En 1909, l'Anglaise Frédérika Mc Donald fut la première à dépouiller les manuscrits originaux de l'Histoire de Madame de Montbrillant, roman autobiographique écrit par Louise d'Epinay à partir de 1756.
Recoupant les cahiers conservés aux
Archives nationales avec ceux déposés à la bibliothèque de l'Arsenal,
elle révéla le complot ourdi par les proches de Mme d'Epinay pour perdre
la réputation de Rousseau.
Les lignes qui suivent sont extraites de La légende de Jean-Jacques Rousseau, ouvrage de F. Mc Donald paru en 1909.
Lorsqu’en 1756 Rousseau abandonna
Paris pour s’établir à l’Ermitage, il ne soupçonnait pas que la gênante
opposition de ses amis signifiait autre chose que leur irritation en présence
d’un homme dont ils ne comprenaient pas la façon d’envisager l’existence. C’est
en quoi il se trompait. Sa conduite scella le pacte de destruction qu’avaient
signé Grimm et Diderot.
Avant d’établir le fait,
cherchons-en la raison. Grimm, à
qui le nom et la gloire de Rousseau portaient ombrage, répugnaient-ils à le
laisser se cacher à la campagne ? Prenons d’abord le cas de Grimm. La
raison de son objection à cette retraite est aisée à découvrir. Il venait de
devenir l’amant de cette femme qui avait fait construire à Jean-Jacques son
Ermitage. Rousseau avait présenté Grimm à Mme d’Epinay. Il était plus qu’un de
ses vieux amis ; c’était un confident au courant de son ancienne liaison
avec de Francueil. Jean-Jacques, en un mot, savait trop de choses, et Mme
d’Epinay l’aimait trop pour que Grimm se sentit à l’aise près de lui. Tout cela
ressort de l’étude des Mémoires. En prenant le témoignage de l’ouvrage pour ce
qu’il vaut, c’est-à-dire comme une relation non pas de la vérité, mais de ce
que Grimm et Diderot essayaient de faire croire, nous remarquerons que Grimm ne
dissimula point sa haine contre Rousseau, ni ses tentatives pour ruiner la
confiance et l’affection de Mme d’Epinay, ni ses efforts pour ouvrir les yeux
de Diderot sur le détestable caractère de son ancien ami, à l’égard duquel
(toujours d’après les Mémoires), Diderot – à ses heures de faiblesse et quand
il échappait à l’influence de Grimm – éprouvait des accès de sympathie. Mais à
quel titre Grimm se permettait-il de
maltraiter Rousseau ? En aucun endroit des Mémoires Volx (c’est-à-dire
Grimm) ne paraît avoir de motif spécial ou personnel de se plaindre de René
(c’est-à-dire de Rousseau). Bien au contraire. René a présenté Volx à Mme de
Montbrillant ; il a chanté ses louanges, et par ses raisons, sans doute, la dame en cette occasion
s’est trouvée à la fois surprise et quelque peu scandalisée, au premier abord,
de voir Volx se montrer par trop sévère et tranchant dans l’opinion qu’il a de
son ami. La cause prétendue de tout ceci est l’extraordinaire supériorité
morale de Volx sur René ; sa perspicacité à juger la folie de ce
dernier ; et le don de prophétie qui lui permet de prédire, bien avant que
René ait rien commis de mal, sa conduite déplorable envers tous ses amis.
Melchior Grimm |
N’y avait-il donc pas, même de
l’aveu tacite des Mémoires, de l’ingratitude de la part de Grimm à profiter de
cette introduction, pour travailler dans la suite à séparer l’homme qui la lui
présenta, de l’amie, devenue sa maîtresse ? Non : car d’après ce
récit, si Grimm devait la première connaissance de Mme d’Epinay à Jean-Jacques,
ce fut à lui-même qu’il devait la préférence que la dame bientôt lui accorda,
en dépit de ses sentiments plus compatissants qu’affectueux pour son ancien ami
Jean-Jacques (…) On ne peut nier qu’avant l’entrée en faveur de Grimm
(c’est-à-dire pendant toute la durée de la liaison avec M. de Francueil)
Rousseau n’ait été pour Mme d’Epinay le conseiller, et l’ami favori, à qui l’on
était enchanté de faire honneur. Peut-être Grimm n’avait-il pas tort en
soupçonnant la dame de se complaire à l’idée que Rousseau eut pu être auprès
d’elle ce qu’il laissa Grimm devenir ? Et voici que ce paresseux de
Jean-Jacques allait se nicher aux portes mêmes de la Chevrette ? Et que la
bonne Mme d’Epinay, qui « aimait fort ses amis et ne regardait point à la
peine pour eux », allait s’occuper personnellement de son
« ours », et le soigner, le caresser, le cajoler ? Et il allait
devenir le centre d’attraction du cercle ? En d’autres termes, il allait
s’emparer de la position de premier favori, réservée à Grimm, en dépit du droit
de priorité de Jean-Jacques ? Non, non, il ne pouvait en être ainsi !
Il ne fallait pas que la retraite de Rousseau pût lui être agréable. La
solitude allait lui déranger la cervelle ; les bois devaient échauffer son
imagination : il soupçonnerait ses amis. Il se montrerait brutal et
querelleur envers Mme d’Epinay. Il s’offenserait de bagatelles : et
transformerait en insultes préméditées quelques insignifiantes plaisanteries. D’où
ce résultat : qu’au bout de quelques mois il devrait quitter l’Ermitage
brouillé sans espoir avec Mme d’Epinay, et en guerre avec tous ses amis.
Tels sont les motifs de Grimm, et
les origines de ses pronostics.
l'ermitage de Rousseau, à Montmorency |
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