jeudi 6 mars 2014

Histoire de la Révolution Française, par Florence Gauthier (1)


Par Florence Gauthier, Université Paris VII Denis Diderot


Esclavage ou liberté ? La Révolution française, révolution des droits de l'homme et du citoyen, abolit le régime féodal et l'esclavage dans les colonies, sans indemnités en faveur des seigneurs et des maîtres. Le bonnet rouge de la liberté exprima le lien entre ces deux grandes conquêtes de la liberté civile et politique de portée mondiale. Il signalait encore leur origine commune dans l'esclavage, qu'il s'agisse de l'héritage de l'esclavage antique dans les formes du servage et dans les transformations pluriséculaires des rapports féodaux, ou de l'esclavage moderne créé par des Européens dans les colonies d'Amérique.

Par ailleurs, des rapports de type capitaliste se développaient à l'époque dite moderne. On pouvait voir, en France, les progrès de la concentration de la propriété foncière par l'expropriation d'une partie grandissante de la paysannerie de ses tenures héritables, mais aussi ceux de la concentration de l'exploitation agricole aux mains d'une étroite couche de fermiers entrepreneurs de culture qui pratiquaient la réunion des fermes en rassemblant dans leurs mains les différents marchés de terre en location, et encore la formation d'un marché privé des subsistances. Ici, le pouvoir économique transformait le besoin social de se nourrir en arme alimentaire, ou guerre du blé, qui tuait, comme nous le savons, sous forme de disettes factices.

La Révolution en France fut l'expression de la résistance populaire à ces formes capitalistes désignées par l'expression précise d'économie politique tyrannique à laquelle répondit la revendication et l'élaboration d'une économie politique populaire. Un débat exemplaire s'ouvrait ici, il dure encore.

Dans les colonies d'Amérique, la plantation sucrière, avec sa main-d'œuvre importée selon les besoins du planteur, une division du travail purement manuel pour les travaux des champs et hautement mécanisé en ce qui concerne la transformation des sucres, produisait pour l'exportation et autorisait des profits attractifs : elle permettait de faire véritablement fortune au XVIIIe siècle. Cette plantation sucrière était le produit d'un capitalisme esclavagiste qui fit l'admiration des philosophes économistes, connus en France sous le nom de physiocrates. Elle provoqua aussi la critique de cette économie de domination qui, après avoir détruit et dépeuplé les Indes occidentales, les repeuplèrent de captifs africains mis en esclavage pour servir du café sucré arrosé de tafia sur les tables d'Europe.

La Révolution en France fut aussi une expérience d'invention d'une démocratie déclarant les droits de l'homme et du citoyen, caractérisée par l'immense tâche de la construction de la souveraineté populaire, l'élargissement d'un espace public démocratique, la construction d'un pouvoir législatif suprême et d'une citoyenneté participant effectivement à l'élaboration des lois.

En effet, la théorie révolutionnaire des droits de l'homme et du citoyen concevait la liberté civile et politique par opposition avec l'esclavage. Postulant l'unité du genre humain, né libre et ayant des droits naturels, la liberté était conçue sous deux aspects :

- la liberté personnelle, fruit précieux des massacres des guerres de religion qui firent voir les moyens pratiques de protéger la liberté de pensée et de conscience par un droit conçu comme réciproque : je suis libre à condition de n'être soumis au pouvoir d'aucun autre homme ET à condition de ne soumettre aucun autre homme à mon pouvoir,

- la liberté en société, ou citoyenneté, moyen pratique pour maintenir le droit de liberté personnelle : on est libre en société lorsqu'on obéit, non aux hommes, mais à des lois à l'élaboration desquelles on a participé et donné son consentement.

Cette théorie politique, centrée sur le postulat selon lequel l'être humain est fait pour vivre libre, s'affirma tout au long de l'époque moderne, comme un libéralisme de droit réciproque, ou, si l'on préfère, de l'égalité des droits. On aperçoit ici un problème : que ce libéralisme de droit réciproque ait pu être une théorie révolutionnaire aux XVI-XVIIIe siècles n'est plus guère audible aujourd'hui. Cette théorie de la liberté a été confisquée et détournée ultérieurement de son sens et de ses objectifs, comme nous le verrons.

1. Les prolégomènes de la liberté. 1789.

Les Etats généraux réunis à Versailles le 5 mai 1789 se transformèrent en Assemblée nationale constituante, le 17 juin, puis, par le Serment du jeu de Paume le 20 juin, jurèrent de ne pas se séparer avant d'avoir donné une constitution à la France.

Révolution : acte I
 
ouverture des Etats Généraux (mai 1789)
Tout le processus de convocation des Etats généraux, le système électoral ouvrant le droit de vote aux chefs de famille domiciliés (de l'un et de l'autre sexe), la rédaction des cahiers de doléances, l'élection de députés mandatés par leurs électeurs, le remplacement des Etats généraux, conseil élargi du roi, par l'Assemblée nationale constituante, tout cela constitue le contrat social révolutionnaire et fut vécu comme tel par les contemporains. Ces notions de souveraineté de la nation, de contrat social, de constitution, de citoyenneté, de pouvoir législatif suprême n'étaient pas des idées abstraites, ni éloignées du peuple, mais bien au contraire des idées largement popularisées et devenues des actes. L'Assemblée constituante avait mis fin aux Etats généraux de sa propre initiative et instauré un pouvoir nouveau, émanant des élections, et qui venait de renverser la monarchie de droit divin en France et de transférer la souveraineté du roi au peuple. Ce fut l'acte un de la Révolution. (à suivre)

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