui concerne les colonies esclavagistes, et en particulier à Saint-Domingue, le gouvernement girondin ne favorisa pas la Révolution qui s'y développait. Depuis la fin de l'année 1791, de nombreux colons émigrèrent à Londres et cherchèrent l'appui du ministre Pitt. Les dirigeants de la contre-révolution coloniale, Malouet, Cougnacq-Myon, Venault de Charmilly, Montalembert négocièrent l'occupation britannique des colonies françaises pour y conserver l'esclavage et s'engagèrent à fournir des officiers et des soldats français à la marine britannique. Au printemps 1793, la marine britannique se renforçait à la Jamaïque tandis que Montalembert et la Rochejaquelein préparaient un débarquement à Saint-Domingue.

Ce fut dans ce contexte que le gouvernement girondin nomma en février 1793 un gouverneur pour Saint-Domingue, Galbaud, qui atteignit l'île en mai. Galbaud joua la carte des colons esclavagistes et tenta de destituer les commissaires civils Polverel et Sonthonax qui préparaient, eux, l'abolition de l'esclavage. La bataille du Cap allait tourner à l'avantage de Galbaud lorsque l'intervention des esclaves insurgés changea la donne. Galbaud battu prit la fuite entraînant derrière lui celle de 10.000 colons : c'était la fin de la domination blanche à Saint-Domingue.

Polverel et Sonthonax avaient été sauvés par les esclaves insurgés et entreprirent alors de soutenir de toutes leurs forces personnelles la Révolution de la liberté générale et de l'égalité de l'épiderme.
 
Sonthonax, commissaire civil envoyé à St Domingue
Le 24 août 1793, les habitants de la région du Cap présentaient une pétition réclamant la liberté générale. Le 29 août, Sonthonax prit l'initiative de généraliser la liberté dans toute l'île et proclama, pour la première fois à Saint-Domingue, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Puis, il proposa d'organiser l'élection par les nouveaux citoyens d'une députation de Saint-Domingue qui irait porter la nouvelle à la Convention et demanderait, avec le maximum de publicité, son soutien à la Révolution française. L'élection eut lieu au Cap le 23 septembre. Six députés furent élus selon le principe de l'égalité de l'épiderme : 2 noirs, 2 blancs et 2 métissés. Quelques jours plus tard les députés Belley, Dufaÿ et Mills, drapeau vivant de l'égalité de l'épiderme, s'embarquaient pour la France, via les Etats-Unis. Pour le lobby colonial, la députation ne devait pas arriver vivante à Paris et, de fait, elle mit quatre mois à atteindre la France, subit des agressions tout au long de sa route, mais parvint à échapper à ses ennemis.

À Saint-Domingue, la marine britannique avait débarqué, en septembre 1793, en deux points de l'île pour tenter de faire barrage à la révolution de la liberté générale qui commençait en Amérique.

mardi 11 mars 2014

Histoire de la Révolution Française, par Florence Gauthier (3)


Par Florence Gauthier, Université Paris VII Denis Diderot 



Six jacqueries de 1789 à 1792

À la proposition paysanne, l'Assemblée constituante répondit donc par le rachat des droits féodaux. Le décret du 15 mars 1790 rendit même le rachat impossible en contraignant les paysans aisés et les paysans pauvres à racheter tous ensemble, ce qui était irréalisable. Elle révélait une volonté d'un grand nombre de seigneurs, nobles ou roturiers, de faire tout ce qui était possible pour maintenir intactes les rentes seigneuriales. Elle se préparait aussi à la manière forte en décrétant la loi martiale le 23 février 1790. On voit aussi que la contre-révolution seigneuriale croyait que le mouvement populaire n'était qu'un feu de paille qu'elle estimait pouvoir réprimer aisément.

"Jamais législation ne déchaîna une plus grande indignation". Les paysans comprenaient que l'Assemblée les trahissait. Cinq nouvelles jacqueries suivirent celle de juillet 1789 jusqu'à la Révolution du 10 août 1792 :

-deuxième jacquerie de l'hiver 1789-90, en Bretagne, Massif central, Sud-ouest,

-troisième jacquerie de l'hiver 1790-91, de la Bretagne à la Gascogne,

-quatrième jacquerie de l'été 1791, du Maine au Périgord, du Massif central au Languedoc,

-cinquième jacquerie du printemps 1792, dans le Bassin parisien, le Massif central, le Sud-ouest et le Languedoc,

-sixième jacquerie de l'été-automne 1792, dans l'ensemble du pays.


Ces mouvements paysans armés conjuguaient des troubles de subsistance, le refus de payer impôts, dîmes et redevances seigneuriales et poursuivaient le brûlement des titres de propriété des seigneurs comme la récupération des biens communaux usurpés.

Reprise de la Guerre du blé

L'Assemblée constituante avait, par ailleurs, tenté une nouvelle expérience de liberté illimitée du commerce des grains. La guerre du blé reprit à une échelle de plus en plus vaste. Les troubles de subsistance prirent des formes inédites. Les marchés publics étant dégarnis, les gens durent se rendre chez les producteurs pour y chercher des grains et interceptèrent des convois de blés circulant par terre ou par bateaux afin de constituer des greniers populaires.

Aristocratie des riches ou démocratie ?

La peur sociale des possédants avaient conduit l'Assemblée à établir un suffrage censitaire, réservant la citoyenneté aux possédants, ce que l'on appela alors une aristocratie des riches. La réponse du mouvement démocratique fut de créer, d'une part des sociétés populaires qui effectivement se multiplièrent, ouvrant un espace public d'information, de discussion de tous les problèmes d'actualité et de propositions sous forme de pétitions, d'autre part en investissant les assemblées primaires, lieux de réunion créés pour l'élection des députés aux Etats généraux en 1788-89.


Le système censitaire en était venu à diviser les citoyens en deux groupes, les citoyens actifs, qui jouissaient de l'ensemble des droits civils et politiques et les citoyens passifs privés de l'exercice des droits politiques et exclus de la société politique.

Le mouvement démocratique tenta partout où il le put d'empêcher l'éviction des citoyens passifs de ces assemblées primaires devenues, depuis la réorganisation des municipalités, des assemblées de sections de communes. Notons que dans les campagnes, les assemblées générales des communautés villageoises réunissaient habituellement les habitants des deux sexes, tout comme les assemblées de sections populaires des villes : l'exclusion des femmes et des citoyens passifs caractérisait alors les réunions de citoyens actifs.

Soulignons encore que le système censitaire excluait même de l'exercice des droits politiques les fils adultes qui n'avaient pas encore hérité de leurs parents et ne payaient pas d'impôts. Il faut noter que la conception d'un droit personnel était défendue par les défenseurs des droits naturels réciproques, droits attachés à la personne et à toutes les personnes, et non à la fortune. Il y avait donc bien des conceptions divergentes du droit et des comportements sociaux et politiques qui séparaient l'aristocratie des riches du mouvement démocratique.

La loi martiale

Dans une grande loi martiale du 26 juillet 1791 récapitulant les décrets partiels précédents, l'Assemblée constituante avait criminalisé, sous les termes d'attroupement séditieux toutes les formes que revêtait le mouvement populaire depuis le début de la Révolution : refus de payer les redevances féodales, dîmes ou impôts, troubles de subsistance s'opposant à la soi-disant liberté du commerce des grains, grèves de salariés ruraux et urbains. Précisons que la loi Le Chapelier qui visait la répression des grèves des ouvriers agricoles, les plus nombreux à l'époque, et celles des artisans urbains faisait partie intégrante de la loi martiale et se retrouve dans la grande loi récapitulative du 26 juillet 1791. Ces attroupements séditieux seraient réprimés par la loi martiale. Elle fut appliquée de façon courante dans les campagnes et une fois, de façon particulièrement brutale, à Paris, sous le nom de fusillade du champ de Mars, le 17 juillet 1791.


La constitutionalisation de l'esclavage dans les colonies

Dans les colonies esclavagistes d'Amérique, le système du marché d'esclaves situé en Afrique entra en crise dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, car il était de plus en plus difficile de se procurer des captifs et leur prix haussa. Un courant d'économistes, dont les physiocrates puis leurs successeurs autour de Turgot, proposèrent diverses solutions qui consistaient à transformer le système de reproduction de la main-d'œuvre. Ces solutions furent en partie expérimentées au XVIIIe siècle. Il s'agissait de substituer au marché de captifs situé en Afrique un élevage d'esclaves sur place, dans les colonies. Le système du coolie trade connut aussi ses débuts. L'idée de coloniser l'Afrique elle-même en y créant des plantations se fit jour et des sociétés coloniales entamèrent des pourparlers et des voyages de prospection à cette fin.

En France, le banquier Clavière confia à son secrétaire Brissot le soin de fonder une Société des Amis des Noirs en 1788, en s'inspirant des Sociétés du même nom créées à Londres et à Manchester. Clavière et Brissot s'adressaient aux planteurs et aux négociants, leur projet était de résoudre la crise de la main-d'œuvre esclave en préparant les colons et les gouvernements à remplacer la traite des captifs africains par l'élevage d'esclaves sur place. Plus tard, Condorcet, membre de la Société des Amis des Noirs, envisageait, après un rodage de l'élevage d'esclaves sur plusieurs générations, un changement de statut qui permettrait à l'esclave de se racheter, en indemnisant son maître, et de devenir un travailleur salarié dit libre.

Par contre, un courant défendant les droits communs de l'humanité remit en question la politique de puissance et de conquête menée par la monarchie et l'économie de domination qui s'était inventée dans les colonies d'Amérique. Une Société des citoyens de couleur se créa en 1789. Un de ses leaders, Julien Raimond, rencontra Cournand et Grégoire et contribua à éclairer le côté gauche sur la situation dans les colonies d'Amérique et sur les activités du parti colonial, réuni dans le club Massiac, qui influençait la politique de l'Assemblée constituante par Barnave et ses amis Lameth propriétaires de sucreries à Saint-Domingue.

Pour comprendre la situation de Saint-Domingue, il est nécessaire de préciser que les colons privilégiés par le roi au XVIIe siècle avaient épousé des femmes africaines et créé ainsi une nouvelle humanité métissée dont ils firent leur héritière. La seconde génération des planteurs était largement métissée ainsi que les suivantes jusqu'à ce qu'une concurrence apparaisse entre les colons créoles (nés dans la colonie) et de nouveaux colons venus faire fortune. Ces derniers estimèrent qu'il leur serait possible d'exproprier les colons de couleur afin de prendre leurs biens. Le préjugé de couleur apparut et se développa dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Il consistait à créer une ségrégation à l'intérieur de la classe des maîtres, afin d'en exclure ses membres discriminés par la couleur.

Les colons ségrégationnistes réussirent à prendre le pouvoir à la faveur des évènements de 1789 et voulurent épurer la classe dominante de ses éléments métissés. En 1789-90, les assemblées coloniales de Saint-Domingue furent formées par les colons blancs exclusivement, tandis que des violences s'exerçaient contre les libres de couleur et les blancs qui les soutenaient, annonçant une Saint-Barthélemy des libres de couleur. Une crise sans précédent s'ouvrit, divisant et affaiblissant la classe des maîtres à Saint-Domingue. Les libres de couleur en vinrent à s'armer pour se protéger et créèrent des zones de refuge. Ils abandonnèrent aussi les milices locales qui maintenaient le système esclavagiste en place. Pris entre la menace d'une extermination par les colons ségrégationnistes et le maintien de l'ordre esclavagiste, ils en vinrent assez rapidement à choisir de s'allier avec les esclaves. Un processus révolutionnaire s'engageait à Saint-Domingue.

Julien Raimond, riche colon métissé qui se trouvait en France, informa donc quelques révolutionnaires de la situation explosive des colonies et les aida à comprendre la politique des colons et leur influence dans la société française comme dans l'Assemblée constituante. Raimond aidait le côté gauche à élaborer sa position sur la question coloniale et ce même côté gauche l'aidait aussi à construire un projet révolutionnaire dans une société coloniale où la liberté et l'égalité, conçues par opposition à l'esclavage civil et politique, y étaient absolument inconnues. Se nouait ici un échange remarquable, un projet de cosmopolitique de la liberté, expérience, bien que précieuse, qui n'a guère été aperçue à l'exception de quelques trop rares historiens. (à suivre)
JB Belley, député de Saint Domingue à la Convention


vendredi 7 mars 2014

Histoire de la Révolution Française, par Florence Gauthier (2)


Par Florence Gauthier, Université Paris VII Denis Diderot


Révolution : acte II

Le second acte de la Révolution se joua dans les campagnes. L'immense jacquerie de juillet 1789, appelée Grande Peur, se répandit à la vitesse du tocsin. Si l'on tient compte du fait qu'elle prenait le relais des révoltes paysannes du printemps précédent, ce fut l'ensemble des campagnes qui entra en insurrection contre le régime féodal.

Les révoltes paysannes conjuguaient des émeutes de subsistance avec des insurrections armées de caractère anti-monarchique, en s'opposant aux intendants, au fisc et à la justice, anti-ecclésiastique en refusant le paiement des dîmes, et surtout anti-féodal. Sur ce point, les communautés villageoises s'en sont prises directement aux titres de propriété des seigneurs, qu'ils soient nobles, roturiers ou ecclésiastiques, soit pour les brûler, soit pour contraindre le seigneur à signer un acte de renonciation à la perception de ses droits dans l'avenir. Elles récupérèrent aussi des biens communaux usurpés par les seigneurs et s'en servirent immédiatement en envoyant leurs bêtes y pâturer et en y rétablissant les droits d'usage.

C'est donc bien la destruction de la seigneurie qui était visée par ces actes qui s'en prenaient avec une rare violence à l'institution seigneuriale, mais non aux personnes. Georges Lefebvre, l'historien de cette Grande Peur a souligné ce fait très remarquable : durant la Grande Peur, plusieurs centaines de demeures seigneuriales furent visitées, les titres de propriété brûlés, quelques châteaux furent démontés, parfois incendiés, mais il n'y eut pas de violence contre les seigneurs ou leurs domestiques.


Par la même occasion, la grande institution de la monarchie se trouva paralysée, les administrateurs abandonnant leur poste et préférant fuir ou se cacher.

Ce fut la paysannerie qui fit une offre de contrat social à la seigneurie. Pour la mieux saisir rappelons rapidement la structure de la seigneurie à cette époque. En 1789, la seigneurie était formée de deux parties, la réserve seigneuriale et le domaine des censives. La réserve seigneuriale rassemblait le lieu de résidence du seigneur, des terres cultivées pour l'entretien de sa maison, des terrains jugés utiles comme des forêts où il exerçait le noble sport de la chasse et des terres que le seigneur louait sous forme de métayage ou de fermage. Le domaine des censives connaissait une forme de propriété complexe puisque les droits y étaient partagés entre seigneur et paysans censitaires. Le cens était récognitif de la seigneurie, mais aussi des droits du censitaire et en premier lieu de son droit de tenure héritable. Le seigneur ne pouvait exproprier le tenancier et ce dernier devait payer des redevances et se soumettre à la justice seigneuriale.


On retiendra qu'en 1789 la moitié environ des terres cultivées du Royaume relevaient du domaine des censives et l'autre de la réserve seigneuriale (terres louées en fermage ou en métayage).

L'offre de contrat social que la paysannerie faisait à la seigneurie était de partager la seigneurie : le domaine des censives aux censitaires et la réserve au seigneur. Par ailleurs, en ce qui concerne les biens communaux, la paysannerie refusait tout partage et réclamait, d'une part la reconnaissance de cette forme de propriété aux communautés villageoises, d'autre part la restitution de tous les communaux usurpés depuis 1669, date d'un édit royal de compromis qui admettait, dans certaines conditions, l'appropriation du tiers de ces biens par les seigneurs, les deux tiers restant à la communauté villageoise.

Enfin, en ce qui concerne les terres louées en fermage ou en métayage, la paysannerie proposait une législation de renouvellement des baux qui, pour aller à l'essentiel, supprimait leur caractère précaire et réduisait le montant des rentes à payer. L'esprit de cette dernière proposition visait à ménager l'accès le plus libre possible à la terre, instrument de travail élémentaire du paysan. Soulignons qu'ici la paysannerie était divisée, les vœux des petits exploitants différaient des intérêts des gros fermiers entrepreneurs de culture. Dans les régions proches des villes, ces gros fermiers recherchaient le juteux marché des subsistances urbaines et s'entendaient entre eux pour se réserver les locations de terres et en écarter les petits exploitants.

Revenons à la proposition formulée par la paysannerie. Elle exprimait tout d'abord une conception de l'association qui affirmait le droit à la vie et aux moyens de la conserver pour tous, y compris pour les seigneurs en tant que personnes, et refusait l'exclusion d'une partie de ses membres. La paysannerie n'a pas dit aux seigneurs qu'elle voulait tout leur prendre, y compris leur vie, mais qu'ils voulaient tout prendre et qu'elle leur proposait de partager. Ici, l'expression paysanne s'en prenait au monopole foncier seigneurial pour en arrêter la progression. En effet, les seigneurs espéraient encore s'approprier le domaine des censives, afin de supprimer le cens dont le montant était très inférieur à celui des rentes sous forme de métayage ou de fermage.

L'offre de la paysannerie s'appuyait sur le droit d'héritage dans une perspective de suppression complète des redevances. Des terres de ce type existaient au Moyen Age et portaient le nom d'alleu, terre libre qui n'était soumise à aucun droit féodalo-seigneurial. Précisons que la conception de la propriété seigneuriale se référait à une forme de propriété exclusive du sol, de type romain. Mais celle de la paysannerie correspondait à une généralisation de l'alleu qui remplacerait la censive : le brûlement des titres de propriété du seigneur exprima, on ne peut plus clairement, cette volonté d'allodialisation des censives par le feu.

Trop souvent, l'historiographie a voulu voir un mystérieux instinct de propriété attribué à une non moins mystérieuse mentalité paysanne qui, loin d'éclairer la conception paysanne du droit, rend opaque la lutte pluri-séculaire des paysans contre les différentes formes de rente. Qu'on le comprenne bien, l'alleu n'est pas une forme de propriété exclusive, mais combine des droits individuels et collectifs, bien connus des historiens et encore mieux des paysans eux-mêmes !

En second lieu la proposition paysanne laisse nettement apercevoir que les communautés villageoises se prenaient en charge sur le plan de la direction économique et sociale de l'agriculture et affirmaient qu'elles avaient pleinement conscience du caractère purement rentier et parasitaire de la seigneurie, à quelques très rares exceptions près. Elles se présentaient alors comme les héritières de la seigneurie sur le plan de la direction économique des campagnes, ce qu'elles devinrent avec la Révolution.

À la proposition paysanne, la seigneurie répondit, en partie, par la négative et provoqua la guerre civile en France. Mais la résistance seigneuriale fut finalement battue et l'offre de la paysannerie se réalisa sous la forme d'une réforme agraire et de l'adoption, par la législation révolutionnaire, de la conception paysanne du droit.

2. La Constitution de 1791 contre la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen

La grande jacquerie paysanne n'obtint pas la réponse favorable qu'elle attendait. Elle avait effrayé les propriétaires de seigneuries, qu'ils soient nobles ou roturiers et l'Assemblée constituante rusa, lors de la Nuit du 4 août 1789, en répondant de façon contradictoire à la demande paysanne. En effet, l'Assemblée décréta d'une main ce qu'elle reprit de l'autre. Elle énonça un principe de nature constituante en décrétant que : "l'Assemblée nationale détruit entièrement le régime féodal" et répondait ici à l'attente paysanne, mais elle le vida de son contenu en retenant le rachat des droits féodaux : pour se libérer des redevances pesant sur les censives, les paysans devaient indemniser le seigneur. Par son refus de décider clairement, l'Assemblée laissait aux rapports de force le soin de le faire : quatre ans de guerre civile et deux révolutions suivirent avant que la législation réponde favorablement à la paysannerie.

Par ailleurs, l'Assemblée promit, cette même Nuit du 4 août, de donner une déclaration des droits, comme base constitutionnelle. Le 26 août suivant, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen était votée. Ce texte déclarait les droits naturels de l'homme et du citoyen en référence à la philosophie du droit naturel moderne et à ses principes de résistance à l'oppression, de souveraineté comme bien commun d'un peuple, et de droit réciproque. C'est alors que le clivage côté gauche-côté droit prit son sens politique, le côté gauche voulant appliquer les principes de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, le côté droit cherchant à les éluder et, si possible, à se débarrasser de ce texte, jugé encombrant, qui condensait la théorie de cette révolution des droits de l'homme et du citoyen. (à suivre)
Florence Gauthier

jeudi 6 mars 2014

Histoire de la Révolution Française, par Florence Gauthier (1)


Par Florence Gauthier, Université Paris VII Denis Diderot


Esclavage ou liberté ? La Révolution française, révolution des droits de l'homme et du citoyen, abolit le régime féodal et l'esclavage dans les colonies, sans indemnités en faveur des seigneurs et des maîtres. Le bonnet rouge de la liberté exprima le lien entre ces deux grandes conquêtes de la liberté civile et politique de portée mondiale. Il signalait encore leur origine commune dans l'esclavage, qu'il s'agisse de l'héritage de l'esclavage antique dans les formes du servage et dans les transformations pluriséculaires des rapports féodaux, ou de l'esclavage moderne créé par des Européens dans les colonies d'Amérique.

Par ailleurs, des rapports de type capitaliste se développaient à l'époque dite moderne. On pouvait voir, en France, les progrès de la concentration de la propriété foncière par l'expropriation d'une partie grandissante de la paysannerie de ses tenures héritables, mais aussi ceux de la concentration de l'exploitation agricole aux mains d'une étroite couche de fermiers entrepreneurs de culture qui pratiquaient la réunion des fermes en rassemblant dans leurs mains les différents marchés de terre en location, et encore la formation d'un marché privé des subsistances. Ici, le pouvoir économique transformait le besoin social de se nourrir en arme alimentaire, ou guerre du blé, qui tuait, comme nous le savons, sous forme de disettes factices.

La Révolution en France fut l'expression de la résistance populaire à ces formes capitalistes désignées par l'expression précise d'économie politique tyrannique à laquelle répondit la revendication et l'élaboration d'une économie politique populaire. Un débat exemplaire s'ouvrait ici, il dure encore.

Dans les colonies d'Amérique, la plantation sucrière, avec sa main-d'œuvre importée selon les besoins du planteur, une division du travail purement manuel pour les travaux des champs et hautement mécanisé en ce qui concerne la transformation des sucres, produisait pour l'exportation et autorisait des profits attractifs : elle permettait de faire véritablement fortune au XVIIIe siècle. Cette plantation sucrière était le produit d'un capitalisme esclavagiste qui fit l'admiration des philosophes économistes, connus en France sous le nom de physiocrates. Elle provoqua aussi la critique de cette économie de domination qui, après avoir détruit et dépeuplé les Indes occidentales, les repeuplèrent de captifs africains mis en esclavage pour servir du café sucré arrosé de tafia sur les tables d'Europe.

La Révolution en France fut aussi une expérience d'invention d'une démocratie déclarant les droits de l'homme et du citoyen, caractérisée par l'immense tâche de la construction de la souveraineté populaire, l'élargissement d'un espace public démocratique, la construction d'un pouvoir législatif suprême et d'une citoyenneté participant effectivement à l'élaboration des lois.

En effet, la théorie révolutionnaire des droits de l'homme et du citoyen concevait la liberté civile et politique par opposition avec l'esclavage. Postulant l'unité du genre humain, né libre et ayant des droits naturels, la liberté était conçue sous deux aspects :

- la liberté personnelle, fruit précieux des massacres des guerres de religion qui firent voir les moyens pratiques de protéger la liberté de pensée et de conscience par un droit conçu comme réciproque : je suis libre à condition de n'être soumis au pouvoir d'aucun autre homme ET à condition de ne soumettre aucun autre homme à mon pouvoir,

- la liberté en société, ou citoyenneté, moyen pratique pour maintenir le droit de liberté personnelle : on est libre en société lorsqu'on obéit, non aux hommes, mais à des lois à l'élaboration desquelles on a participé et donné son consentement.

Cette théorie politique, centrée sur le postulat selon lequel l'être humain est fait pour vivre libre, s'affirma tout au long de l'époque moderne, comme un libéralisme de droit réciproque, ou, si l'on préfère, de l'égalité des droits. On aperçoit ici un problème : que ce libéralisme de droit réciproque ait pu être une théorie révolutionnaire aux XVI-XVIIIe siècles n'est plus guère audible aujourd'hui. Cette théorie de la liberté a été confisquée et détournée ultérieurement de son sens et de ses objectifs, comme nous le verrons.

1. Les prolégomènes de la liberté. 1789.

Les Etats généraux réunis à Versailles le 5 mai 1789 se transformèrent en Assemblée nationale constituante, le 17 juin, puis, par le Serment du jeu de Paume le 20 juin, jurèrent de ne pas se séparer avant d'avoir donné une constitution à la France.

Révolution : acte I
 
ouverture des Etats Généraux (mai 1789)
Tout le processus de convocation des Etats généraux, le système électoral ouvrant le droit de vote aux chefs de famille domiciliés (de l'un et de l'autre sexe), la rédaction des cahiers de doléances, l'élection de députés mandatés par leurs électeurs, le remplacement des Etats généraux, conseil élargi du roi, par l'Assemblée nationale constituante, tout cela constitue le contrat social révolutionnaire et fut vécu comme tel par les contemporains. Ces notions de souveraineté de la nation, de contrat social, de constitution, de citoyenneté, de pouvoir législatif suprême n'étaient pas des idées abstraites, ni éloignées du peuple, mais bien au contraire des idées largement popularisées et devenues des actes. L'Assemblée constituante avait mis fin aux Etats généraux de sa propre initiative et instauré un pouvoir nouveau, émanant des élections, et qui venait de renverser la monarchie de droit divin en France et de transférer la souveraineté du roi au peuple. Ce fut l'acte un de la Révolution. (à suivre)

mardi 4 mars 2014

Nous y sommes...


Il me manque encore un titre, mais maintenant qu'il est achevé, Louise pose un regard bienveillant sur mon travail...

William della Rocca vous offre Rousseau à domicile


Si vous souhaitez être informé(e) des soirées à venir, veuillez écrire à
jeanjacquesetmoi@free.fr

samedi 1 mars 2014

Mémoires du Marquis d'Argenson (5)

Etrangement méconnue, l'oeuvre littéraire du Marquis d'Argenson (1694-1757) révèle pourtant un regard lucide sur la situation politique et économique du Royaume de France.


Les quelques extraits que je reproduis ci-dessous datent tous de l'année 1756. On y découvrira notamment un compte rendu plutôt croustillant des intrigues menées par la Marquise de Pompadour. Mais en ce début 1756, c'est la guerre contre l'Angleterre qui est au centre de toutes les attentions, et plus particulièrement les difficultés financières auxquelles le royaume de France se trouve confronté.
le marquis d'Argenson


2 janvier. 

...l'on voit la misère du peuple qui augmente par ces calamités, et la dépense de la cour provenir de pillages et de paraguantes (ndlr: pots-de-vin). Les ministres ne sont les maîtres de rien, les favoris et les favorites en grand nombre arrachent toutes les grâces qu'ils veulent, et nous voyons aujourd'hui tout l'argent de circulation porté aux mains du Roi. Voilà de quoi décrier ce ministère, et faire tout craindre au peuple; il ne lui reste que le parlement pour l'appuyer, et Dieu sait à quoi il tient que la subtilité du ministère n'arrache ce dernier appui à la liberté.

7 janvier. 

—L'on a porté ces jours-ci au parlement, c'est-à-dire à M. le président et au parquet, un édit pour remettre l'impôt du dixième pendant la guerre, c'est-à-dire le doublement du vingtième. L'on croit que le parlement va y faire de grandes difficultés, comme sur la quantité d'emprunts et de papiers royaux dont Sa Majesté est déjà garnie, les impôts remis sur les consommations de Paris au 1er de ce mois, etc. J'entends dire cependant que le parlement se bornera à demander pour toute modification que, trois mois après la paix, et sans qu'il soit besoin de nouvel édit, les deux vingtièmes soient supprimés de droit.

9 janvier. 

 — Le public est très-mécontent de la réimposition du dixième ou doublement du vingtième. L'on n'y voit pas de sujet, la guerre étant trop peu avancée, et l'argent qu'elle coûtera se tenant encore dans le dedans du royaume. On ne ménage point les termes, l'on trouve M. de Séchelles un tyran et un bas courtisan qui ne cherche qu'à flatter la royauté. Il est de plus à remarquer que le vingtième a été extrêmement perfectionné par M. de Machault, c'est-àdire poussé très-loin pour l'exaction, de sorte que le dixième que l'on va payer sera le cinquième qu'on aurait payé en 1744. J'ai vu des Bretons qui parlent sur cela avec menace de révoltes: ils disent que plus ces exactions seront poussées, moins cela durera, ce qui sent la menace.
 
la Marquise de Pompadour
10 février.  

— Dimanche au soir, fut déclaré à Versailles que la marquise de Pompadour était reçue au nombre des dames du palais de la Reine, d'où l'on conjecture que c'est aussi une déclaration qu'elle n'est plus ouvertement maîtresse du Roi; l'on dit même qu'elle commence à parler dévotion et molinisme; ainsi elle va chercher à plaire à la Reine comme elle a fait au Roi. Tout ce crédit que nous lui voyons depuis trois ans que le Roi a de nouvelles maîtresses, n'est que la récompense de la douceur et de l'honnêteté avec lesquelles elle a pris les infidélités de son amant; cela n'est que précaire. L'on conjecture que cette dame va rester l'amie du Roi, mais que l'assiduité diminuera dans l'exercice de cette amitié. Elle sera conciliatrice entre le mari et la femme, l'arbitre et le canal des grâces pour la famille royale, régulière pour les pratiques de religion, si elle n'est pas dévote, charitable, d'une conduite irréprochable, déclarée sans pollution à l'égard du Roi, amie de tout le monde, enfin jouant à la cour le plus grand rôle, et aussi digne d'un bon esprit qui a tiré grand parti de sa faveur et de ses grâces naturelles, qu'elle était peu destinée à le tirer d'une basse naissance et d'une intelligence très-ordinaire.

12 février. 

—On s'en doutait : la marquise devient dévote pour plaire à la Reine, cependant elle conserve toujours son rouge et a soin de sa parure plus que jamais. Elle a pris pour confesseur le P. de Sacy, jésuite, célèbre déjà par quelques ouvrages et surtout par des directions : voilà l'ordre des jésuites tout relevé (ndlr : ce même Père de Sacy, procureur général des missions, sera bientôt impliqué dans un scandale financier dans les Antilles). Elle se lève la nuit pour prier, elle va à la messe tous les jours, elle mange maigre fêtes et dimanches, on a bouché les portes les plus secrètes qui allaient de son appartement à celui du Roi, enfin que de bigoterie pour plaire à la Reine et à la Maison royale! L'on dit même que cette pieuse amie engage notre monarque à la dévotion et que Sa Majesté fera ses pâques, mais elle est bien riche, dit-on, et elle devrait restituer aux pauvres. Elle a écrit à son mari pour lui offrir de se remettre avec lui, et la réponse de celui-ci lui était dictée; il répond donc que le genre de vie qu'il a embrassé lui en a formé une habitude qu'il ne peut quitter, et qu'elle est bien dans le pays qu'elle habite. Ainsi, voilà la Reine et la famille royale bien satisfaites sur la régularité de conscience de cette dame. Le Roi a, dit-on, deux autres maîtresses.

13 février.  

— Déchaînement universel contre la promotion de Mme de Pompadour à la place de dame du palais de la Reine ; tout y est contraire, et l'on espère que le Roi, bien informé de ce cri public, va disgracier cette favorite dont l'ambition est expirante.

La religion est ouvertement offensée de l'abus qu'on en fait; l'hypocrisie en est l'âme. Les autres jésuites, et surtout le P. Griffet, blâment le P. de Sacy, leur confrère, d'avoir admis à pénitence cette dame, sans quitter la cour, après le grand scandale qu'elle y a causé. Cependant, entrant en semaine de service dimanche dernier, elle y a paru à souper au grand couvert parée comme un jour de fête.

On se plaint de cette nouvelle dame du palais associée à la plus haute noblesse à laquelle parviennent les dames de qualité; ces dames s'entendent pour représenter à la Reine qu'elles ne peuvent rester dans leurs places ayant pour compagne Mlle Poisson, fille d'un laquais qui avait été condamné à être pendu. La Reine la reçoit mal, la marquise s'en est plainte au Roi qui n'en a pas dormi de la nuit; plus elle entendra de ces plaintes, plus sa froideur et son mépris augmenteront. Le Roi en est blâmé universellement, car pourquoi, dit-on, avoir exigé cela de la Reine? Aussi les ennemis de la marquise sont-ils radieux à cet événement. Cependant rien ne paraît encore changé dans la façon de vivre du Roi avec sa bonne amie; il ne peut s'en détacher, et peut-être se piquera-t-il de la traiter avec plus de faveur à mesure que cette démarche ridicule lui attirera plus d'objurgations. Il se pique de sentiments absolus et à l'épreuve des rumeurs publiques.

La marquise prétend convertir le Roi et le ramener à la religion par son exemple. De faux services rendus à l'État font les chimères de sa conduite. Voyant le Roi amoureux d'autres beautés, elle veut le ramener à elle par la régularité des mœurs; certes c'est hypocrisie, mais à bonne fin. Ci-devant, elle faisait l'esprit fort devant le Roi pour assurer son règne ; elle admettait à la conversation avec le Roi le sieur Quesnay, son médecin, homme de beaucoup d'esprit et qui se pique d'être esprit fort, mais, depuis le dernier voyage de Fontainebleau, elle a commencé de parler de la religion révélée, et de se donner pour craintive des jugements de Dieu. Elle sait que le Roi a peu de forces pour les femmes, elle prétend le ramener à la règle d'un chrétien. Cependant l'on parle d'une nouvelle maîtresse pour le Roi; on nomme la comtesse de Noé qui est fort pauvre, et qui en aurait grande envie.
Louis XV entouré de quelques unes de ses maîtresses