mardi 11 mars 2014

Histoire de la Révolution Française, par Florence Gauthier (3)


Par Florence Gauthier, Université Paris VII Denis Diderot 



Six jacqueries de 1789 à 1792

À la proposition paysanne, l'Assemblée constituante répondit donc par le rachat des droits féodaux. Le décret du 15 mars 1790 rendit même le rachat impossible en contraignant les paysans aisés et les paysans pauvres à racheter tous ensemble, ce qui était irréalisable. Elle révélait une volonté d'un grand nombre de seigneurs, nobles ou roturiers, de faire tout ce qui était possible pour maintenir intactes les rentes seigneuriales. Elle se préparait aussi à la manière forte en décrétant la loi martiale le 23 février 1790. On voit aussi que la contre-révolution seigneuriale croyait que le mouvement populaire n'était qu'un feu de paille qu'elle estimait pouvoir réprimer aisément.

"Jamais législation ne déchaîna une plus grande indignation". Les paysans comprenaient que l'Assemblée les trahissait. Cinq nouvelles jacqueries suivirent celle de juillet 1789 jusqu'à la Révolution du 10 août 1792 :

-deuxième jacquerie de l'hiver 1789-90, en Bretagne, Massif central, Sud-ouest,

-troisième jacquerie de l'hiver 1790-91, de la Bretagne à la Gascogne,

-quatrième jacquerie de l'été 1791, du Maine au Périgord, du Massif central au Languedoc,

-cinquième jacquerie du printemps 1792, dans le Bassin parisien, le Massif central, le Sud-ouest et le Languedoc,

-sixième jacquerie de l'été-automne 1792, dans l'ensemble du pays.


Ces mouvements paysans armés conjuguaient des troubles de subsistance, le refus de payer impôts, dîmes et redevances seigneuriales et poursuivaient le brûlement des titres de propriété des seigneurs comme la récupération des biens communaux usurpés.

Reprise de la Guerre du blé

L'Assemblée constituante avait, par ailleurs, tenté une nouvelle expérience de liberté illimitée du commerce des grains. La guerre du blé reprit à une échelle de plus en plus vaste. Les troubles de subsistance prirent des formes inédites. Les marchés publics étant dégarnis, les gens durent se rendre chez les producteurs pour y chercher des grains et interceptèrent des convois de blés circulant par terre ou par bateaux afin de constituer des greniers populaires.

Aristocratie des riches ou démocratie ?

La peur sociale des possédants avaient conduit l'Assemblée à établir un suffrage censitaire, réservant la citoyenneté aux possédants, ce que l'on appela alors une aristocratie des riches. La réponse du mouvement démocratique fut de créer, d'une part des sociétés populaires qui effectivement se multiplièrent, ouvrant un espace public d'information, de discussion de tous les problèmes d'actualité et de propositions sous forme de pétitions, d'autre part en investissant les assemblées primaires, lieux de réunion créés pour l'élection des députés aux Etats généraux en 1788-89.


Le système censitaire en était venu à diviser les citoyens en deux groupes, les citoyens actifs, qui jouissaient de l'ensemble des droits civils et politiques et les citoyens passifs privés de l'exercice des droits politiques et exclus de la société politique.

Le mouvement démocratique tenta partout où il le put d'empêcher l'éviction des citoyens passifs de ces assemblées primaires devenues, depuis la réorganisation des municipalités, des assemblées de sections de communes. Notons que dans les campagnes, les assemblées générales des communautés villageoises réunissaient habituellement les habitants des deux sexes, tout comme les assemblées de sections populaires des villes : l'exclusion des femmes et des citoyens passifs caractérisait alors les réunions de citoyens actifs.

Soulignons encore que le système censitaire excluait même de l'exercice des droits politiques les fils adultes qui n'avaient pas encore hérité de leurs parents et ne payaient pas d'impôts. Il faut noter que la conception d'un droit personnel était défendue par les défenseurs des droits naturels réciproques, droits attachés à la personne et à toutes les personnes, et non à la fortune. Il y avait donc bien des conceptions divergentes du droit et des comportements sociaux et politiques qui séparaient l'aristocratie des riches du mouvement démocratique.

La loi martiale

Dans une grande loi martiale du 26 juillet 1791 récapitulant les décrets partiels précédents, l'Assemblée constituante avait criminalisé, sous les termes d'attroupement séditieux toutes les formes que revêtait le mouvement populaire depuis le début de la Révolution : refus de payer les redevances féodales, dîmes ou impôts, troubles de subsistance s'opposant à la soi-disant liberté du commerce des grains, grèves de salariés ruraux et urbains. Précisons que la loi Le Chapelier qui visait la répression des grèves des ouvriers agricoles, les plus nombreux à l'époque, et celles des artisans urbains faisait partie intégrante de la loi martiale et se retrouve dans la grande loi récapitulative du 26 juillet 1791. Ces attroupements séditieux seraient réprimés par la loi martiale. Elle fut appliquée de façon courante dans les campagnes et une fois, de façon particulièrement brutale, à Paris, sous le nom de fusillade du champ de Mars, le 17 juillet 1791.


La constitutionalisation de l'esclavage dans les colonies

Dans les colonies esclavagistes d'Amérique, le système du marché d'esclaves situé en Afrique entra en crise dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, car il était de plus en plus difficile de se procurer des captifs et leur prix haussa. Un courant d'économistes, dont les physiocrates puis leurs successeurs autour de Turgot, proposèrent diverses solutions qui consistaient à transformer le système de reproduction de la main-d'œuvre. Ces solutions furent en partie expérimentées au XVIIIe siècle. Il s'agissait de substituer au marché de captifs situé en Afrique un élevage d'esclaves sur place, dans les colonies. Le système du coolie trade connut aussi ses débuts. L'idée de coloniser l'Afrique elle-même en y créant des plantations se fit jour et des sociétés coloniales entamèrent des pourparlers et des voyages de prospection à cette fin.

En France, le banquier Clavière confia à son secrétaire Brissot le soin de fonder une Société des Amis des Noirs en 1788, en s'inspirant des Sociétés du même nom créées à Londres et à Manchester. Clavière et Brissot s'adressaient aux planteurs et aux négociants, leur projet était de résoudre la crise de la main-d'œuvre esclave en préparant les colons et les gouvernements à remplacer la traite des captifs africains par l'élevage d'esclaves sur place. Plus tard, Condorcet, membre de la Société des Amis des Noirs, envisageait, après un rodage de l'élevage d'esclaves sur plusieurs générations, un changement de statut qui permettrait à l'esclave de se racheter, en indemnisant son maître, et de devenir un travailleur salarié dit libre.

Par contre, un courant défendant les droits communs de l'humanité remit en question la politique de puissance et de conquête menée par la monarchie et l'économie de domination qui s'était inventée dans les colonies d'Amérique. Une Société des citoyens de couleur se créa en 1789. Un de ses leaders, Julien Raimond, rencontra Cournand et Grégoire et contribua à éclairer le côté gauche sur la situation dans les colonies d'Amérique et sur les activités du parti colonial, réuni dans le club Massiac, qui influençait la politique de l'Assemblée constituante par Barnave et ses amis Lameth propriétaires de sucreries à Saint-Domingue.

Pour comprendre la situation de Saint-Domingue, il est nécessaire de préciser que les colons privilégiés par le roi au XVIIe siècle avaient épousé des femmes africaines et créé ainsi une nouvelle humanité métissée dont ils firent leur héritière. La seconde génération des planteurs était largement métissée ainsi que les suivantes jusqu'à ce qu'une concurrence apparaisse entre les colons créoles (nés dans la colonie) et de nouveaux colons venus faire fortune. Ces derniers estimèrent qu'il leur serait possible d'exproprier les colons de couleur afin de prendre leurs biens. Le préjugé de couleur apparut et se développa dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Il consistait à créer une ségrégation à l'intérieur de la classe des maîtres, afin d'en exclure ses membres discriminés par la couleur.

Les colons ségrégationnistes réussirent à prendre le pouvoir à la faveur des évènements de 1789 et voulurent épurer la classe dominante de ses éléments métissés. En 1789-90, les assemblées coloniales de Saint-Domingue furent formées par les colons blancs exclusivement, tandis que des violences s'exerçaient contre les libres de couleur et les blancs qui les soutenaient, annonçant une Saint-Barthélemy des libres de couleur. Une crise sans précédent s'ouvrit, divisant et affaiblissant la classe des maîtres à Saint-Domingue. Les libres de couleur en vinrent à s'armer pour se protéger et créèrent des zones de refuge. Ils abandonnèrent aussi les milices locales qui maintenaient le système esclavagiste en place. Pris entre la menace d'une extermination par les colons ségrégationnistes et le maintien de l'ordre esclavagiste, ils en vinrent assez rapidement à choisir de s'allier avec les esclaves. Un processus révolutionnaire s'engageait à Saint-Domingue.

Julien Raimond, riche colon métissé qui se trouvait en France, informa donc quelques révolutionnaires de la situation explosive des colonies et les aida à comprendre la politique des colons et leur influence dans la société française comme dans l'Assemblée constituante. Raimond aidait le côté gauche à élaborer sa position sur la question coloniale et ce même côté gauche l'aidait aussi à construire un projet révolutionnaire dans une société coloniale où la liberté et l'égalité, conçues par opposition à l'esclavage civil et politique, y étaient absolument inconnues. Se nouait ici un échange remarquable, un projet de cosmopolitique de la liberté, expérience, bien que précieuse, qui n'a guère été aperçue à l'exception de quelques trop rares historiens. (à suivre)
JB Belley, député de Saint Domingue à la Convention


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