samedi 29 mars 2014

La légende de Jean-Jacques Rousseau, par Frédérika Mac Donald (4)

En 1909, l'Anglaise Frédérika Mc Donald fut la première à dépouiller les manuscrits originaux de l'Histoire de Madame de Montbrillant, roman autobiographique écrit par Louise d'Epinay à partir de 1756.

Recoupant les cahiers conservés aux Archives nationales avec ceux déposés à la bibliothèque de l'Arsenal, elle révéla le complot ourdi par les proches de Mme d'Epinay pour perdre la réputation de Rousseau.

Les lignes qui suivent sont extraites de La légende de Jean-Jacques Rousseau, ouvrage de F. Mc Donald paru en 1909.
 
Louise d'Epinay

Nous savons que l’idée maîtresse des conspirateurs était de prêter à Rousseau une réputation de sophiste et de charlatan. Mais il y avait à cela un invincible obstacle. Sa vie, indépendante et simple, s’étalait, ouverte à chacun. On avait affaire à un philosophe dont les actes, contrairement à ceux de ses confrères, s’accordaient avec les doctrines. Il prêchait l’indépendance et la liberté par le travail manuel : et il gagnait son pain en copiant de la musique. Il enseignait que la protection des hommes de lettres par des personnages opulents et haut placés entravait la libre expression de leurs opinions, et il refusait toute protection, jusqu’à la pension que le roi lui offrait. Il soutenait que le bonheur n’est pas dans la course à la gloire, ni dans les distractions et les obligations que comporte la vie mondaine (…)
Grimm et Diderot
 Comment soutenir alors que cet homme agissait en hypocrite et en imposteur lorsqu’il vantait, dans ses écrits, la simplicité des mœurs et la vie naturelle ? Une seule voie restait ouverte à ses calomniateurs. Ils donnèrent la clé du mystère en déclarant que cet ambitieux s’efforçait de conquérir la notoriété. La fausseté devenait la caractéristique essentielle de ce prophète de vérité. L’énigme que présentaient ses motifs et ses goûts intimes pouvait, en conséquence, n’être résolue que d’une seule manière. Il fallait prendre exactement la contrepartie de tout ce qu’il disait, faisait, ou écrivait, pour connaître son véritable caractère. (…) Selon cette légende, Rousseau, avant sa célébrité, menait une existence misérable ; les épreuves et les mésaventures qu’il eut à subir lui avaient aigri le caractère ; et surtout les humiliations infligées par Mme Dupin l’avaient rempli d’amertume à l’égard des riches et des puissants !

"Un des grands malheurs de M. Rousseau, lit-on dans la Correspondance Littéraire de juin 1762, c’est d’être parvenu à l’âge de quarante ans sans se douter de son talentIl a été malheureux à peu près toute sa vie. Il avait à se plaindre de son sort, et il s’est plaint des hommes. Cette injustice est assez commune, surtout lorsqu’on joint beaucoup d’orgueil à un caractère timide…. Au milieu de tous ces essais, il s’était attaché à la femme d’un fermier général, célèbre autrefois par sa beauté. M. Rousseau fut pendant plusieurs années son homme de lettres et son secrétaire. La gêne et la sorte d’humiliation qu’il éprouva dans cet état ne contribuèrent pas peu à lui aigrir le caractère."

Diderot, lui aussi, parle des ressentiments éprouvés par Rousseau à la suite de sa jeunesse malheureuse. Cet apôtre enthousiaste du bonheur et de la vertu qui naîtraient d’une vie simple était un cynique et un misanthrope !

Rousseau affirme avoir été contraint d’adopter, dans son commerce avec la haute société, son ton naturel de franche simplicité parce qu’il commettait d’inévitables maladresses et se rendait involontairement coupable d’impolitesse, quand il s’efforçait d’imiter le ton maniéré et louangeur des gens du monde.


Grimm dit tout le contraire : la simplicité et la brusquerie de Rousseau sont affectation pure. Il était fort habile à tourner un compliment. Ce n’est qu’après être devenu célèbre par son Discours retentissant de 1750 que, " n’ayant point de naturel dans le caractère ", il assuma son rôle de cynique. (…)

"Le grand défaut de M. Rousseau, répète Grimm, c’est de manquer de naturel et de vérité ; l’autre , plus grand encore, c’est d’être toujours de mauvaise foi… Il cherche moins à dire la vérité qu’à dire autrement qu’on ne dit, et à prescrire autrement qu’on ne fait."

La répugnance caractérisée de Rousseau pour les protecteurs, en même temps que son choix du métier de copiste, était (selon Diderot) une " seconde folie " ou plutôt une seconde " fausseté " de cet homme " superbe comme Satan ". (…) Touchant son indépendance, Diderot assurait que, malgré son affectation de désintéressement, Rousseau acceptait et sollicitait, en secret, tous secours de la bienfaisance ; et bien qu’il eût refusé une pension du Roi de France, il n’hésitait pas à devenir le protégé secret d’une femme (Mme d’Epinay) dont il disait du mal tout en vivant à ses dépens.

Grimm maintint, lui aussi, que Rousseau ne gagna jamais son pain, comme il s’en vantait, en copiant de la musique.

En prenant la livrée du philosophe, il quitta aussi Mme Dupin et se fit copiste de musique, prétendant exercer ce métier comme un simple ouvrier et y trouver sa vie et son pain ; car une de ses folies était de dire du mal du métier d’auteur, et de n’en pas faire d’autre... (à suivre)

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