Cet autre article est extrait d'un numéro du Gaulois daté du 20 juillet 1882. Comme bon nombre de biographes, le journaliste prend pour argent comptant le récit que fait Louise d'Epinay dans son roman autobiographique.
Elle mourut, cette Mme de
Bellegarde, et son mari la pleura jusqu'à
l'extravagance. On sait quel était, à
cette époque, le grand appareil du deuil. Le
deuil de veuve surenchérissait sur le
deuil du veuf; le fermier général l'adopta
rigoureusement. Toute la maison était
tendue de gris on cacha toutes les glaces
on se vêtit de noir. Dans le silence
obstiné de tout le monde éclataient à
chaque instant les sanglots et les cris
de M. de Bellegarde. L'excès fut tel qu'il
y dut renoncer au bout de fort peu de
mois; on périssait d'ennui sous ces
tentures lugubres. Le bonhomme de
Preux, qui était venu à Paris, conduit
par son bon cœur, fut si heureux qu'on
les ôtât, qu'il fit aussitôt charité d'un
louis aux pauvres.
Mais déjà Louise d'Esclavelles
était à marier. Elle avait de
l'imagination, de l'esprit, du tact dans la
causerie, de la tendresse dans l'âme, une figure
avenante, une tournure distinguée.
Elle aimait depuis longtemps son cousin
d'Epinay, le fils aîné du fermier
général, et son cousin l'aimait. Si cette
naturelle affection avait été combattue, il
n'est pas besoin de le dire. Personne ne se
prêtait au mariage, les uns par
morgue de naissance, les autres par morgue
de richesse, si ce n'est les deux
amoureux.
D'Epinay, bon musicien,
accompagnait au clavecin sa cousine, qui
chantait, et il lui faisait, en
l'accompagnant, des déclarations ardentes. On voulut
mettre ordre à cet amour. Le jeune homme eut des maîtresses mais, un beau
jour, il feignit la folie, et la noce
eut lieu.
L'oncle de Preux envoya pour le
souper le produit de sa chasse : un marcassin et six perdrix rouges valant des
bartavelles. Après souper, on apporta
la corbeille, pleine de diamants et de
joyaux, avec une bourse de cent louis
d'or donnée par le beau-père. On
s'embrassa, on pleura; soirée charmante! Sur
les minuit, on se rendit à la messe; on
s'embrassa encore, l'on pleura de
nouveau; puis l'on s'alla coucher.
Or, le lendemain, ce fut une
plaisante chose lorsqu'on entra dans la
chambre des époux. Le mari poursuivait sa femme, une boîte de rouge à la
main, la femme esquivait son mari et
son rouge. « Vous mettrez du rouge, »
criait le mari. « Je n'en mettrai pas, »
ripostait la femme. Et, finalement,
elle en mit.
A quelques jours de là, autre
scène.
Le mari dit: " Nous allons au
spectacle." La belle-mère se fâcha « Ma fille
ne va pas au spectacle. » La femme
mourait d'envie de prendre du plaisir.
Elle dut attendre pour en prendre.
Finalement, elle en prit. Elle devait même,
par la suite, en prendre beaucoup.
D'Epinay, vrai Parisien, forma
tout de suite mille beaux projets. On
aurait, chaque semaine, deux soupers et
un dîner, sans compter un grand
concert et un concert intime, à s'amuser
à porte fermée. On passa quelque temps à
s'adorer. Le jeune homme ne sortait
guère, et, lorsqu'il sortait, la jeune
femme s'enfermait dans la bibliothèque. Qui
était ravi de cette union? Le beau-père
de Bellegarde. Qui ne l'était point?
La belle-mère d'Esclavelles.
Celle-ci ne pouvait pardonner à Mme d'Epinay
d'être
la femme de son mari. L'oncle de
Preux gourmandait sa sœur avec son gros
bon sens « Laissez donc les enfants
se divertir à leur guise. S'ils
s'amusent, tout ira bien. Que notre fille mette
du rouge et qu'elle aille à la comédie!
Qu'elle embrasse, qu'elle tutoie son
maître du matin au soir et qu'elle bâille
en son absence cela est parfait. Et point
de mauvaise humeur!
Hélas les beaux jours ne durèrent
pas. D'Epinay s'ennuya de son bonheur
et il fit pleurer sa femme. D'abord il
rentra tard, ensuite il ne rentra plus.
Deux comédiennes l'affolaient. L'une des
deux avait un amant qui, furieux, le
fit bâtonner et arrêter par la police;
sa femme paya ses dettes, il la remercia en
s'acharnant dans sa vie joyeuse. «
Voulez-vous me plaire, lui dit-il, où à
peu près, faites comme moi et laissez-moi
tranquille. » Une fois, il entra dans
sa chambre avec ses amis. En fin de
compte, elle suivit son exemple, se dissipa,
se donna des plaisirs. Elle eut des amis,
elle alla souper en lieu suspect, elle
fut de toutes les parties, elle fit le
diable et, sur le retour, écrivit ses
Mémoires.
l'amant Dupin de Francueil |
Je ne puis aller plus loin et
c'est dommage, car jamais je n'eus devant
moi si verte matière, et si friande.
Cette Mme d'Epinay finit sa vie moins
orageusement, ce M. d'Epinay se ruina de
fond
en comble. Il y a plus d'un siècle
que ces choses se passèrent. Nos
mœurs, à coup sûr, ne sont pas plus
dépravées. Sont-elles moins élégantes ? En
vérité, je ne le crois pas.
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