lundi 20 janvier 2020

Eric Zemmour et les Lumières (5)


Accordons à Zemmour ce mérite : il a lu Rousseau. Et notamment ses ouvrages les plus austères : d'abord le Contrat social, mais également le Vicaire savoyard et la Lettre à Christophe de Beaumont.


Se trompant sur les raisons de ce qu'il nomme la "querelle fondatrice" entre Voltaire et le Genevois, il l'attribue aux articles de foi défendus par l'un et par l'autre.
Si le premier d'entre eux revenait parmi nous, il ferait l'éloge de la "mondialisation"... de l'"ouverture"... de l'"universalisme" ... du "cosmopolitisme" ... du "libre-échange" et de l'"Europe".
Quant à Rousseau, il défendrait la "nation".... le "repli" sur soi, ... la "préférence nationale", ... le "patriotisme", le "protectionnisme" et la "souveraineté nationale".
Forçant encore le trait, Zemmour hasarde même les termes de "xénophobie" et "xénophilie". 
Pour un peu, il ferait du premier le mentor de Macron et du second le maître à penser des Le Pen...
Il imagine même une inquiétante filiation, affirmant qu'au XIXè, "Maurras saura se souvenir de la leçon de Rousseau". Et d'ajouter quelques lignes plus bas : "le mot nationalisme n'existait pas encore. C'est Barrès qui en fera une doctrine politique à partir de 1890.
extrait de Destin français (Eric Zemmour)

Relevons ici une nouvelle erreur, puisque dès 1798, dans une violente diatribe visant Rousseau, l'abbé Barruel écrivait déjà : "Le nationalisme prit la place de l'amour général ( ... ) Alors, il fut permis de mépriser les étrangers, de les tromper, de les offenser. Cette vertu fut appelée patriotisme. Et dès lors, pourquoi ne pas donner à cette vertu des limites plus étroites? Ainsi vit-on du patriotisme naître le localisme, l'esprit de famille et enfin l'égoïsme."

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Pour autant, ce que Zemmour rapporte est le plus souvent exact. Aux yeux de Rousseau, l'amour de la patrie est effectivement incompatible avec l'ouverture cosmopolite vantée par la plupart des Encyclopédistes. Le citoyen, s'il agit comme tel, se dévoue à sa communauté et renonce à son intérêt personnel. Le rôle des institutions doit être de développer ce sentiment d'appartenance à la cité. Pour que la patrie subsiste, il lui faut évidemment des lois et un gouvernement, mais également des moeurs et des coutumes qui lui soient consubstantielles, et que les institutions doivent promouvoir. 
Dénonçant au contraire les valeurs du philosophe rationaliste, Rousseau regrette que "la famille, la patrie deviennent pour lui des mots vides de sens : il n'est ni parent, ni citoyen, ni homme ; il est philosophe" (in préface de Narcisse).


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La tentation est effectivement grande de voir en Rousseau l'inspirateur (le responsable ?) de tous les excès du nationalisme moderne. C'est l'erreur commise par Barruel et par tant d'autres après lui. Car dans cet amour de la terre natale défendu par Rousseau, on ne trouve nulle idée d'impérialisme, d'expansionnisme, et encore moins de bellicisme. 
C'est au moment de la Révolution que ce patriotisme exclusivement républicain et défensif a pris un caractère nouveau, à la fois agressif et conquérant. Jamais le Genevois n'aurait encouragé une guerre au nom de la fraternité entre les peuples, de la paix en Europe, ou d'un quelconque droit de l'homme. Et ce, pour une raison fort simple : aucun peuple, quel qu'il soit, n'a jamais rêvé de conquête ou d'expansion !  Ces désirs sont toujours ceux de gouvernements, donc de quelques hommes prêts à tous les mensonges (surtout les plus nobles !) pour les assouvir. 

(à suivre ici)
 

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