Avocat au Parlement de Paris, Edmond Jean-François Barbier nous offre avec sa Chronique de la Régence et du règne de Louis XV un témoignage extrêmement précieux et détaillé sur la période 1718-1762. Dans le passage qui ci-dessous, il évoque l'affaire bien connue des disparitions d'enfants à Paris en 1750.
Mais voyons d'abord le témoignage du Marquis d'Argenson sur les événements survenus fin juin.
***
19 juin 1750. — On prétend qu’on a vu dans les séditions
de Paris des gens qui répandaient de l’argent au peuple pour
l’encourager. Quels pouvaient être ces gens ? De quelle part ? C’est ce
qu’on ne pourrait concevoir ni imaginer. Sont-ce des étrangers, des
sujets, des grands, des ecclésiastiques, des sectaires, des
parlementaires ? Sans doute le parlement trouvera moyen d’en découvrir
quelque chose. L’instruction est tenue fort secrète. Cependant l’on
relâche chaque jour des prisonniers, c’est-à-dire plusieurs archers et
exempts, mais non des séditieux.
25 juin 1750. — Voilà qui est décidé, le roi ne passera plus par Paris, allant et venant de Compiègne : on a fait un chemin à travers la plaine Saint-Denis, et on le pave. Le déjeuner est à Saint-Ouen, chez le duc de Gesvres, qui entretient le roi dans ce goût-là pour en tirer quelque grâce. Le prétexte est d’abréger le chemin; comme, pour aller de Versailles à Fontainebleau, on a également établi un chemin autour de Paris.
27 juin 1750. — Il est très vrai que le roi a dit tout haut dans sa cour qu’il ne voulait point passer par Paris allant à Compiègne.
25 juin 1750. — Voilà qui est décidé, le roi ne passera plus par Paris, allant et venant de Compiègne : on a fait un chemin à travers la plaine Saint-Denis, et on le pave. Le déjeuner est à Saint-Ouen, chez le duc de Gesvres, qui entretient le roi dans ce goût-là pour en tirer quelque grâce. Le prétexte est d’abréger le chemin; comme, pour aller de Versailles à Fontainebleau, on a également établi un chemin autour de Paris.
27 juin 1750. — Il est très vrai que le roi a dit tout haut dans sa cour qu’il ne voulait point passer par Paris allant à Compiègne.
« Eh quoi ! a-t-il dit, je me montrerais à ce vilain peuple,
qui a dit que je suis un Hérode ! » Il est fâcheux que ces impressions se
prennent et augmentent. C’est une énigme de pouvoir pénétrer quels sont
ceux qui poussent ainsi le peuple contre le roi. Certes ce n’est jamais
que contre le ministère; mais de l’un les esprits vont à l’autre. Nous
n’avons point aujourd’hui de chefs entreprenants contre la cour. Nul
n’est assez grand, assez courageux, pour de pareilles choses. La mode
est devenue de mettre la circonspection du bon air, ce sont là nos
moeurs. Un homme entreprenant en cette matière passerait pour un fou
fanatique et un furieux. Ainsi tout courage d’entreprise est impossible.
Concluons que ceci ne se fait plus par chefs particuliers, mais par la
basse multitude elle-même. Elle peut être poussée par les prêtres; le
jansénisme y a part; les convulsionnaires animent encore le peuple. On
dépeint le roi comme un dévot, ayant une maîtresse en faisant trafic. De
là on soulève le peuple contre les dépenses de la cour, à quoi excitent
les impôts encore davantage. Véritablement il n’y a nul ordre dans le
gouvernement. Nos princes sont aujourd’hui ennemis de tout système, de
tout plan général de gouvernement, à plus forte raison de l’économique. A
cela se joint l’attaque contre le clergé par le vingtième, et la
mauvaise humeur que donne au peuple la grande pénurie. Tout cela se
prend grossièrement par la multitude, et produit les effets que nous
avons vus, sans ceux que nous verrons. Je suis persuadé que, si l’on a
vu des gens bien mis distribuant de l’argent au peuple révolté à Paris,
ce sont des gens peureux qui donnaient de l’argent pour se délivrer des
cris qui se tournoient contre eux.
4 juillet 1750. — Une personne de l’intérieur des cabinets, et liée avec la marquise de Pompadour, m’a dit que le roi et cette favorite étaient cruellement ulcérés de la mauvaise volonté du public contre eux. Le jour d’une des principales émeutes, la marquise était venue à Paris pour voir à l’Assomption l’appartement de sa fille. Elle devait dîner chez le marquis de Gontaud, rue de Richelieu. Elle descendit d’abord chez lui. Il vint au-devant d’elle, et lui dit qu’il ne lui donnerait pas à dîner, qu’il ne faisait pas bon pour elle, et qu’elle n’eût qu’à retourner au plus vite à Versailles; ce qu’elle fit. Le peuple commençait déjà à s’amasser sur le rempart où donne le jardin de cette maison. Le roi et la marquise ne s’occupent que de cette mauvaise volonté du peuple, tandis que le prince aurait beaucoup voulu gagner l’affection de ses sujets. Il aime à être aimé, et c’eût été le plus heureux de ses souhaits d’y parvenir; mais, environné comme il est, il n’en saurait découvrir les moyens. (...)
4 juillet 1750. — Une personne de l’intérieur des cabinets, et liée avec la marquise de Pompadour, m’a dit que le roi et cette favorite étaient cruellement ulcérés de la mauvaise volonté du public contre eux. Le jour d’une des principales émeutes, la marquise était venue à Paris pour voir à l’Assomption l’appartement de sa fille. Elle devait dîner chez le marquis de Gontaud, rue de Richelieu. Elle descendit d’abord chez lui. Il vint au-devant d’elle, et lui dit qu’il ne lui donnerait pas à dîner, qu’il ne faisait pas bon pour elle, et qu’elle n’eût qu’à retourner au plus vite à Versailles; ce qu’elle fit. Le peuple commençait déjà à s’amasser sur le rempart où donne le jardin de cette maison. Le roi et la marquise ne s’occupent que de cette mauvaise volonté du peuple, tandis que le prince aurait beaucoup voulu gagner l’affection de ses sujets. Il aime à être aimé, et c’eût été le plus heureux de ses souhaits d’y parvenir; mais, environné comme il est, il n’en saurait découvrir les moyens. (...)
— De cette affaire-ci, on a relâché
tous les gueux qui avaient été enfermés; ils demandent l’aumône avec
insolence. Le bas peuple est fier, les riches sont honteux: c’est
l’anarchie qui commence.
Le peuple est calme, jusqu’à la
première révolte. Le sieur Berryer, l’intendant de police, se montre
plus poli que ci-devant, au lieu de l’orgueil bourgeois qu’il arborait.
***
JUILLET
Aujourd’hui, lundi 6 juillet, on a
brûlé en place de Grève publiquement, à cinq heures du soir, ces deux ouvriers,
savoir un garçon menuisier et un charcutier, âgés de 18 et 20 ans, que le guet
a trouvés en flagrant délit, le soir, commettant le crime de sodomie.
Il y avait apparemment un peu de vin sur jeu pour pousser
l’effronterie à ce point. J’ai appris, à cette occasion, que devant les
escouades du guet à pied marche un homme vêtu de gris qui remarque ce qui se
passe dans les rues, sans être suspect, et qui ensuite fait approcher
l’escouade. C’est ainsi que nos deux hommes ont été découverts. Comme il s’est
passé quelque temps sans faire l’exécution après le jugement, on a cru que la
peine avait été commuée à cause de l’indécence de ces sortes d’exemples qui
apprennent à bien de la jeunesse ce qu’elle ne sait pas ; mais on dit que c’est
une contestation entre le lieutenant criminel du Châtelet et le rapporteur,
pour savoir à qui assisterait à cette exécution, d’autant que le rapporteur n’était
plus de la colonne du criminel ; mais M. le chancelier a décidé que le
rapporteur irait, quoique n’étant plus du criminel lors de l’exécution. Bref,
l’exécution a été faite pour faire un exemple ; d’autant que l’on dit que ce
crime devient très commun, et qu’il y a beaucoup de gens à Bicêtre pour ce fait.
Comme ces deux ouvriers n’avaient point de relations avec des personnes de distinction,
soit de la Cour, soit de la ville, et qu’ils n’ont apparemment déclaré
personne, cet exemple s’est fait sans aucune conséquence pour les suites.
Le feu était composé de sept voies de petit bois, de deux
cents de fagots et de paille. Ils ont été attachés à deux poteaux et étranglés
auparavant, quoiqu’ils soient étouffés sur-le-champ par une chemise de souffre.
On n’a point crié de jugement pour s’épargner apparemment le nom et la
qualification du crime.
( à suivre ici)
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