C'est
en octobre 1747 que les Libraires associés confient à Diderot (et
d'Alembert) le soin de poursuivre le projet encyclopédique. Voici
comment sa fille Angélique raconte ces premières années.
Quelque temps après,
l’Encyclopédie fut encore arrêtée (ndlr : en 1752). M. de Malesherbes prévint mon père qu’il
donnerait le lendemain ordre d’enlever ses papiers et ses cartons. « Ce que
vous m’annoncez là me chagrine horriblement ; jamais je n’aurai le temps de
déménager tous mes manuscrits, et d’ailleurs il n’est pas facile de trouver en
vingt-quatre heures des gens qui veuillent s’en charger et chez qui ils soient
en sûreté. — Envoyez-les tous chez moi, lui répondit M. de Malesherbes, l’on ne
viendra pas les y chercher. » En effet, mon père envoya la moitié de son
cabinet chez celui qui en ordonnait la visite.
Tout le temps qu’il a travaillé à
cet ouvrage, c’est-à-dire trente ans, il n’a joui, pour ainsi dire, d’aucun
repos ; il n’était jamais sûr la veille de pouvoir continuer le lendemain ; les
libraires le désespéraient. Il venait de publier un volume dont il avait revu
toutes les épreuves ; il a besoin de rechercher quelque chose, il trouve un
article rogné, recousu et gâté, il ne sait comment cette faute a pu se
commettre, il parcourt tout le volume, et trouve toute sa besogne altérée.
C’était une correction de la façon de Le Breton (l'un des libraires associés au projet). Effrayé de la hardiesse de ces
idées, il avait imaginé, pour en adoucir l’effet, d’ôter et de supprimer tout
ce qui paraissait trop fort à la faiblesse de sa tête. Mon père pensa en tomber
malade ; il cria, s’emporta, il voulait abandonner l’ouvrage ; mais le temps,
la bêtise, les ridicules excuses de ce libraire, qui craignait la Bastille plus
que la foudre, parvinrent à le calmer, mais non à le consoler. Jamais je ne
l’ai entendu parler froidement à ce sujet ; il était convaincu que le public
savait comme lui ce qui manquait à chaque article, et l’impossibilité de
réparer ce dommage lui donnait encore de l’humeur vingt ans après. Il exigea
pourtant que l’on tirât un exemplaire pour lui avec des colonnes où tout était
rétabli ; cet exemplaire est en Russie avec sa bibliothèque.
L’abandon de M. d’Alembert au
milieu de l’entreprise lui fit un chagrin amer. Qui le croirait ! l’argent seul
fut cause de sa retraite (le manque de courage, également) :
j’ai vu dans des lettres très
intimes de mon père tout le détail de ses allées et venues dans ce temps. M.
d’Alembert voulait que son traitement fût plus considérable, les libraires y
consentirent ; quelques mois après, il voulut davantage, ils rechignèrent, mais
ils accordèrent encore ; quelques mois après, il demanda de nouvelles
augmentations, jamais mon père ne put les y déterminer ; et après avoir
conjuré, supplié, demandé à son ami, juré, tourmenté les libraires, il demeura
seul chargé de la besogne (à partir de 1757). Cet événement ne diminua ni l’estime de mon père
pour la personne de M. d’Alembert, ni la justice qu’il rendait à ses rares
talents, mais il s’éloigna de sa société. Toutes les fois qu’ils se
retrouvaient, ils se traitaient comme s’ils ne se fussent jamais quittés, mais
ils étaient quelquefois deux ans sans se voir.
( à suivre ici)
( à suivre ici)
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