vendredi 26 mai 2017

Louise d'Epinay, vue par la presse du XIXè siècle (3)


 Cet autre article est extrait d'un numéro du Gaulois daté du 20 juillet 1882. Comme bon nombre de biographes, le journaliste prend pour argent comptant le récit que fait Louise d'Epinay dans son roman autobiographique.

Voici la 2nde partie de l'article.






Elle mourut, cette Mme de Bellegarde, et son mari la pleura jusqu'à l'extravagance. On sait quel était, à cette époque, le grand appareil du deuil. Le deuil de veuve surenchérissait sur le deuil du veuf; le fermier général l'adopta rigoureusement. Toute la maison était tendue de gris on cacha toutes les glaces on se vêtit de noir. Dans le silence obstiné de tout le monde éclataient à chaque instant les sanglots et les cris de M. de Bellegarde. L'excès fut tel qu'il y dut renoncer au bout de fort peu de mois; on périssait d'ennui sous ces tentures lugubres. Le bonhomme de Preux, qui était venu à Paris, conduit par son bon cœur, fut si heureux qu'on les ôtât, qu'il fit aussitôt charité d'un louis aux pauvres.
Mais déjà Louise d'Esclavelles était à marier. Elle avait de l'imagination, de l'esprit, du tact dans la causerie, de la tendresse dans l'âme, une figure avenante, une tournure distinguée. Elle aimait depuis longtemps son cousin d'Epinay, le fils aîné du fermier général, et son cousin l'aimait. Si cette naturelle affection avait été combattue, il n'est pas besoin de le dire. Personne ne se prêtait au mariage, les uns par morgue de naissance, les autres par morgue de richesse, si ce n'est les deux amoureux.
D'Epinay, bon musicien, accompagnait au clavecin sa cousine, qui chantait, et il lui faisait, en l'accompagnant, des déclarations ardentes. On voulut mettre ordre à cet amour. Le jeune homme eut des maîtresses mais, un beau jour, il feignit la folie, et la noce eut lieu.
L'oncle de Preux envoya pour le souper le produit de sa chasse : un marcassin et six perdrix rouges valant des bartavelles. Après souper, on apporta la corbeille, pleine de diamants et de joyaux, avec une bourse de cent louis d'or donnée par le beau-père. On s'embrassa, on pleura; soirée charmante! Sur les minuit, on se rendit à la messe; on s'embrassa encore, l'on pleura de nouveau; puis l'on s'alla coucher.
Or, le lendemain, ce fut une plaisante chose lorsqu'on entra dans la chambre des époux. Le mari poursuivait sa femme, une boîte de rouge à la main, la femme esquivait son mari et son rouge. « Vous mettrez du rouge, » criait le mari. « Je n'en mettrai pas, » ripostait la femme. Et, finalement, elle en mit.
A quelques jours de là, autre scène.
Le mari dit: " Nous allons au spectacle." La belle-mère se fâcha « Ma fille ne va pas au spectacle. » La femme mourait d'envie de prendre du plaisir. Elle dut attendre pour en prendre. Finalement, elle en prit. Elle devait même, par la suite, en prendre beaucoup.
D'Epinay, vrai Parisien, forma tout de suite mille beaux projets. On aurait, chaque semaine, deux soupers et un dîner, sans compter un grand concert et un concert intime, à s'amuser à porte fermée. On passa quelque temps à s'adorer. Le jeune homme ne sortait guère, et, lorsqu'il sortait, la jeune femme s'enfermait dans la bibliothèque. Qui était ravi de cette union? Le beau-père de Bellegarde. Qui ne l'était point? La belle-mère d'Esclavelles. Celle-ci ne pouvait pardonner à Mme d'Epinay d'être
la femme de son mari. L'oncle de Preux gourmandait sa sœur avec son gros bon sens « Laissez donc les enfants se divertir à leur guise. S'ils s'amusent, tout ira bien. Que notre fille mette du rouge et qu'elle aille à la comédie! Qu'elle embrasse, qu'elle tutoie son maître du matin au soir et qu'elle bâille en son absence cela est parfait. Et point de mauvaise humeur!
Hélas les beaux jours ne durèrent pas. D'Epinay s'ennuya de son bonheur et il fit pleurer sa femme. D'abord il rentra tard, ensuite il ne rentra plus. Deux comédiennes l'affolaient. L'une des deux avait un amant qui, furieux, le fit bâtonner et arrêter par la police; sa femme paya ses dettes, il la remercia en s'acharnant dans sa vie joyeuse. « Voulez-vous me plaire, lui dit-il, où à peu près, faites comme moi et laissez-moi tranquille. » Une fois, il entra dans sa chambre avec ses amis. En fin de compte, elle suivit son exemple, se dissipa, se donna des plaisirs. Elle eut des amis, elle alla souper en lieu suspect, elle fut de toutes les parties, elle fit le diable et, sur le retour, écrivit ses Mémoires.
l'amant Dupin de Francueil
Je ne puis aller plus loin et c'est dommage, car jamais je n'eus devant moi si verte matière, et si friande. Cette Mme d'Epinay finit sa vie moins orageusement, ce M. d'Epinay se ruina de fond
en comble. Il y a plus d'un siècle que ces choses se passèrent. Nos mœurs, à coup sûr, ne sont pas plus dépravées. Sont-elles moins élégantes ? En vérité, je ne le crois pas. 

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