vendredi 15 septembre 2017

L'Eglise et l'esclavage au XVIIIè siècle (1)

"Tu aimeras ton prochain comme toi-même", nous ordonne l'Evangile selon St Marc.
Informé de ce commandement, un élève m'interroge sur l'attitude de l'Eglise face à la traite négrière pratiquée par la France et d'autres pays d'Europe au XVIIIè siècle.
"
Les voies du Seigneur sont de tout évidence impénétrables !" suis-je obligé de lui répliquer, un peu honteux de ma pirouette, avant de lui proposer ce magnifique passage extrait de Dissertation sur la traite et le commerce des nègres (1764).
Ecrit par un théologien, Jean Bellon de Saint Quentin, ce petit ouvrage est un chef-d'oeuvre de cynisme chrétien. Réfutant les arguments des encyclopédistes, l'apologiste tente en effet de démontrer que l'esclavage ne contredit ni le droit naturel ni la loi Divine !
 
 



Au commencement, il est vrai, Dieu créa l’homme parfaitement libre ; c’est-à-dire pleinement maître de sa personne et de toutes ses actions, et n’étant assujetti ni comptable qu’au seul auteur de son être. En ce sens une pleine et entière liberté lui était naturelle. Mais le péché, en entrant dans le monde, a causé un étrange renversement dans son état et les choses ont bien changé de face à cet égard. Car depuis qu’abusant de sa liberté, il s’est révolté contre celui de qui il la tenait, il est honteusement déchu de cette pleine et parfaite liberté dans laquelle il avait été créé. En voulant par orgueil se soustraire à la douce et juste dépendance de son créateur et de son unique maître , il s’est précipité dans une servitude et un esclavage presque universels (….) C’est Dieu qui met des différences entre les hommes, qui diversifie leurs voies sur la terre et décide souverainement du sort de chacun d’eux, selon ses vues de justice ou de miséricorde. Ses jugements à cet égard sont pleins d’équité et toujours adorables. C’est lui qui fait le riche et le pauvre, le roi et le sujet, le libre et l’esclave (…) Or l’espèce d’esclaves dont il est question, quand on demande si le commerce des nègres que l’on tire de Guinée, est permis et légitime, sont dans ce cas. Ce sont des hommes nés esclaves, ou qui le sont devenus par une suite inévitable de guerres continuelles que leurs chefs se font entre eux. On ne les fait point esclaves en les achetant, mais on les trouve tels, retenus dans les fers, réduits à la servitude la plus cruelle et la plus intolérable, en puissance de maîtres barbares (…) Tout ce qui résulte par rapport à eux du commerce qui s’en fait, est le changement d’une servitude excessivement dure et qui les tient éloignés de tout moyen de salut, en une autre incomparablement plus douce et plus tolérable et où ils se trouvent à porté de parvenir à la connaissance de Jésus Christ et de son Evangile : d’où je conclus que l’état d’esclavage dans lequel on les retient n’est pas en soi contraire au droit naturel.(...)




Il est vrai que par notre qualité de Chrétiens nous ne formons plus qu’un seul corps en Jésus-Christ et nous devenons tous membres d’un même Chef : nous possédons la même foi, nous pratiquons le même Evangile et nous tendons au même bonheur, de quelque sexe, de quelque rang et de quelque condition que nous puissions être. Mais dans le corps, tous les membres ne tiennent pas le même range et ne sont pas destinés à la même fonction ; les pieds sont inférieurs à tous les autres, et plus près de la terre. Les frères d’une même famille n’ont pas tous les mêmes droits et les mêmes prérogatives : il y a des aînés et des cadets (…) Le but de la mission de Jésus-Christ ne fut jamais de remettre les hommes au même niveau et de les rendre tous égaux sur la terre ; il n’est point venu confondre la différence des conditions, ni détruire la juste et nécessaire subordination qu’il avait plu à la divine Providence de mettre entre elles (…) Donc le commerce que l’on fait des esclaves n’est pas en soi illégitime ni contraire aux lois du Christianisme. Il n’est pas non plus contraire à la Loi naturelle ni à la loi Divine écrite.





(à suivre ici)





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