samedi 22 mars 2014

La légende de Jean-Jacques Rousseau, par Frédérika Mac Donald (1)


 En 1909, l'Anglaise Frédérika Mc Donald fut la première à dépouiller les manuscrits originaux de l'Histoire de Madame de Montbrillant, roman autobiographique écrit par Louise d'Epinay à partir de 1756.
Recoupant les cahiers conservés aux Archives nationales avec ceux déposés à la bibliothèque de l'Arsenal, elle révéla le complot ourdi par les proches de Mme d'Epinay pour perdre la réputation de Rousseau.
Les lignes qui suivent sont extraites de La légende de Jean-Jacques Rousseau, ouvrage de F. Mc Donald paru en 1909.
 
Louise d'Epinay
Arrivons aux faits qui s'imposent à l'attention de quiconque, n'étant pas aveugle, examine le manuscrit des archives.

Les cinquante derniers cahiers de la collection révèlent, par des indices manifestes, que non seulement ils ont été altérés, mais en grande partie récrits, et d'une écriture différente de celle qui, délicate et irrégulière, court uniformément à travers les pages jaunies des quatre-vingt dix premiers cahiers. Ce n'est pas que l'écriture originale disparaisse à la fin du quatre-vingt-dixième cahier, laissant au nouveau venu le soin de poursuivre le récit. Ce nouvel arrivant est clairement un intrus, qui interrompt la narration primitive; celle-ci continuant son cours régulier, sauf aux endroits où une main plus hardie et brutale s'ingère, soit dans des passages intercalés, collés sur les feuillets du manuscrit pour prendre la place d’autres passages qui, très visiblement, en ont été coupés ; ou dans de longues notes marginales ; ou dans des passages écrits en surcharge par-dessus l'écriture plus légère, qui est barrée. Et l'intrusion de cette seconde écriture accuse toujours une évidente malveillance. Une fois qu’elle a pénétré dans le manuscrit, comme un colporteur de médisances dans une société d'honnêtes gens, cette main perfide s'attache désormais à la besogne : semant de fielleuses anecdotes, commentant par de cyniques réflexions les propos tendres, insérant des remarques indécentes et blasphématoires dans de spirituels dialogues, s'appliquant surtout à dépeindre comme d'hypocrites charlatans et des visionnaires mercenaires, les gens d'un commerce agréable qui nous avaient été d'abord présentés comme les meilleurs amis de Mme de Montbrillant.


Mais c'est tout particulièrement quand René entre dans l’histoire que la malignité de l'intrus devient manifeste. Dès que ce nom paraît, on est sûr de trouver à la suite une interruption de la narration originale; la plume calomniatrice se trempe d'encre plus noire, rature ou surcharge l'écriture délicate et pâle, dont on peut néanmoins saisir par endroits des traces, là où sont imparfaitement effacées des expressions affectueuses ou admiratrices pour René, comme un sourire furtif adressé par Mme d'Epinay à son ancien favori, à travers les barreaux d'une prison.

Le manuscrit des Archives, même pris isolément prouve donc que le portrait de Rousseau et l’exposé de sa conduite envers ses anciens amis, tel qu’on les trouve dans les Mémoires édités (…) ne sont nullement de la rédaction primitive, de la narration originale de Mme d’Epinay. (à suivre)

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