samedi 16 septembre 2017

L'Eglise et l'esclavage au XVIIIè siècle (2)

"Tu aimeras ton prochain comme toi-même", nous ordonne l'Evangile selon St Marc. Informé de ce commandement, un élève m'interroge sur l'attitude de l'Eglise face à la traite négrière pratiquée par la France et d'autres pays d'Europe au XVIIIè siècle."Les voies du Seigneur sont de tout évidence impénétrables!" suis-je obligé de lui répliquer, un peu honteux de ma pirouette, avant de lui proposer ce magnifique passage extrait de Dissertation sur la traite et le commerce des nègres (1764).
Ecrit par un théologien, Jean Bellon de Saint Quentin, ce petit ouvrage est un chef-d'oeuvre de cynisme chrétien. Réfutant les arguments des encyclopédistes, l'apologiste tente en effet de démontrer que l'esclavage ne contredit ni le droit naturel ni la loi Divine !
Dans ce 2nd extrait, il répond à quelques objections que lui fait un interlocuteur imaginaire. 



Mais ajoute-ton, n’est-ce pas chose qui en soi révolte les sens et répugne à la nature de vendre et de mettre à prix l’humanité ?


Ce n’est pas proprement l’humanité que l’on vend, en vendant des esclaves ; ce sont les services que ceux qui les achètent en tirent, et rien n’est plus appréciable. Ces termes « vendre » et « acheter » dont on s’offense et se choque si fort, lorsqu’il s’agit d’esclaves, sont employés dans l’Ecriture même (…)


Peut-on, sans blesser l’équité et sans se rendre coupable d’injustice envers ses semblables, leur enlever ainsi leur liberté et disposer de leur sort et de leur personne, contre leur gré et sans leur consentement ?


Nous l’avons déjà observé, en achetant des nègres en Guinée, on ne leur ôte point leur liberté, ils n’en jouissent plus, on ne les fait point esclaves, on les trouve tels. Et tout ce qui résulte de cet achat est d’améliorer leur sort ; d’où il suit que loin de leur faire injustice et de leur causer aucun tort, on les sert au contraire et on leur procure un très grand avantage, tant pour le bien-être du corps que pour le salut de l’âme, en les faisant passer à une servitude incontestablement plus douce et plus supportable que celle dont on les tire. (…)



Entre les principes de l’équité naturelle, un des premiers et le plus connu de tous n’est-il pas de ne point faire à autrui ce que nous ne voudrions pas qu’on nous fît ?


Cette règle est incontestable (…) Mais il n’y eut jamais de cas où il y ait moins lieu d’en faire l’application. Puisque dans la vérité du fait, on n’aggrave point le joug des esclaves nègres, et on ne leur cause aucun mal en les transférant dans nos îles. Au contraire, c’est un très grand service qu’on leur rend, et un office de charité très réel que l’on exerce à leur égard. Non seulement on adoucit de beaucoup leur servitude corporelle, mais on les met à portée d’apprendre à connaître Jésus-Christ et son Evangile.


Qu’y a-t-il donc de si avantageux pour les esclaves de Guinée, à être transférés dans nos îles, où on leur donne à peine le nécessaire, où on les fait travailler comme des chevaux, où on les maltraite et les assomme de coups ? (…)


Que l’on interroge quelqu’un de sensé et d’équitable qui ait habité dans nos colonies et ait été témoin de la conduite qu’on y tient communément envers les nègres (…) Il y a des abus, on n’en disconvient pas ; mais où n’y en a-t-il point ? Il peut s’y trouver des maîtres durs et inhumains qui en usent mal avec leurs esclaves, comme il s’en trouve parmi nous qui se montrent tels avec leurs domestiques (…) On n’exige d’eux que plusieurs heures de travail par jour (…) et les paysans occupés dans nos campagnes à cultiver la terre en font le double au moins de ce qu’on exige des nègres de nos îles.


Il n’est plus permis en France non plus que dans plusieurs autres royaumes chrétiens d’avoir des esclaves : les lois civiles en ont abrogé l’usage.


Je conviens que cela n’est plus d’usage dans notre continent et que les lois ne le permettent pas : mais la même autorité qui a établi, pour de bonnes raisons,  les lois qui le défendent parmi nous, peut bien le permettre ailleurs, lorsque le bien de l’Etat l’exige. Aussi les habitants de nos colonies sont-ils autorisés par une loi particulière du prince, à en acquérir le plus qu’ils peuvent, pour la culture des terres : ce qui devient une grande ressource de l’Etat (…) On peut lire là-dessus l’Edit du Roi du mois de mars 1724 appelé le Code Noir.


(à suivre ici)


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Pour commenter cet article...