Avocat au Parlement de Paris, Edmond Jean-François Barbier nous offre avec sa Chronique de la Régence et du règne de Louis XV un témoignage extrêmement précieux et détaillé sur la période 1718-1762.Dans le passage qui suit, il évoque l'affaire bien connue des disparitions d'enfants à Paris en 1750.
Il y a ici un fait. Tous les tumultes qui sont arrivés ont commencé à un endroit, et pour une cause ; celui de la rue du quartier Saint-Antoine, par la rue des Nonaindières; celui de la Croix-Rouge, du faubourg Saint-Germain au-dessus; celui de la rue de Cléry, de la porte Saint-Denis; celui de la rue de la Calandre, du côté du quai des Quatre-Nations; celui de la rue Saint-Honoré. de la Butte Saint-Roch. Le peuple ne s’est assemblé, multiplié, répandu qu’en poursuivant ceux que l’on accuse d’avoir pris ou voulu prendre des enfants. Ces gens poursuivis se sont tous réfugiés chez des commissaires , comme un lieu d’asile pour la police. Or, tous ces gens, soit ceux qui n’ont pas pu s’échapper et qui ont été ou assommés ou bien maltraités, soit ceux qui se sont réfugiés dans les maisons et surtout chez des commissaires, se sont trouvés être des archers, mouches, espions. Pourquoi se trouvaient-ils là ? Il est donc vrai que c’était à dessein de surprendre des enfants ; ce qui avait excité d’abord de la rumeur dans un quartier. Si l’on voulait informer sérieusement, ce serait d’aller d’abord à la source et à l’endroit du prétendu délit.
Il est cependant vrai qu’il y a eu des personnes prises pour des exempts, qui n’en étaient pas et qui ont été très maltraitées, et qui auraient été assommées si elles n’avaient pas été reconnues par quelqu’un.
Il est cependant vrai qu’il y a eu des personnes prises pour des exempts, qui n’en étaient pas et qui ont été très maltraitées, et qui auraient été assommées si elles n’avaient pas été reconnues par quelqu’un.
***
A la même date, d'Argenson écrit dans son journal :
30 mai. — J’ai reçu l’arrêt du
parlement, qui commence à informer tant sur l’attroupement et la sédition que
contre ceux qui ont enlevé des enfants mal à propos. On me mande que ces
mouvements populaires étaient animés et poussés par des gens au-dessus du peuple. C’est une énigme
que je ne devine pas. L’inquisition va redoubler de tout ceci.
7 juin 1750. — La procédure va grand
train contre les archers qui arrêtaient des enfants. Un nommé Leblanc est convaincu. On découvre
qu’ils enlevaient des enfants sans ordre, et que c’était pour tirer ensuite
rançon des pères et mères, qui sont de bons bourgeois. On assure que cela
allait souvent à 40 et 50 écus.
J’ai
vu hier une précaution toute particulière que l’on prend pour rassurer les
esprits, et qui va jusqu’aux campagnes éloignées de Paris, comme celle que
j’habite. Le subdélégué écrit à mon curé par ordre de l’intendant, et lui
envoie une copie imprimée de l’arrêt du parlement, pour apaiser ce tumulte. Il
lui ordonne de le remettre au syndic de la paroisse pour qu’il le communique
aux habitants. Mais il veut qu’il prévienne les esprits sur le peu de tort qu’a
en ceci le gouvernement. Il est vrai qu’il y avait déjà un commencement
d’émeute dans les paroisses les plus rapprochées de Paris. C’est aussi un moyen
de flatter le clergé, et de le ménager pour l’affaire du vingtième.
10 juin 1750. — La sédition est enfin
apaisée; mais j’ai vu hier des gens qui arrivaient de Paris, et qui m’ont conté
des choses de visu, et qu’on n’ose
pas écrire. Tout est plein d’espions plus que jamais; les lettres interceptées;
c’est en un mot l’inquisition plus terrible que jamais. Quel mauvais remède! Le
gouvernement fait arrêter les nuits ceux qu’on a remarqués dans des séditions,
surtout dans celle du fameux vendredi de
l’octave. Belle matière à proscription contre ceux à qui le gouvernement en
veut. M. Berryer n’ose encore se montrer de jour. On le dit caché quelque part,
de sorte qu’il va travailler avec les ministres où il peut. C’est à lui que le
peuple de Paris en voulait davantage dans ces bagarres; (...)
Je
croyais que le parlement était excepté de cette rage; mais j’apprends que le
peuple lui en veut comme à tout le reste ; qu’il a été vomi mille injures contre
le premier président, et qu’ils ont dit qu’il fallait se torcher le c... de ce
bel arrêt qui ne leur rendrait pas leurs enfants. Le peuple voulait aller à
Versailles brûler le château, qui a été, disait-il, élevé à ses dépens. On a été obligé de mettre sur le chemin des troupes
pour garder le pont de Sèvres et le défilé de Meudon.
Le
beau de ceci est le conseil qui se tenait à Versailles le vendredi 22 mai,
pendant le plus fort de la bagarre de Paris. C’était chez mon frère, où étaient
la marquise de Pompadour, la comtesse
d’Estrades, le duc de Gesvres et le duc de Biron: voilà tout le conseil. Il y
arrivait à tout moment des courriers de Paris, qui n’apportaient que de
fâcheuses nouvelles. Ma belle-soeur était restée à Paris, et, étant sortie dans
les rues, a entendu bien des mauvais propos contre elle et contre mon frère.
Ce
qu’il y a de plus fâcheux, c’est le parti que des femmelettes ont fait tenir au
roi pour le voyage de Compiègne. On a annoncé qu’il était retardé de huit jours
par les prières de madame la Dauphine, et pour des maladies dans ce pays-là (à
quoi il n’y avait pas un mot de vrai); mais c’était afin de tromper le peuple
de Paris. Au lieu que Sa Majesté devait partir de Versailles le 5, elle est
partie secrètement dans la nuit du 6 au 7 pour Compiègne, où on l’attendait
peu, et pour punition, dit-on, au peuple révolté, le monarque n’a point passé
par Paris.
On
a ouvert un chemin nouveau dans la plaine Saint-Denis, à travers les champs,
dont la moisson s’avançait. On a encore craint qu’il ne s’embourbât par les
pluies continuelles qu’il fait aujourd’hui. Tout cela a un air de fuite qui
désole tous les bons François. Voila la haine inspirée au roi contre les
Parisiens plus grande qu’elle n’était chez Louis XIV. Il n’y a que des femmes
de basse condition, dit-on, qui puissent donner de tels conseils.
Que
peuvent mander les ambassadeurs étrangers à leur cour de ce qu’ils voient ici ?
Et quelle estime de notre gouvernement, quelle confiance y peut-on prendre ?
***
Cela est arrivé de même en 1720.
Après la suppression de la rue Quincampoix, qui avait attiré effectivement à Paris un nombre infini de fainéants, vagabonds et gens sans aveu, pour ce vilain commerce de papier, il y eut, au mois de mars, une déclaration du Roi, pour arrêter toutes sortes de gens, et pour les envoyer aux colonies. ll fut fait, pour cet effet, trois bandes d’archers, qui marchaient publiquement dans les rues avec un sergent à leur tête. Ils avaient cent sols par personne qu’ils arrêtaient. Le dessein et l’exécution se faisaient ouvertement; cela s’exécuta pendant près de deux mois, à la vue du peuple qui ne se remuait pas. A la fin, ces vagabonds se dispersèrent. Ces archers, n’ayant plus de proie, commencèrent à prendre indistinctement des bourgeois et du peuple. Cela fit du bruit. Les artisans empèchèrent leurs enfants de sortir. Au commencement du mois de mai, ces archers s’avisèrent d’aller dans le faubourg Saint-Antoine et voulurent arrêter quelqu’un. Tout le peuple sortit, s’ameuta, armé de bûches et d’autres instruments ; on tomba sur ces archers qui portaient des pistolets, et tirèrent. On les assomma, et on en porta douze à l’Hôtel-Dieu pour être trépanés. Il y eut alors une seconde déclaration du Roi, qui ordonna l’exécution de la première pour n’avoir pas le démenti, et qui en même temps, mit un ordre pour ne point troubler le peuple mal à propos, et ordonna que tous les artisans porteraient sur eux un certificat des maîtres et bourgeois chez qui ils travaillaient.
Mais quinze jours après, on supprima les bandes des archers ; il ne fut plus question de rien, et il n’y eut aucune information ni punition de la révolte du faubourg Saint-Antoine. M. le comte d’Argenson, aujourd’hui ministre, était alors lieutenant général de police.
Aujourd’hui qu’on avait besoin d’enfants vagabonds, libertins, presque abandonnés des pères et mères, hors d’état de les nourrir, comme il y en a beaucoup, on n’a pas voulu suivre la même route. On a cru qu’une déclaration du Roi, des archers, causerait de l’alarme ; on a pris le parti de la surprise, et d’agir secrètement, et l’avidité des gens de police préposés pour cela a tout gâté et causé les désordres qui sont arrivés.
Mais quinze jours après, on supprima les bandes des archers ; il ne fut plus question de rien, et il n’y eut aucune information ni punition de la révolte du faubourg Saint-Antoine. M. le comte d’Argenson, aujourd’hui ministre, était alors lieutenant général de police.
Aujourd’hui qu’on avait besoin d’enfants vagabonds, libertins, presque abandonnés des pères et mères, hors d’état de les nourrir, comme il y en a beaucoup, on n’a pas voulu suivre la même route. On a cru qu’une déclaration du Roi, des archers, causerait de l’alarme ; on a pris le parti de la surprise, et d’agir secrètement, et l’avidité des gens de police préposés pour cela a tout gâté et causé les désordres qui sont arrivés.
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