vendredi 7 mars 2014

Histoire de la Révolution Française, par Florence Gauthier (2)


Par Florence Gauthier, Université Paris VII Denis Diderot


Révolution : acte II

Le second acte de la Révolution se joua dans les campagnes. L'immense jacquerie de juillet 1789, appelée Grande Peur, se répandit à la vitesse du tocsin. Si l'on tient compte du fait qu'elle prenait le relais des révoltes paysannes du printemps précédent, ce fut l'ensemble des campagnes qui entra en insurrection contre le régime féodal.

Les révoltes paysannes conjuguaient des émeutes de subsistance avec des insurrections armées de caractère anti-monarchique, en s'opposant aux intendants, au fisc et à la justice, anti-ecclésiastique en refusant le paiement des dîmes, et surtout anti-féodal. Sur ce point, les communautés villageoises s'en sont prises directement aux titres de propriété des seigneurs, qu'ils soient nobles, roturiers ou ecclésiastiques, soit pour les brûler, soit pour contraindre le seigneur à signer un acte de renonciation à la perception de ses droits dans l'avenir. Elles récupérèrent aussi des biens communaux usurpés par les seigneurs et s'en servirent immédiatement en envoyant leurs bêtes y pâturer et en y rétablissant les droits d'usage.

C'est donc bien la destruction de la seigneurie qui était visée par ces actes qui s'en prenaient avec une rare violence à l'institution seigneuriale, mais non aux personnes. Georges Lefebvre, l'historien de cette Grande Peur a souligné ce fait très remarquable : durant la Grande Peur, plusieurs centaines de demeures seigneuriales furent visitées, les titres de propriété brûlés, quelques châteaux furent démontés, parfois incendiés, mais il n'y eut pas de violence contre les seigneurs ou leurs domestiques.


Par la même occasion, la grande institution de la monarchie se trouva paralysée, les administrateurs abandonnant leur poste et préférant fuir ou se cacher.

Ce fut la paysannerie qui fit une offre de contrat social à la seigneurie. Pour la mieux saisir rappelons rapidement la structure de la seigneurie à cette époque. En 1789, la seigneurie était formée de deux parties, la réserve seigneuriale et le domaine des censives. La réserve seigneuriale rassemblait le lieu de résidence du seigneur, des terres cultivées pour l'entretien de sa maison, des terrains jugés utiles comme des forêts où il exerçait le noble sport de la chasse et des terres que le seigneur louait sous forme de métayage ou de fermage. Le domaine des censives connaissait une forme de propriété complexe puisque les droits y étaient partagés entre seigneur et paysans censitaires. Le cens était récognitif de la seigneurie, mais aussi des droits du censitaire et en premier lieu de son droit de tenure héritable. Le seigneur ne pouvait exproprier le tenancier et ce dernier devait payer des redevances et se soumettre à la justice seigneuriale.


On retiendra qu'en 1789 la moitié environ des terres cultivées du Royaume relevaient du domaine des censives et l'autre de la réserve seigneuriale (terres louées en fermage ou en métayage).

L'offre de contrat social que la paysannerie faisait à la seigneurie était de partager la seigneurie : le domaine des censives aux censitaires et la réserve au seigneur. Par ailleurs, en ce qui concerne les biens communaux, la paysannerie refusait tout partage et réclamait, d'une part la reconnaissance de cette forme de propriété aux communautés villageoises, d'autre part la restitution de tous les communaux usurpés depuis 1669, date d'un édit royal de compromis qui admettait, dans certaines conditions, l'appropriation du tiers de ces biens par les seigneurs, les deux tiers restant à la communauté villageoise.

Enfin, en ce qui concerne les terres louées en fermage ou en métayage, la paysannerie proposait une législation de renouvellement des baux qui, pour aller à l'essentiel, supprimait leur caractère précaire et réduisait le montant des rentes à payer. L'esprit de cette dernière proposition visait à ménager l'accès le plus libre possible à la terre, instrument de travail élémentaire du paysan. Soulignons qu'ici la paysannerie était divisée, les vœux des petits exploitants différaient des intérêts des gros fermiers entrepreneurs de culture. Dans les régions proches des villes, ces gros fermiers recherchaient le juteux marché des subsistances urbaines et s'entendaient entre eux pour se réserver les locations de terres et en écarter les petits exploitants.

Revenons à la proposition formulée par la paysannerie. Elle exprimait tout d'abord une conception de l'association qui affirmait le droit à la vie et aux moyens de la conserver pour tous, y compris pour les seigneurs en tant que personnes, et refusait l'exclusion d'une partie de ses membres. La paysannerie n'a pas dit aux seigneurs qu'elle voulait tout leur prendre, y compris leur vie, mais qu'ils voulaient tout prendre et qu'elle leur proposait de partager. Ici, l'expression paysanne s'en prenait au monopole foncier seigneurial pour en arrêter la progression. En effet, les seigneurs espéraient encore s'approprier le domaine des censives, afin de supprimer le cens dont le montant était très inférieur à celui des rentes sous forme de métayage ou de fermage.

L'offre de la paysannerie s'appuyait sur le droit d'héritage dans une perspective de suppression complète des redevances. Des terres de ce type existaient au Moyen Age et portaient le nom d'alleu, terre libre qui n'était soumise à aucun droit féodalo-seigneurial. Précisons que la conception de la propriété seigneuriale se référait à une forme de propriété exclusive du sol, de type romain. Mais celle de la paysannerie correspondait à une généralisation de l'alleu qui remplacerait la censive : le brûlement des titres de propriété du seigneur exprima, on ne peut plus clairement, cette volonté d'allodialisation des censives par le feu.

Trop souvent, l'historiographie a voulu voir un mystérieux instinct de propriété attribué à une non moins mystérieuse mentalité paysanne qui, loin d'éclairer la conception paysanne du droit, rend opaque la lutte pluri-séculaire des paysans contre les différentes formes de rente. Qu'on le comprenne bien, l'alleu n'est pas une forme de propriété exclusive, mais combine des droits individuels et collectifs, bien connus des historiens et encore mieux des paysans eux-mêmes !

En second lieu la proposition paysanne laisse nettement apercevoir que les communautés villageoises se prenaient en charge sur le plan de la direction économique et sociale de l'agriculture et affirmaient qu'elles avaient pleinement conscience du caractère purement rentier et parasitaire de la seigneurie, à quelques très rares exceptions près. Elles se présentaient alors comme les héritières de la seigneurie sur le plan de la direction économique des campagnes, ce qu'elles devinrent avec la Révolution.

À la proposition paysanne, la seigneurie répondit, en partie, par la négative et provoqua la guerre civile en France. Mais la résistance seigneuriale fut finalement battue et l'offre de la paysannerie se réalisa sous la forme d'une réforme agraire et de l'adoption, par la législation révolutionnaire, de la conception paysanne du droit.

2. La Constitution de 1791 contre la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen

La grande jacquerie paysanne n'obtint pas la réponse favorable qu'elle attendait. Elle avait effrayé les propriétaires de seigneuries, qu'ils soient nobles ou roturiers et l'Assemblée constituante rusa, lors de la Nuit du 4 août 1789, en répondant de façon contradictoire à la demande paysanne. En effet, l'Assemblée décréta d'une main ce qu'elle reprit de l'autre. Elle énonça un principe de nature constituante en décrétant que : "l'Assemblée nationale détruit entièrement le régime féodal" et répondait ici à l'attente paysanne, mais elle le vida de son contenu en retenant le rachat des droits féodaux : pour se libérer des redevances pesant sur les censives, les paysans devaient indemniser le seigneur. Par son refus de décider clairement, l'Assemblée laissait aux rapports de force le soin de le faire : quatre ans de guerre civile et deux révolutions suivirent avant que la législation réponde favorablement à la paysannerie.

Par ailleurs, l'Assemblée promit, cette même Nuit du 4 août, de donner une déclaration des droits, comme base constitutionnelle. Le 26 août suivant, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen était votée. Ce texte déclarait les droits naturels de l'homme et du citoyen en référence à la philosophie du droit naturel moderne et à ses principes de résistance à l'oppression, de souveraineté comme bien commun d'un peuple, et de droit réciproque. C'est alors que le clivage côté gauche-côté droit prit son sens politique, le côté gauche voulant appliquer les principes de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, le côté droit cherchant à les éluder et, si possible, à se débarrasser de ce texte, jugé encombrant, qui condensait la théorie de cette révolution des droits de l'homme et du citoyen. (à suivre)
Florence Gauthier

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