vendredi 8 avril 2016

Disparition d'enfants à Paris en 1750 (7)

Avocat au Parlement de Paris, Edmond Jean-François Barbier nous offre avec sa Chronique de la Régence et du règne de Louis XV un témoignage extrêmement précieux et détaillé sur la période 1718-1762. Dans le passage qui ci-dessous, il évoque l'affaire bien connue des disparitions d'enfants à Paris en 1750.



JUILLET

Le parlement a arrêté un sursis de quinze jours au jugement criminel de la dernière émeute populaire à l'occasion de l'enlèvement des enfants. Il y a, dit-on, plus de quarante personnes dans les prisons : le procès est presque instruit. Les exempts de police qui sont impliqués dans cette affaire ont, dit-on, rapporté et représenté leurs ordres pour prendre des enfants vagabonds ; mais non pas pour en tirer de l'argent en les rendant aux pères et mères. Le sursis expiré, on verra ce que cela deviendra.

— On ne parle plus de tous les bruits de querelle et de changement dans le ministère qu'on faisait courir dans Paris pendant le voyage de Compiègne. Le clergé continue ses assemblées, mais il ne transpire rien de ses résolutions.


AOUT 
Depuis quelques jours, le parlement, c'est-à-dire la grand-chambre et la Tournelle assemblées, a repris le travail de l'émotion populaire. Aujourd'hui, samedi 1er, on a fait monter les prisonniers pour être interrogés sur la sellette : il y a dix-neuf ou vingt accusés. Cela a fait assez de bruit dans Paris, d'autant que tous ces prisonniers, exempts de police ou autres, sont gens du peuple. Il y avait des archers à toutes les issues de la grand-chambre, pour empêcher l'affluence de ceux qui étaient intéressés et qui étaient à crier et à pleurer. Les régiments des gardes françaises et suisses étaient commandés. On a vu des escouades de guet à cheval. On disait qu'il devait y avoir trois ou quatre personnes pendues; il y avait aussi trois exempts, mais on ne parlait pas de mort à leur égard. Cette affaire intrigue, non seulement le petit peuple, mais les honnêtes gens. On convient que ces séditieux sont criminels, que c'est fort à craindre dans le peuple, qu'il faut faire des exemples, qu'il ne faut pas laisser connaître au peuple sa force et que le ministère le craint ; mais on sent, en même temps, que la cause de ces tumultes diminue beaucoup du crime et n'a point de rapport au roi.

Le parlement est resté assemblé à travailler jusqu'à cinq heures du soir, et il n'y a point eu d'exécution. On avait toujours fait prudemment d'avoir main-forte, crainte que le bruit de l'exécution n'occasionnât quelque assemblée populaire. (…)

 
la place de Grêve par Hoffbauer

—Au surplus, il n'y a eu aucune grâce pour les séditieux qui ont été pris ; le jugement était rendu dès le samedi. Aujourd'hui lundi 3, l'arrêt, qui condamne trois de ces particuliers à être pendus, a été affiché aux coins des rues, même crié par quelques colporteurs, et il a été exécuté en place de Grève, où tout le monde était. Le régiment des gardes était commandé, ou du moins par détachements qui étaient postés dans les marchés, surtout aux environs de la Grève, et qui, en cas de besoin, auraient barré toutes les rues pour empêcher la communication du peuple.

Cette expédition a été faite sur les cinq heures après midi. Le charbonnier, qui est un homme très bien fait, est celui qui, ayant été frappé par un archer dans une bagarre, avait cassé la jambe à l'archer. Urbain, le brocanteur, était un jeune homme qui avait été chercher de la paille pour mettre le feu à la maison du commissaire de La Fosse, rue de la Calandre, et frappé à la porte d'un fourbisseur, sur le Pont Saint Michel, pour avoir des armes: on croyait même qu'il serait brûlé, après être pendu, comme incendiaire. Il n'avait que dix-sept ans; c'était le fils de gens de métier dans l'Abbaye Saint-Germain. Lorsque le charbonnier fut monté à l'échelle, tout le peuple, dans la place, a crié grâce, ce qui a fait arrêter le bourreau qui a fait descendre quelques échelons au patient. Cela a causé un mouvement d'espérance aux deux autres (ndlr :les dénommés Lebeau et Charvaz) ; mais il n'y avait point de grâce. Le guet, en ce moment, tant à cheval qu'à pied, la baïonnette au bout du fusil, a fait un grand rond dans la place et fait reculer le peuple, dont il y en a eu même plusieurs blessés et renversés les uns sur les autres, et l'exécution a été faite. Le peuple, qui était dans la Grève, a eu si peur de se trouver environné de soldats aux gardes, qu'il s'enfuyait avec confusion et crainte le long du quai Le Peletier et de la Ferraille, jusque par delà le Pont-Neuf, ce qui fait voir qu'avec un peu d'ordre, le peuple de Paris est facile à réduire. La garde dans Paris a continué la nuit, et tout a été tranquille. Telle est la fin de cette malheureuse affaire qui a causé la mort et des blessures à plusieurs personnes, des maisons pillées et ravagées, et qui aurait pu être prévenue par un peu de soin de la part des magistrats de police.

Mais il est vrai de dire que cet événement, qui a fait l'histoire du jour et la conversation de tout Paris, y avait mis une certaine consternation. On plaignait ces malheureux, quoiqu'on sentît bien la nécessité d'un exemple, parce que tout le monde est convaincu que dans le fait on a pris grand nombre d'enfants, et que les gens de police avaient des ordres pour le faire, sans que ces ordres ni la volonté du prince aient été manifestés à cet égard, et qu'il est très naturel au peuple de s'opposer à l'enlèvement de ses enfants ou de ceux de ses voisins. Il est certain que ces exécutions ne déshonoreront point la famille de ceux qui ont été pendus.

Fin






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