En 1909, l'Anglaise Frédérika Mc Donald fut la première à dépouiller les manuscrits originaux de l'Histoire de Madame de Montbrillant, roman autobiographique écrit par Louise d'Epinay à partir de 1756.
Recoupant les cahiers conservés aux Archives nationales avec ceux déposés à la bibliothèque de l'Arsenal, elle révéla le complot ourdi par les proches de Mme d'Epinay pour perdre la réputation de Rousseau.
Les lignes qui suivent sont extraites de La légende de Jean-Jacques Rousseau, ouvrage de F. Mc Donald paru en 1909.
Arrivons aux faits qui s'imposent
à l'attention de quiconque, n'étant pas aveugle, examine le manuscrit des
archives.
Les cinquante derniers cahiers de
la collection révèlent, par des indices manifestes, que non seulement ils ont
été altérés, mais en grande partie récrits, et d'une écriture différente de
celle qui, délicate et irrégulière, court uniformément à travers les pages
jaunies des quatre-vingt dix premiers cahiers. Ce n'est pas que l'écriture
originale disparaisse à la fin du quatre-vingt-dixième cahier, laissant au
nouveau venu le soin de poursuivre le récit. Ce nouvel arrivant est clairement
un intrus, qui interrompt la narration primitive; celle-ci continuant son cours
régulier, sauf aux endroits où une main plus hardie et brutale s'ingère, soit
dans des passages intercalés, collés sur les feuillets du manuscrit pour
prendre la place d’autres passages qui, très visiblement, en ont été coupés ; ou
dans de longues notes marginales ; ou dans des passages écrits en surcharge
par-dessus l'écriture plus légère, qui est barrée. Et l'intrusion de cette
seconde écriture accuse toujours une évidente malveillance. Une fois qu’elle a
pénétré dans le manuscrit, comme un colporteur de médisances dans une société
d'honnêtes gens, cette main perfide s'attache désormais à la besogne : semant de
fielleuses anecdotes, commentant par de cyniques réflexions les propos tendres,
insérant des remarques indécentes et blasphématoires dans de spirituels
dialogues, s'appliquant surtout à dépeindre comme d'hypocrites charlatans et
des visionnaires mercenaires, les gens d'un commerce agréable
qui nous avaient été d'abord présentés comme les meilleurs amis de Mme de
Montbrillant.
Mais c'est tout particulièrement
quand René entre dans l’histoire que la malignité de l'intrus devient
manifeste. Dès que ce nom paraît, on est sûr de trouver à la suite une
interruption de la narration originale; la plume calomniatrice se trempe
d'encre plus noire, rature ou surcharge l'écriture délicate et pâle, dont on
peut néanmoins saisir par endroits des traces, là où sont imparfaitement
effacées des expressions affectueuses ou admiratrices pour René, comme un
sourire furtif adressé par Mme d'Epinay à son ancien favori, à travers les
barreaux d'une prison.
Le manuscrit des Archives, même
pris isolément prouve donc que le portrait de Rousseau et l’exposé de sa
conduite envers ses anciens amis, tel qu’on les trouve dans les Mémoires édités (…)
ne sont nullement de la rédaction primitive, de la narration originale de Mme d’Epinay. (à suivre)
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