A MADAME D’ÉPINAY (avril)
Oncle et nièce (ndlr : Voltaire et Mme Denis) remercient tendrement ma philosophe. Il a été question de soupçon d’inflammation d’entrailles. Quatre médecins de Paris nous auraient tués comme ils ont tué leur confrère La Virotte, en cas pareil (Célèbre médecin, Louis-Anne La Virotte venait de mourir à Paris); mais avec notre cher docteur on ne craint rien.
Mille tendres respects à ma philosophe.
A MADAME D’ÉPINAY (avril)
Madame, j’ai été toute ma vie en butte à la calomnie. Vous m’accusez publiquement d’avoir mangé du lard; je vous jure devant Dieu que... que... que vous vous êtes trompée une fois en votre vie. Je suis dans un état pitoyable, sans l’avoir mérité, et affaibli par trois semaines continuelles de perdition de ma chétive substance. Si vous honorez mes pénates de votre présence réelle, amenez avec vous quelque philosophe ou quelque écuyer: car, pour moi, je n’ai ni jambes, ni tête. Il ne me reste pour tout potage que mon derrière, qui fait mon malheur. J’oubliais mon coeur; il est à vous, madame, puisqu’il bat encore un peu, et c’est avec le plus tendre respect. V
Permettez-moi de demander des nouvelles de l’inoculable (allusion au fils de Louise), et de faire aussi mille compliments à M. de Gauffecourt (qui détenait une imprimerie à Genève); nous l’attendons demain.
A MADAME D’ÉPINAY (mai)
Le porteur (sans doute une allusion à Grimm, l'amant de Louise, qui venait de la rejoindre à Genève) ne vous dira pas qu’il est la plus aimable créature du monde; mais moi, je vous le dis, ma chère philosophe. Il a fait d’ailleurs ce que vous deviez faire: il nous est venu voir.
A MADAME D’ÉPINAY (juin)
Je suis bien malingre, mais très heureux. Honorez, madame, nos petits pénates de votre présence, vous et M. Grimm. Liberté entière pour le malade; il sera consolé quand il aura l’honneur de vous voir. L’oncle et la nièce vous attendent avec transport.
A MADAME D’ÉPINAY (juillet)
Mme Denis (nièce de Voltaire) est un gros cochon qui prétend ne pouvoir écrire parce qu’il fait trop chaud; et moi, malgré mon apoplexie, j’écris comme Gauffecourt. Je brave les saisons, et je boude ma philosophe, qui ne veut point de nous, qui n’aime que Genève, qui ne veut point venir parler avec nous de l’infâme. Je me ferai dévot, et les dévotes viendront me donner des lavements, puisque ma philosophe et mon prophète m’abandonnent.
Voltaire et Mme Denis |
A MADAME D’ÉPINAY (juillet)
Comment se porte ma philosophe? Est-il vrai qu’on a ôté à Gauffecourt son sel? Mais, si le sel s’évanouit, avec quoi salera-t-on, comme dit l’autre ?
Certain sermon salé (sans doute un ouvrage de Voltaire ?) est-il copié? Y a-t-il quelque nouvelle? C’est une belle chose que la santé.
A MADAME D’ÉPINAY (juillet)
Il y a dix ans que je n’ai lu les vers d’Helvétius. S’ils sont mauvais, sa prose ne vaut guère mieux. C’est un fagot vert qui donne un peu de feu et beaucoup de fumée.
Le beau sermon est tout fait pour votre belle âme. Édifiez-vous, ma belle philosophe, tant qu’il vous plaira; soyez toujours femme de bien; et, si vous êtes d’honnêtes gens, vous et votre Bohémien (comprenez : Grimm), je vous donnerai votre récompense en ce monde, dans quelques jours. Je vous remercie tendrement; mais votre fermier général n’aime pas les belles-lettres, ou je suis trompé. V.
A MADAME D’ÉPINAY (août)
Si Dieu vous a inspirée, si vous avez fait usage de votre imprimerie de poche, vous avez fait une action très méritoire. Il faut extirper l’infâme, du moins chez les honnêtes gens. Elle est digne des sots; laissons-la aux sots, mais rendons service à notre prochain. Ma chère philosophe, je n’irai point à Lausanne si vous daignez venir aux Délices.
A MADAME D’ÉPINAY (août)
Ma belle inoculable, ma courageuse philosophe, je baise vos mules; mais pour celle du pape (allusion à La mule du pape, poème de Voltaire), vous ne pourrez l’avoir que demain ou après-demain. Il faut s’en souvenir, la refaire, la transcrire; je n’ai pas un moment à moi; mais tous mes moments sont à vous.
A MADAME D’ÉPINAY (août)
Nous ne manquerons pas de venir admirer le courage et voir la jambe de ma philosophe, car l’inoculateur s’adresse aux jambes. Nous comptons sur la plus heureuse insertion. Je prie ma belle philosophe de vouloir bien m’envoyer les allégories.
A MADAME D’ÉPINAY (août)
Il faut absolument que j’aille voir ma philosophe. Tous les jours sont pour moi le jour de sa fête. Je ne passe pas les miens en fêtes, avec ma détestable santé; la vue de ma courageuse philosophe me ranimera.
J’ai reçu une lettre de M. d’Épinay, mais je n’ai point répondu, afin de n’être pas soupçonné d’indiscrétion si on sait à Paris combien ma philosophe a eu de courage.
A MADAME D’ÉPINAY (septembre)
L’ami Hume (sans doute un de ses ouvrages ?) me vient, madame; je vous remercie de votre bonté, et je vous supplie de contremander votre autre Hume. Mais j’ai l’honneur de vous avertir que je fais plus de cas de votre conversation que de tous les Hume du monde, et qu’il est fort triste pour moi que vous habitiez une ville. Tous les philosophes devraient vivre à la campagne; à Épinai, madame, à Épinai. Je me flatte que l’inoculé (le fils de Louise) se porte mieux que vous. Nos dames vous présentent leurs obéissances.
inoculation de la variole |
A MADAME D’ÉPINAY (octobre)
Vos cartons (ils échangeaient leurs mots sur de petits cartons) sont pour moi, madame, les cartons de Raphaël (allusion au peintre), quand ils sont ornés d’un mot de votre main. Il y a une suite aux Entretiens chinois (encore un de ses ouvrages); mais elle est au magasin de Ferney. On vous la donnera; mais ce serait à vous à donner, et vous ne voulez que recevoir. La gourmande Denis se porte mieux. Le philosophe est à vos pieds. A propos, la gourmande est philosophe aussi, car on l’est avec des faiblesses.
Dieu vous en donne! V.
(à suivre ici)
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