vendredi 14 mars 2014

Histoire de la Révolution Française, par Florence Gauthier (4)

Par Florence Gauthier, Université Paris VII Denis Diderot



Le côté droit se déclare contre la Déclaration des droits

La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen était à peine votée que le parti colonial exprimait son refus des principes déclarés en des termes remarquables : ils présentaient en effet la Déclaration des droits comme la terreur des colons :

"Nous avons senti d'abord que ce nouvel ordre de choses devait nous inspirer la plus grande circonspection. Cette circonspection a augmenté… elle est devenue une espèce de terreur lorsque nous avons vu la déclaration des droits de l'homme poser, pour base de la constitution, l'égalité absolue, l'identité de droits et la liberté de tous les individus."

L'équivalence qui apparaît ici sous forme de : "la Déclaration des droits est la terreur des colons", surprenante pour un lecteur du XXe siècle, exprime de façon particulièrement troublante le paradoxe qui hante le mot terreur. Jean-Pierre Faye a souligné que la résonance historique du mot terreur date de la Révolution française. Le parti colonial jette ici une lumière crue sur sa genèse inattendue. Et ce fut l'ensemble du côté droit, et pas seulement le parti colonial, qui reprit et développa ce thème jusque dans ses ultimes conséquences comme nous le verrons.

Ce fut à partir de la fin de l'année 1790 que le mouvement démocratique commença à formuler clairement, à l'égard de la politique d'ensemble de l'Assemblée constituante, des critiques qui mettaient en lumière les contradictions accumulées par ses décrets avec les principes de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Donnons quelques exemples. Le maintien de l'esclavage et la reconnaissance du ségrégationnisme dans les colonies violaient l'article un de la Déclaration des droits : "Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits." Le système censitaire qui excluait les citoyens passifs violait la conception universelle du droit naturel déclaré et les articles trois et six : "Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation. (…) La loi est l'expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants à sa formation." La loi martiale violait ces mêmes principes et l'article deux qui reconnaissait le droit de résistance à l'oppression : "Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression."
 
Robespierre
Robespierre synthétisa cette critique dans un des textes fondateurs du mouvement démocratique, en mettant en pleine lumière comment les décrets de l'Assemblée constituante avaient imposé une nouvelle forme d'esclavage civil et politique aux exclus et introduit une définition de la liberté qui contredisait celle qui était à l'œuvre dans la Déclaration des droits :

"Enfin, la nation est-elle souveraine quand le plus grand nombre des individus qui la composent est dépouillé des droits politiques qui constituent la souveraineté ? Non, et cependant vous venez de voir que ces mêmes décrets les ravissent à la plus grande partie des Français. Que serait donc votre Déclaration des droits si ces décrets pouvaient subsister ? Une vaine formule. Que serait la nation ? Esclave : car la liberté consiste à obéir aux lois qu'on s'est données et la servitude à être contraint de se soumettre à une volonté étrangère. Que serait votre constitution ? Une véritable aristocratie. Car l'aristocratie est l'état où une portion des citoyens est souveraine et le reste sujets. Et quelle aristocratie ! La plus insupportable de toutes, celle des Riches."
 
Ile de Saint-Domingue (1763)
À peine la Constitution de 1791 était-elle achevée que l'insurrection des esclaves de Saint-Domingue rendait caduque sa politique coloniale esclavagiste et ségrégationniste. Dans la nuit du 22 au 23 août 1791, les esclaves de la plaine du Cap découvraient leurs propres forces. Ils avaient saisi l'occasion inespérée que leur offrait la guerre des épidermes qui affaiblissait, pour la première fois, la domination de la classe des maîtres blancs et de couleur. Moins de deux ans plus tard, ce fut encore la région du Cap qui initia la suppression de l'esclavage.

L'Assemblée législative, qui succéda en France à la Constituante, répondit en reconnaissant les droits civils et politiques aux gens de couleur et créa, du nom de son décret, les citoyens du 4 avril 1792. La mesure arrivait trop tard puisque l'insurrection des esclaves avait mis la liberté pour tous à l'ordre du jour, mais elle introduisait un morceau du principe d'égalité en droit dans une société coloniale qui s'effondrait.
 
insurrection de Saint-Domingue
En France, le projet belliciste du parti de Brissot visait à dévoyer la Révolution dans une guerre de conquête en Europe qui permettrait de s'enrichir, de trouver des alliés et de détourner le mouvement populaire et démocratique de ses objectifs économiques et politiques. Or, le roi et la reine surent utiliser le projet brissotin à leur profit : déclarer la guerre et laisser les armées austro-prussiennes réprimer le mouvement démocratique et restaurer le pouvoir royal. La guerre fut déclarée par l'Assemblée législative le 20 avril 1792 et le roi, chef de l'exécutif, invita son état-major à la perdre. Ces trahisons provoquèrent la Révolution du 10 août 1792.

3. La Révolution du 10 août 1792 prépare une nouvelle constitution

Cette Révolution qui s'est trouvée encadrée par les deux dernières jacqueries, répondit immédiatement au mouvement paysan, avant même que la Convention ne soit élue, par la législation agraire des 20-28 août 1792 qui reconnaissait la propriété des biens communaux aux communes et supprimait, sans rachat bien sûr, l'ensemble des droits seigneuriaux sur les censives. Les communaux usurpés par droit de triage depuis 1669 étaient restitués aux communes. Cette législation expropriait, on le voit, la seigneurie d'une importante partie de ses biens.

La Convention fut élue au suffrage universel. Dans les campagnes et dans les sections populaires des villes, les femmes participèrent fréquemment au vote, selon d'ailleurs la tradition villageoise. Le 21 septembre date de sa première réunion, la Convention votait à l'unanimité l'abolition de la royauté en France.

Le parti brissotin, que l'on désignait du nom de Gironde depuis sa rupture avec le club des Jacobins, était devenu le point de ralliement des adversaires de la Révolution du 10 août et de la démocratie. S'il fit partie du côté gauche sous la Législative, il forma le côté droit de la Convention. Minoritaire en nombre d'élus, la Gironde obtint la majorité des suffrages dans les premiers mois de la Convention.

Combattant ouvertement le mouvement populaire, le gouvernement girondin refusa de mettre en application la législation agraire des 20-28 août 1792. La poursuite de la guerre du blé permit d'ouvrir un débat remarquable, de septembre à décembre 1792 à la Convention, et de préciser les programmes. Mais le 8 décembre 1792, la Convention votait les propositions girondines qui consistaient à reconduire la politique de la Constituante en faveur de la liberté illimitée du commerce des grains et de son moyen d'application qu'était alors la loi martiale.

Ce refus girondin d'entendre le peuple ne parvint cependant pas à empêcher le mouvement démocratique de prendre en mains une partie de la politique économique. En effet, la démocratie communale qui s'inventait en France s'empara, durant l'automne et l'hiver 1792-93, de la politique des subsistances, de la fixation des prix des denrées de première nécessité, de la fourniture des marchés, de l'aide aux indigents. Ainsi, le ministère de l'intérieur dirigé par le girondin Roland se vit peu à peu dépouillé de ses attributions au profit des communes. Soulignons que ce fut de cette manière que la séparation des pouvoirs se réalisa en France, à cette époque, et que se construisit, dans la pratique, une véritable démocratie communale où les citoyens réunis dans leurs assemblées générales de village, ou de section de commune urbaine, élisaient leur conseil municipal, les commissaires de police, les juges de paix. Ces mêmes assemblées générales contrôlaient leurs élus chargés de l'application des lois, mais aussi de la politique des subsistances comme de l'aide sociale. Précisons qu'il n'y avait pas ce que nous connaissons sous les termes de centralisation administrative avec appareils d'Etat séparés de la société.

Le programme d'économie politique populaire fut défendu par la Montagne. Ce terme de Montagne désignait non un parti organisé au sens où nous l'entendons aujourd'hui, mais plus précisément un projet général, un ensemble de principes exposés dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et qui tenaient lieu de boussole pour la réflexion et l'action. Chaumette, qui fut procureur général syndic de la Commune de Paris, en donna une définition qui mérite d'être rappelée : la Montagne, ce rocher des droits de l'homme.

Des partis, il en existait un grand nombre, comme les clubs, les sociétés populaires, les sociétés de section. Certains s'affiliaient par correspondance, par affinité, pour organiser une campagne, lancer une pétition, envoyer une délégation dans une autre section, une région, à la Convention pour y présenter une réclamation ou un projet de loi. Ce fut de cette manière qu'une très forte conscience de la souveraineté du peuple, associée à l'exercice effectif de la citoyenneté comme participation à l'élaboration des lois, se forma à cette époque. Dans les fêtes de 1792-94, le peuple souverain était représenté par Hercule, image de la force et de l'unité bien sûr, mais aussi de ses durs travaux, car la construction de la liberté civile et politique n'était pas facile : Hercule accomplissait des exploits en gravissant la Montagne qui conduisait à la liberté, à sa réciprocité l'égalité, et à la fraternité.

Pour tenter de freiner les progrès d'Hercule, la Gironde qui voyait bien qu'à l'intérieur la réalité du pouvoir lui échappait, tenta de s'opposer à la Révolution du 10 août 1792 en calomniant le peuple et la Montagne. Elle voulut empêcher le procès du roi, puis sa condamnation, mais échoua. Elle tenta de dévoyer la Révolution en provoquant la guerre de conquête en Europe. Or, la guerre qu'elle présentait sous l'aimable figure de la libération des peuples tourna à l'annexion pure et simple avec le décret du 15 décembre 1792. Mais les peuples annexés n'aimèrent pas les missionnaires armés et résistèrent à l'occupation. Sur le plan politique, la guerre de conquête girondine fut un échec cinglant qui divisa les peuples européens, contribua à les détourner de la révolution et renforça leurs princes dès lors qu'ils résistèrent aux armées françaises d'occupation. La tragédie de la République de Mayence, dont l'échec contraignit les partisans à se réfugier en France, illustre les conséquences désastreuses de cette guerre de conquête.

La Montagne représentée sur cette question par Robespierre, Marat, Billaud-Varenne, avait dénoncé, dès ses premières annonces en 1791, les erreurs et les dangers que comportait une telle politique. La Montagne s'opposait, au nom du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, à toute guerre de conquête et cette question fut un point de rupture avec le parti brissotin-girondin. Robespierre et Grégoire, en particulier, contribuèrent à renouveler les principes d'un droit des gens respectueux des droits des peuples, opposé à toute forme de conquête, qu'elle soit militaire ou commerciale, et jetèrent les fondements d'une cosmopolitique de la liberté, dans l'espoir de mettre un terme aux politiques conquérantes des puissances européennes.

En ce qui concerne les colonies esclavagistes, et en particulier à Saint-Domingue, le gouvernement girondin ne favorisa pas la Révolution qui s'y développait. Depuis la fin de l'année 1791, de nombreux colons émigrèrent à Londres et cherchèrent l'appui du ministre Pitt. Les dirigeants de la contre-révolution coloniale, Malouet, Cougnacq-Myon, Venault de Charmilly, Montalembert négocièrent l'occupation britannique des colonies françaises pour y conserver l'esclavage et s'engagèrent à fournir des officiers et des soldats français à la marine britannique. Au printemps 1793, la marine britannique se renforçait à la Jamaïque tandis que Montalembert et la Rochejaquelein préparaient un débarquement à Saint-Domingue.

Ce fut dans ce contexte que le gouvernement girondin nomma en février 1793 un gouverneur pour Saint-Domingue, Galbaud, qui atteignit l'île en mai. Galbaud joua la carte des colons esclavagistes et tenta de destituer les commissaires civils Polverel et Sonthonax qui préparaient, eux, l'abolition de l'esclavage. La bataille du Cap allait tourner à l'avantage de Galbaud lorsque l'intervention des esclaves insurgés changea la donne. Galbaud battu prit la fuite entraînant derrière lui celle de 10.000 colons : c'était la fin de la domination blanche à Saint-Domingue.

Polverel et Sonthonax avaient été sauvés par les esclaves insurgés et entreprirent alors de soutenir de toutes leurs forces personnelles la Révolution de la liberté générale et de l'égalité de l'épiderme.
 
Sonthonax, commissaire civil envoyé à St Domingue
Le 24 août 1793, les habitants de la région du Cap présentaient une pétition réclamant la liberté générale. Le 29 août, Sonthonax prit l'initiative de généraliser la liberté dans toute l'île et proclama, pour la première fois à Saint-Domingue, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Puis, il proposa d'organiser l'élection par les nouveaux citoyens d'une députation de Saint-Domingue qui irait porter la nouvelle à la Convention et demanderait, avec le maximum de publicité, son soutien à la Révolution française. L'élection eut lieu au Cap le 23 septembre. Six députés furent élus selon le principe de l'égalité de l'épiderme : 2 noirs, 2 blancs et 2 métissés. Quelques jours plus tard les députés Belley, Dufaÿ et Mills, drapeau vivant de l'égalité de l'épiderme, s'embarquaient pour la France, via les Etats-Unis. Pour le lobby colonial, la députation ne devait pas arriver vivante à Paris et, de fait, elle mit quatre mois à atteindre la France, subit des agressions tout au long de sa route, mais parvint à échapper à ses ennemis.

À Saint-Domingue, la marine britannique avait débarqué, en septembre 1793, en deux points de l'île pour tenter de faire barrage à la révolution de la liberté générale qui commençait en Amérique.

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