En 1909, l'Anglaise Frédérika Mc Donald fut la première à dépouiller les manuscrits originaux de l'Histoire de Madame de Montbrillant, roman autobiographique écrit par Louise d'Epinay à partir de 1756.
Recoupant les cahiers conservés aux
Archives nationales avec ceux déposés à la bibliothèque de l'Arsenal,
elle révéla le complot ourdi par les proches de Mme d'Epinay pour perdre
la réputation de Rousseau.
Les lignes qui suivent sont extraites de La légende de Jean-Jacques Rousseau, ouvrage de F. Mc Donald paru en 1909.
Nous savons que l’idée maîtresse
des conspirateurs était de prêter à Rousseau une réputation de sophiste et de
charlatan. Mais il y avait à cela un invincible obstacle. Sa vie, indépendante
et simple, s’étalait, ouverte à chacun. On avait affaire à un philosophe dont
les actes, contrairement à ceux de ses confrères, s’accordaient avec les
doctrines. Il prêchait l’indépendance et la liberté par le travail
manuel : et il gagnait son pain en copiant de la musique. Il enseignait
que la protection des hommes de lettres par des personnages opulents et haut
placés entravait la libre expression de leurs opinions, et il refusait toute
protection, jusqu’à la pension que le roi lui offrait. Il soutenait que le
bonheur n’est pas dans la course à la gloire, ni dans les distractions et les
obligations que comporte la vie mondaine (…)
Grimm et Diderot |
Comment soutenir alors que cet
homme agissait en hypocrite et en imposteur lorsqu’il vantait, dans ses écrits,
la simplicité des mœurs et la vie naturelle ? Une seule voie restait
ouverte à ses calomniateurs. Ils donnèrent la clé du mystère en déclarant que
cet ambitieux s’efforçait de conquérir la notoriété. La fausseté devenait la
caractéristique essentielle de ce prophète de vérité. L’énigme que présentaient
ses motifs et ses goûts intimes pouvait, en conséquence, n’être résolue que
d’une seule manière. Il fallait prendre exactement la contrepartie de tout ce
qu’il disait, faisait, ou écrivait, pour connaître son véritable caractère. (…)
Selon cette légende, Rousseau, avant sa célébrité, menait une existence
misérable ; les épreuves et les mésaventures qu’il eut à subir lui avaient
aigri le caractère ; et surtout les humiliations infligées par Mme Dupin
l’avaient rempli d’amertume à l’égard des riches et des puissants !
"Un des grands malheurs de M.
Rousseau, lit-on dans la Correspondance Littéraire de juin 1762, c’est d’être
parvenu à l’âge de quarante ans sans se douter de son talent… Il a été
malheureux à peu près toute sa vie. Il avait à se plaindre de son sort, et il
s’est plaint des hommes. Cette injustice est assez commune, surtout lorsqu’on
joint beaucoup d’orgueil à un caractère timide…. Au milieu de tous ces essais,
il s’était attaché à la femme d’un fermier général, célèbre autrefois par sa
beauté. M. Rousseau fut pendant plusieurs années son homme de lettres et son
secrétaire. La gêne et la sorte d’humiliation qu’il éprouva dans cet état ne
contribuèrent pas peu à lui aigrir le caractère."
Diderot, lui aussi, parle des
ressentiments éprouvés par Rousseau à la suite de sa jeunesse malheureuse. Cet
apôtre enthousiaste du bonheur et de la vertu qui naîtraient d’une vie simple
était un cynique et un misanthrope !
Rousseau affirme avoir été
contraint d’adopter, dans son commerce avec la haute société, son ton naturel
de franche simplicité parce qu’il commettait d’inévitables maladresses et se
rendait involontairement coupable d’impolitesse, quand il s’efforçait d’imiter
le ton maniéré et louangeur des gens du monde.
Grimm dit tout le
contraire : la simplicité et la brusquerie de Rousseau sont affectation
pure. Il était fort habile à tourner un compliment. Ce n’est qu’après être
devenu célèbre par son Discours retentissant de 1750 que, " n’ayant point
de naturel dans le caractère ", il assuma son rôle de cynique. (…)
"Le grand défaut de M. Rousseau,
répète Grimm, c’est de manquer de naturel et de vérité ; l’autre ,
plus grand encore, c’est d’être toujours de mauvaise foi… Il cherche moins à
dire la vérité qu’à dire autrement qu’on ne dit, et à prescrire autrement qu’on
ne fait."
La répugnance caractérisée de
Rousseau pour les protecteurs, en même temps que son choix du métier de
copiste, était (selon Diderot) une " seconde folie " ou plutôt une
seconde " fausseté " de cet homme " superbe comme Satan ".
(…) Touchant son indépendance, Diderot assurait que, malgré son affectation de
désintéressement, Rousseau acceptait et sollicitait, en secret, tous secours de
la bienfaisance ; et bien qu’il eût refusé une pension du Roi de France,
il n’hésitait pas à devenir le protégé secret d’une femme (Mme d’Epinay) dont
il disait du mal tout en vivant à ses dépens.
Grimm maintint, lui aussi, que
Rousseau ne gagna jamais son pain, comme il s’en vantait, en copiant de la
musique.
En prenant la livrée du
philosophe, il quitta aussi Mme Dupin et se fit copiste de musique, prétendant
exercer ce métier comme un simple ouvrier et y trouver sa vie et son
pain ; car une de ses folies était de dire du mal du métier d’auteur, et
de n’en pas faire d’autre... (à suivre)
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