En 1909, l'Anglaise Frédérika Mc Donald fut la première à dépouiller les manuscrits originaux de l'Histoire de Madame de Montbrillant, roman autobiographique écrit par Louise d'Epinay à partir de 1756.
Recoupant les cahiers conservés aux
Archives nationales avec ceux déposés à la bibliothèque de l'Arsenal,
elle révéla le complot ourdi par les proches de Mme d'Epinay pour perdre
la réputation de Rousseau.
Les lignes qui suivent sont extraites de La légende de Jean-Jacques Rousseau, ouvrage de F. Mc Donald paru en 1909.
Mais ce portrait de « René
» (ndlr : alias Rousseau), qui correspond si exactement au portrait de l’artificieux Jean-Jacques par
Grimm et Diderot, est-il même de Mme d'Epinay ? et s'il n'est pas d'elle,
qui donc en fut le véritable auteur ? Cette question, l'examen attentif du manuscrit
de l'Arsenal va la résoudre. (…)L'incident inséré dans le cahier 155 est la
fausse histoire de la visite que Diderot aurait fait à Rousseau au mois d'août
1757, histoire qui est donnée par Grimm à Mme d'Epinay pour justifier le récit
de Diderot dans ses Tablettes sur la
réalisation qu'il prétend avoir été faite, sans mauvaise intention, du secret
de la malheureuse passion de Rousseau pour Mme d'Houdelot. « Embarrassé de sa conduite avec Mme
d'Houdetot il m'appela à l'Ermitage pour savoir ce qu'il avait à faire. Je le
conseillai d'écrire tout à M. de Saint L. et de s'éloigner de Mme d'H. Ce
conseil lui plût : il me promit qu'il le suivrait » (…). Le lecteur
comprendra que l'histoire originale racontée par Mme d'Epinay n'était pas en
correspondance avec le récit de Diderot, puisque nous avons sous les yeux
l'altération introduite dans la première version. (…) Mais les documents d’une
importance capitale dans cette enquête sont les Notes dont j’ai parlé plus
haut. Leur objet se trouve indiqué par le titre général : « Notes des
changements à faire dans la fable ». Et le fait que les modifications des
cahiers des Archives et de l’Arsenal sont conformes aux indications données
dans ces Notes met entre nos mains la preuve patente que la narration originale
de Mme d’Epinay a été altérée de manière à la faire concorder avec le portrait
donné de Rousseau par Grimm et Diderot.
Bien que ces Notes soient écrites
sur des bouts de papier détachés ou des morceaux arrachés de vieux cahiers, et
bien qu’elles aient été ainsi jetées sans égard à l’ordre des événements, il
est possible de les classer, parce que chaque Note est accompagnée du numéro du
cahier où les altérations devaient être faites. (…) Le plus grand nombre de ces
Notes est de l’écriture qui corrige le manuscrit. Il y a cependant quelques
exceptions importantes à cette règle, comme on le verra bientôt (…)
Mais de qui
est l’écriture qui corrige ? Il est nécessaire ici de rappeler la
conclusion, d’ailleurs inexacte, que nous avions formulée dans un précédent ouvrage.
En 1895, quand nous n’étions qu’au début de ces recherches, nous croyions que
l’écriture légère et pâlie du manuscrit original était de Mme d’Epinay, et
qu’il fallait attribuer l’écriture ferme et plus fraiche du calomniateur de
Rousseau à quelque personne employée par Grimm pour falsifier le récit de Mme
d’Epinay, probablement après la mort de celle-ci. Nous avions d’autant plus
facilement accepté cette thèse qu’elle s’accordait avec notre réelle sympathie
pour l’aimable femme qui bâtit à Jean-Jacques son « ermitage » ;
et aussi parce qu’il nous répugnait de la croire associée au complot formé pour
nuire à son ancien ami. (…) Mais la déception que nous causa cette découverte
ne provient pas tant de ce que Mme d’Epinay aurait dicté à un secrétaire (écriture
n°1), au lieu de l’écrire de sa main, la version primitive de son récit. Le
fait accablant c’est qu’elle-même aurait de sa propre main, quatorze ou quinze
ans plus tard, semé de calomnies les pages jaunies qui évoquaient le souvenir
de son ancien ami. La conviction que l’écriture n°2, qui altère et intercale
des passages dans le manuscrit des Archives, doit être attribuée à Mme
d’Epinay, nous vint, avec toute la force d’un désappointement personnel, après
l’examen des papiers possédés par la Bibliothèque Nationale. (…) Mais, bien
qu’il soit déconcertant de trouver Mme d’Epinay coupable à ce point de trahison
envers son ancien ami, des recherches ultérieures établissent, par des preuves
tout aussi irréfragables, qu’elle n’est pas l’auteur des diffamations contenues
dans son ouvrage, mais simplement l’instrument passif des inventeurs de ces
diffamations. Ceux-ci, après avoir apporté leur provision d’ivraie dans son
champ, ont dirigé sa main pour l’y semer. Quoi qu’elles soient écrites de sa
main, Mme d’Epinay ne rédigea pas elle-même ces Notes, mais les écrivit sur les
indications de ceux qui lui faisaient modifier son récit. C’est ce que prouvent
les termes des Notes. L’auteur de ce récit est pris à partie par ses
correcteurs, parfois avec bien peu de ménagement. Ainsi, au sujet de certaines
protestations de l’héroïne contre la supposition qu’elle avait accordé ses
faveurs à « Desbarres » (Duclos). On ne dit pas, lui reproche le
correcteur : Il ne m’a pas touchée du bout des doigts, quand personne ne
vous a jamais touchée du bout des doigts… (à suivre)
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