jeudi 18 mai 2017

Louise d'Epinay, vue par la presse du XIXè siècle (2)

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 Cet autre article est extrait d'un numéro du Gaulois daté du 20 juillet 1882.
En voici la 1ère partie.




II n'y a pas de roman qui vaille l'histoire intime, l'histoire à vif, ni écorchée ni fardée, jaillie des mémoires et des correspondances, où les personnages se présentent d'eux-mêmes, dans le costume de leur époque, dans le sans-façon de leur pensée. Le présent, si dégagé qu'il soit, ou qu'il se croie, de toute ancienne tradition, se tourne quelquefois vers le passé, non sans complaisance.

Qu'étaient nos aïeux et que faisaient-ils? Quelles étaient leurs habitudes, leurs manières et leurs manies ? Nous aimons à l'apprendre; nous nous plaisons, en un mot, à nous regarder vivre en tous ceux qui ont vécu. Le goût de la vérité, sous ses grands- et ses menus aspects, aura possédé tout ce siècle dont on médit vainement, car il est un beau siècle. Je ne puis souffrir, quant à moi, que l'on nous parle de décadence intellectuelle et de moeurs dégénérées dans l'élite sociale. A vrai dire, chaque période qui passe a ses bons et ses mauvais côtés, et il se trouve toujours quantité d'esprits chagrins pour ne s'apercevoir que de ces derniers. Regardez cependant où nous en sommes.

N'avons-nous pas des arts admirables, des sciences constamment élargies, des industries prospères, une activité qui ne se dément jamais? (…)



Je viens de lire un délicieux livre, un livre qui m'a ravi du premier mot à la fin la Jeunesse de madame d'Epinay, par MM. Lucien Perey et Gaston Maugras. Mme d'Epinay ne fut rien autre chose qu'une aimable femme, un type achevé de la Parisienne au dix-huitième siècle. Veut-on savoir au juste ce qu'était la Parisienne mondaine en ces jours lointains, trop décriés et trop vantés?

un ouvrage qui m'a été très utile !


La curiosité peut ici se satisfaire en plein et le plus agréablement du monde. On s'est accoutumé à les voir, ces belles au sourire engageant, à travers un nuage de poudre à la maréchale un peu trop fait en façon de nuage d'opéra. A les déshabiller, on les reconnaît charmantes encore, mais non supérieures, à tout prendre, à beaucoup de ces charmeresses qui font notre tourment et notre joie. Elles aussi, je vous l'affirme, auront plus tard la transfiguration des légendes. L'homme est de ce tempérament, il désire ce qu'il n'a pas, il regrette ce qu'il n'a plus et se prend à le déifier.



Mme d'Epinay est la fille d'un bon gentilhomme d'épée, le baron d'Esclavelles, et d'une femme de petite noblesse, Florence-Angélique Prouveur de Preux. Faites attention à cette double origine elle met en présence les deux éléments de la société la haute aristocratie et la basse, qui tient à la roture. M. d'Esclavelles a pour sœur la marquise de Roncherolles; Mlle Prouveur a pour sœur Mme de Bellegarde, femme d'un fermier général d'une fabuleuse richesse, et pour frère un homme excellent qui vit retiré dans sa gentilhommière, chassant et soignant ses chiens, qui a nom le comte de Preux. Entre ces personnages.un drame va se jouer. A peine le père d'Esclavelles est-il mort, le premier acte commence.
L'enfant est toute jeune. Que fera-t-on d'elle? A cette question, toutes les cervelles de la famille entrent en ébullition. « Qu'on la mette au couvent, dit la tante de Roncherolles on l'en tirera pour la marier à un homme de qualité qui sera très honoré de porter son nom et ses armes.» C'est le conseil de la haute aristocratie qui ne veut pas déchoir. La tante de Roncherolles perd la tête, répond l'oncle de Preux. Nous ne sommes pas les cousins du Roi, que je sache. Menez ma nièce à la campagne on l'y mariera, au temps voulu, à quelque bon gentilhomme de la province, qui aura du bien et un honnête nom qu'il gardera. » C'est le conseil de la petite aristocratie qui ne veut pas se surfaire.

M. de Bellegarde, à son tour, propose à sa belle-sœur de s'installer chez lui avec sa fille. On mariera Louise d'Esclavelles à quelque riche financier.

« Soixante mille livres de rente valent le sacrifice d’une révérence au nez du roi, dira-t-on un jour à la mère, La mariée n'en vaudra pas moins et la soupe en vaudra mieux » Voilà le conseil de la roture, qui veut tout envahir. Sur ce terrain vous devinez jusqu'où l'on peut aller .Au dix-huitième siècle, il n'y a pas dans les familles de débat politique; par contre, tout est débat de caste. On n'est pas comme aujourd'hui républicain ou monarchiste; on est noble à plus ou moins de quartiers, ou roturier à plus ou moins d'écus. Avez-vous vos seize quartiers? Vous aurez ma fille. N'avez-vous pas d'argent! Je garde mon fils.

Et la lutte entre les deux ordres est vive au possible. Voici Mme de Bellegarde, la, femme du fermier général chez lequel s'est retirée Mme d'Esclavelles. Elle a, près de Saint-Denis, un château superbe et, dans la rue Saint-Honoré, un hôtel où tout resplendit. Le salon est tendu de brocatelle verte encadrée dans des baguettes de bois doré; les meubles, à fond rouge, sont brodés à l'aiguille de fleurs et d'ornements. On ne voit partout que girandoles, trumeaux, pilastres, garnitures du plus grand prix. Le clavecin sort des ateliers de Hans Ancker, d'Anvers. Tout brille, tout étincelle. La maîtresse dela maison se montre en habits magnifiques, quoique le plus souvent d'assez mauvais goût. On l'y voit, par exemple, en robe de gros velours jaune, galonné de clinquant d'argent comme les atours des poupées. Elle est coiffée en cheveux, avec des aigrettes de diamant et des poignées de fleurs, telles qu'on en met sur les desserts .

 
le château de la Chevrette

N'importe elle n'omet pas une occasion de morigéner sa sœur et d'humilier sa nièce. A celle-ci, elle a fait présent d'une toilette de damas à douze francs l'aune; la jeune fille ne se sent pas d'aise, mais la roturière n'est pas d'humeur à se laisser cajoler « Je crois, ma nièce, lui dit-elle, que, sans moi, vous n'auriez jamais porté une si belle robe. Avant de remercier, pensez à tout ce que je fais pour vous, et voyez ce que vous deviendriez sans moi. Votre père n'était qu'un gueux, malgré sa naissance ne soyez pas flère et haute comme lui si vous voulez conserver mes bontés. » Et ce sont, à tout propos, des scènes de cette impertinence. Avouez qu'on est moins brutal au temps qui court. 

(à suivre ici)

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