mardi 25 mars 2014

La légende de Jean-Jacques Rousseau, par Frédérika Mac Donald (2)

En 1909, l'Anglaise Frédérika Mc Donald fut la première à dépouiller les manuscrits originaux de l'Histoire de Madame de Montbrillant, roman autobiographique écrit par Louise d'Epinay à partir de 1756.

Recoupant les cahiers conservés aux Archives nationales avec ceux déposés à la bibliothèque de l'Arsenal, elle révéla le complot ourdi par les proches de Mme d'Epinay pour perdre la réputation de Rousseau.

Les lignes qui suivent sont extraites de La légende de Jean-Jacques Rousseau, ouvrage de F. Mc Donald paru en 1909.
 
Louise d'Epinay

Mais ce portrait de « René » (ndlr : alias Rousseau), qui correspond si exactement au portrait de l’artificieux Jean-Jacques par Grimm et Diderot, est-il même de Mme d'Epinay ? et s'il n'est pas d'elle, qui donc en fut le véritable auteur ? Cette question, l'examen attentif du manuscrit de l'Arsenal va la résoudre. (…)L'incident inséré dans le cahier 155 est la fausse histoire de la visite que Diderot aurait fait à Rousseau au mois d'août 1757, histoire qui est donnée par Grimm à Mme d'Epinay pour justifier le récit de Diderot dans ses Tablettes sur la réalisation qu'il prétend avoir été faite, sans mauvaise intention, du secret de la malheureuse passion de Rousseau pour Mme d'Houdelot. « Embarrassé de sa conduite avec Mme d'Houdetot il m'appela à l'Ermitage pour savoir ce qu'il avait à faire. Je le conseillai d'écrire tout à M. de Saint L. et de s'éloigner de Mme d'H. Ce conseil lui plût : il me promit qu'il le suivrait » (…). Le lecteur comprendra que l'histoire originale racontée par Mme d'Epinay n'était pas en correspondance avec le récit de Diderot, puisque nous avons sous les yeux l'altération introduite dans la première version. (…) Mais les documents d’une importance capitale dans cette enquête sont les Notes dont j’ai parlé plus haut. Leur objet se trouve indiqué par le titre général : « Notes des changements à faire dans la fable ». Et le fait que les modifications des cahiers des Archives et de l’Arsenal sont conformes aux indications données dans ces Notes met entre nos mains la preuve patente que la narration originale de Mme d’Epinay a été altérée de manière à la faire concorder avec le portrait donné de Rousseau par Grimm et Diderot.

Bien que ces Notes soient écrites sur des bouts de papier détachés ou des morceaux arrachés de vieux cahiers, et bien qu’elles aient été ainsi jetées sans égard à l’ordre des événements, il est possible de les classer, parce que chaque Note est accompagnée du numéro du cahier où les altérations devaient être faites. (…) Le plus grand nombre de ces Notes est de l’écriture qui corrige le manuscrit. Il y a cependant quelques exceptions importantes à cette règle, comme on le verra bientôt (…) 


Mais de qui est l’écriture qui corrige ? Il est nécessaire ici de rappeler la conclusion, d’ailleurs inexacte, que nous avions formulée dans un précédent ouvrage. En 1895, quand nous n’étions qu’au début de ces recherches, nous croyions que l’écriture légère et pâlie du manuscrit original était de Mme d’Epinay, et qu’il fallait attribuer l’écriture ferme et plus fraiche du calomniateur de Rousseau à quelque personne employée par Grimm pour falsifier le récit de Mme d’Epinay, probablement après la mort de celle-ci. Nous avions d’autant plus facilement accepté cette thèse qu’elle s’accordait avec notre réelle sympathie pour l’aimable femme qui bâtit à Jean-Jacques son « ermitage » ; et aussi parce qu’il nous répugnait de la croire associée au complot formé pour nuire à son ancien ami. (…) Mais la déception que nous causa cette découverte ne provient pas tant de ce que Mme d’Epinay aurait dicté à un secrétaire (écriture n°1), au lieu de l’écrire de sa main, la version primitive de son récit. Le fait accablant c’est qu’elle-même aurait de sa propre main, quatorze ou quinze ans plus tard, semé de calomnies les pages jaunies qui évoquaient le souvenir de son ancien ami. La conviction que l’écriture n°2, qui altère et intercale des passages dans le manuscrit des Archives, doit être attribuée à Mme d’Epinay, nous vint, avec toute la force d’un désappointement personnel, après l’examen des papiers possédés par la Bibliothèque Nationale. (…) Mais, bien qu’il soit déconcertant de trouver Mme d’Epinay coupable à ce point de trahison envers son ancien ami, des recherches ultérieures établissent, par des preuves tout aussi irréfragables, qu’elle n’est pas l’auteur des diffamations contenues dans son ouvrage, mais simplement l’instrument passif des inventeurs de ces diffamations. Ceux-ci, après avoir apporté leur provision d’ivraie dans son champ, ont dirigé sa main pour l’y semer. Quoi qu’elles soient écrites de sa main, Mme d’Epinay ne rédigea pas elle-même ces Notes, mais les écrivit sur les indications de ceux qui lui faisaient modifier son récit. C’est ce que prouvent les termes des Notes. L’auteur de ce récit est pris à partie par ses correcteurs, parfois avec bien peu de ménagement. Ainsi, au sujet de certaines protestations de l’héroïne contre la supposition qu’elle avait accordé ses faveurs à « Desbarres » (Duclos). On ne dit pas, lui reproche le correcteur : Il ne m’a pas touchée du bout des doigts, quand personne ne vous a jamais touchée du bout des doigts… (à suivre)

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