"Tu aimeras ton prochain comme toi-même", nous ordonne l'Evangile selon St Marc.
Informé de ce commandement, un élève
m'interroge sur l'attitude de l'Eglise face à la traite négrière
pratiquée par la France et d'autres pays d'Europe au XVIIIè siècle."Les voies du Seigneur sont de tout évidence impénétrables!" suis-je obligé de lui répliquer, un peu honteux de ma pirouette, avant de lui proposer ce magnifique passage extrait de Dissertation sur la traite et le commerce des nègres (1764).
Ecrit par un théologien, Jean Bellon de Saint Quentin, ce petit ouvrage est un chef-d'oeuvre de cynisme chrétien. Réfutant les arguments des encyclopédistes, l'apologiste tente en effet de démontrer que l'esclavage ne contredit ni le droit naturel ni la loi Divine !
Ecrit par un théologien, Jean Bellon de Saint Quentin, ce petit ouvrage est un chef-d'oeuvre de cynisme chrétien. Réfutant les arguments des encyclopédistes, l'apologiste tente en effet de démontrer que l'esclavage ne contredit ni le droit naturel ni la loi Divine !
Dans ce 2nd extrait, il répond à quelques objections que lui fait un interlocuteur imaginaire.
Mais
ajoute-ton, n’est-ce pas chose qui en soi révolte les sens et répugne à la
nature de vendre et de mettre à prix l’humanité ?
Ce n’est pas proprement l’humanité que l’on vend, en
vendant des esclaves ; ce sont les services que ceux qui les achètent en
tirent, et rien n’est plus appréciable. Ces termes « vendre » et
« acheter » dont on s’offense et se choque si fort, lorsqu’il s’agit
d’esclaves, sont employés dans l’Ecriture même (…)
Peut-on, sans
blesser l’équité et sans se rendre coupable d’injustice envers ses semblables,
leur enlever ainsi leur liberté et disposer de leur sort et de leur personne,
contre leur gré et sans leur consentement ?
Nous l’avons déjà observé, en achetant des nègres en
Guinée, on ne leur ôte point leur liberté, ils n’en jouissent plus, on ne les
fait point esclaves, on les trouve tels. Et tout ce qui résulte de cet achat
est d’améliorer leur sort ; d’où il suit que loin de leur faire injustice
et de leur causer aucun tort, on les sert au contraire et on leur procure un
très grand avantage, tant pour le bien-être du corps que pour le salut de
l’âme, en les faisant passer à une servitude incontestablement plus douce et
plus supportable que celle dont on les tire. (…)
Entre les
principes de l’équité naturelle, un des premiers et le plus connu de tous
n’est-il pas de ne point faire à autrui ce que nous ne voudrions pas qu’on nous
fît ?
Cette règle est incontestable (…) Mais il n’y eut
jamais de cas où il y ait moins lieu d’en faire l’application. Puisque dans la
vérité du fait, on n’aggrave point le joug des esclaves nègres, et on ne leur
cause aucun mal en les transférant dans nos îles. Au contraire, c’est un très
grand service qu’on leur rend, et un office de charité très réel que l’on
exerce à leur égard. Non seulement on adoucit de beaucoup leur servitude
corporelle, mais on les met à portée d’apprendre à connaître Jésus-Christ et
son Evangile.
Qu’y a-t-il
donc de si avantageux pour les esclaves de Guinée, à être transférés dans nos
îles, où on leur donne à peine le nécessaire, où on les fait travailler comme
des chevaux, où on les maltraite et les assomme de coups ? (…)
Que l’on interroge quelqu’un de sensé et d’équitable
qui ait habité dans nos colonies et ait été témoin de la conduite qu’on y tient
communément envers les nègres (…) Il y a des abus, on n’en disconvient
pas ; mais où n’y en a-t-il point ? Il peut s’y trouver des maîtres
durs et inhumains qui en usent mal avec leurs esclaves, comme il s’en trouve
parmi nous qui se montrent tels avec leurs domestiques (…) On n’exige d’eux que
plusieurs heures de travail par jour (…) et les paysans occupés dans nos
campagnes à cultiver la terre en font le double au moins de ce qu’on exige des
nègres de nos îles.
Il n’est plus
permis en France non plus que dans plusieurs autres royaumes chrétiens d’avoir
des esclaves : les lois civiles en ont abrogé l’usage.
Je conviens que cela n’est plus d’usage dans notre
continent et que les lois ne le permettent pas : mais la même autorité qui
a établi, pour de bonnes raisons,
les lois qui le défendent parmi nous, peut bien le permettre ailleurs,
lorsque le bien de l’Etat l’exige. Aussi les habitants de nos colonies sont-ils
autorisés par une loi particulière du prince, à en acquérir le plus qu’ils
peuvent, pour la culture des terres : ce qui devient une grande ressource
de l’Etat (…) On peut lire là-dessus l’Edit du Roi du mois de mars 1724 appelé
le Code Noir.
(à suivre ici)
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