mardi 30 avril 2024

L'homme du Royal Corse (7)

 En guise de mise en bouche avant la sortie de De Profundis

(pour lire les chapitres qui précèdent)

14

 

L’antichambre ne désemplissait pas, au grand dam d’Arno qui se désintéressa bientôt de cette succession ininterrompue de caquets et de sollicitations. De temps à autre, il lançait un regard vers la maîtresse de maison, impressionné par sa patience et la bienveillance qu’elle témoignait à ses visiteurs. Aux uns elle adressait des amabilités, aux autres des encouragements, et au curé de la paroisse venu lui réclamer ses bonnes œuvres, une bourse sonnante et enflée qui le fit se pâmer de joie.

Lorsque le défilé s’acheva enfin, Madame de Brissart s’accorda un discret soupir de soulagement avant de consulter l’heure sur la pendule.

- Une heure, déjà… Mes hôtes doivent m’attendre pour le dîner. Peut-être devriez-vous rejoindre l’office, notre cuisinière vous servira de quoi apaiser votre faim. En espérant que mon époux ne tarde pas trop…

Arno se laissa mener jusqu’à une petite salle qui touchait la cuisine, d’où émergea bientôt une petite bonne femme à la mine replète et aux sourcils broussailleux.

- Ah çà ! Pour le personnel, on a déjà desservi. Qu’est-ce que je vais bien pouvoir te proposer, mon gaillard ?

- Je me contente habituellement de peu, signifia Arno, toujours debout devant l’entrée. Malgré lui, ses narines se soulevèrent en direction du fumet qui s’échappait de l’autre pièce, ce dont s’égaya la bonne femme.

- Allons, fistonneau, à la faim il n’y a pas de mauvais pain. Viens t’asseoir et laisse-moi quelques minutes, que je trouve ta pitance.

Il eut à peine le temps de prendre place sur le banc qu’elle revenait déjà, suivie de son aide qui lui servit une assiette de bouillon et quelques tranches de pain.

Arno se sentait tellement affamé qu’il se jeta dessus, dévorant le tout en un rien de temps. Alors qu’il s’essuyait le coin des lèvres et s’apprêtait à se lever, la domestique entra à nouveau, cette fois avec un plat où se mêlaient deux parts de rôti de veau,  un filet de poularde ainsi qu’une salade de fèves.

- Les restes du souper d’hier, dit timidement la jeune femme avant de s’éclipser.

En partie rassasié, Arno prit cette fois le temps de savourer chacune de ses bouchées, d’autant qu’elles étaient accompagnées d’un délicieux vin clairet.

- Diable ! s’exclama la cuisinière lorsqu’il eut nettoyé son assiette, tu avales dru comme les mouches. Elle avait déposé devant lui une soucoupe garnie de quelques croquets et surmontée d’un petit confiturier empli d’une gelée rosée.

- De la groseille ! dit-elle avec une fierté contenue. Ces petits gosiers n’y ont presque pas touché, hier soir.

Arno n’osa pas protester. Il grignota un ou deux biscuits et comme on lui apportait du café, il goûta docilement la confiture sous le regard satisfait de la bonne femme. Un domestique venait d’entrer dans l’office, rapportant en cuisine des plats de tourtes à peine entamés.

- Où puis-je patienter en attendant qu’ils aient achevé de dîner ? demanda Arno après avoir remercié sa bienfaitrice.

- Patienter ? s’étonna-t-elle, les sourcils froncés. Est-ce donc à cela que Monsieur emploie ses gens ? Enfin, tant qu’à ça… Tu n’as qu’à me suivre, si le cœur t’en dit.

Elle le précéda dans l’office et le mena jusqu’à une petite réserve qui s’ouvrait sur l’arrière de la maison. Le jardin, en fait une cour rectangulaire plantée de quelques tilleuls, était ceinturé de murs élevés et entièrement clos. Arno alla s’asseoir sur la margelle du puits, à l’ombre d’un arbre, et tenta de se représenter la configuration de l’hôtel. D’un côté une rue régulièrement arpentée par le guet, de l’autre la place Louis-le-Grand, et enfin ces hauts murs qui rendaient impossible la moindre intrusion par le flanc. En comptant le portier et les deux domestiques entrevus auparavant, Brissart disposait d’au moins trois hommes en armes, sans compter Blayac, le plus redoutable de tous. Même avec les quelques vauriens que la Vaudry avait promis de recruter, c’était peine perdue. Sentant le découragement le gagner, Arno ramassa un peu de gravier et se mit à triturer les cailloux entre ses doigts. Mais alors, comment s’y prendraient-ils ? Et où agir ? La veille, s’il avait su à l’avance leur destination, Arno aurait pu organiser un traquenard. Mais de toute évidence, Brissart n’était pas homme à se confier, et encore moins au dernier venu de sa bande. Pourtant, il faudrait bien qu’il avoue son crime, qu’Arno entende de sa bouche le récit des événements survenus ce jour-là à Bourges. À s’imaginer la scène, il serra le poing et le porta à son front : Brissart était entré dans l’auberge, sans doute en quête d’un rafraîchissement avant de reprendre la route pour Paris. Était-il seul ? Non, évidemment non. Blayac l’accompagnait, pendant que les autres surveillaient leurs chevaux autour de l’abreuvoir. Trouvant la salle déserte, les deux hommes avaient appelé, et Stella était apparue sur le seuil de la cuisine.

- C’est fermé ! avait-elle dit, les mains sur les hanches.

Ils étaient d’abord demeurés sans voix, charmés par son air crâne, puis l’un d’eux avait répliqué :

- Eh bien, nous ouvrirons !

Stella n’était pas femme à se laisser dicter sa conduite : elle avait haussé le ton avant de s’emparer du gourdin caché derrière le garde-manger. Alertés par les éclats de voix, les autres gabelous s’étaient alors précipités au secours de leur maître. Ensuite…

Arno ferma les yeux. Il savait d’expérience ce dont ces brutes étaient capables… Et quoi qu’il en pensât, Brissart leur avait offert ce divertissement, se chargeant en personne d’achever la victime avant de quitter les lieux. Après tout, que craignait-il en ces terres éloignées ? Au pire une enquête sans preuves ni témoins que le magistrat local bâclerait pour ne pas s’attirer d’ennuis inutiles…

Le grincement d’une porte le tira soudain de ses réflexions. Relevant la tête, Arno aperçut Brissart qui sortait de la remise, suivi comme son ombre par Blayac.

- Voyez cela, ironisa le fermier général, notre Samaritain en train de se prélasser au soleil !

Piqué au vif, Arno répliqua sèchement :

- Pour qu’un domestique mérite ses gages, encore faut-il que son maître lui indique ce qu’il attend de lui !

- Un domestique ? releva Brissart en haussant les sourcils. Bah, laissons cela, mon ami. Pour l’heure, c’est d’un homme de confiance dont j’ai besoin. Au sortir de son dîner, ma femme s’est mis en tête d’aller chevaucher au Cours-la-Reine, et il est hors de question qu’elle sorte sans escorte.

- Une escorte ? releva Arno. De jour et dans une promenade ouverte au public ?

Il y eut un moment de flottement, jusqu’à ce que Blayac se penche vers son maître et lui glisse quelques mots à l’oreille. Ce dernier eut un geste de la main comme pour balayer l’objection.

-  À d’autres ! (et revenant vers Arno) Les chevaux sont déjà sellés et mon épouse patiente devant le guichet. À ta place, je ne tarderais pas à la rejoindre car son humeur pourrait en pâtir…

 


Brissart ne s’y était pas trompé. À peine avaient-ils passé le Pont tournant qu’elle cravacha sa haquenée et partit au trot sans se préoccuper d’Arno. Peu habitué à monter, le jeune homme suivait tant bien que mal, la main fermement cramponnée au pommeau de sa selle. Ils s’engagèrent bientôt dans l’allée centrale du cours, entre les files de carrosses, et ils furent contraints de ramener leurs montures au pas.

- Vous êtes une cavalière émérite, Madame, la complimenta Arno pour rompre le silence.

Comme elle chevauchait en amazone, la jeune femme détourna à peine la tête pour lui répondre :

- Marie… Puisqu’on m’impose un cerbère, autant que vous m’appeliez Marie…

- Un cerbère ?  On peine à croire que vous ayez des ennemis ?

- Laissons cela, voulez-vous ? Mon mari connaît cette ville dans ses moindres recoins. Lorsqu’il se montre inquiet, c’est qu’il a des raisons de l’être. 

Arno songea aussitôt à l’agression commise la veille derrière l’Hôtel de ville. Quelqu’un les avait-il vus ? Pour sûr, non. Ils n’avaient donc rien à craindre de la police. Mais dans ce cas, de qui ? D’un complice des victimes, peut-être ?

- Voilà bien des mystères ! plaisanta-t-il. Pour un peu, je m’en trouverais impressionné et…

Elle lui lança un nouveau regard, plus appuyé cette fois.

- Vous ne devriez pas en rire, mon cher. Et si je puis vous donner ce conseil, évitez de vous montrer trop curieux des affaires de Victor. Pour ma part, j’ai cessé de le questionner depuis fort longtemps, vous ne tirerez donc rien de moi…

Comme ils parvenaient en vue des grilles, la jeune femme fessa sans prévenir la croupe de sa jument et la fit partir au trot dans l’allée des veuves. Arno la regarda s’éloigner entre les deux rangées d’ormes, la taille droite et le menton levé, puis il leva les yeux au ciel et s’exclama :

- Presque aussi impétueuse que toi, ma Stella !

Il talonna les flancs de sa monture et l’engagea à son tour sous les frondaisons. La main agrippée à la bride, Arno s’était penché sur l’encolure de l’animal de peur de perdre l’équilibre. Mais peu en rythme avec la foulée du cheval, il se mit bientôt à rebondir sur la selle sous le regard goguenard de quelques promeneurs qui s’écartèrent sur son passage. Comme il se trouvait distancé, Marie avait remis sa haquenée au pas et patientait à l’angle de l’avenue des Tuileries.

- Et dire que Victor voit en vous un héros de notre armée royale…, plaisanta-t-elle lorsqu’il l’eut rejointe.

Épongeant la sueur qui perlait sur ses tempes, Arno répliqua sèchement :

- Le Royal Corse est un régiment d’infanterie, Madame. À Berg-op-Zoom, sous le feu ennemi, les chevaux ne nous auraient d’ailleurs été d’aucune utilité.

Encore persifleuse un instant plus tôt, la jeune femme baissa imperceptiblement les yeux.

- Pardonnez mes sarcasmes, dit-elle après un temps. Mais j’ignorais que vous aviez participé à ce siège…

- Je ne m’en vante jamais, Madame. Ces moments ont été douloureux pour tout le monde, il est donc inutile d’en raviver le souvenir.

Elle eut un petit sourire contraint avant de soupirer :

- Vraiment ? Voilà qui est singulier… Autrefois, comme je l’interrogeais à son retour de campagne, mon époux a prononcé les mêmes mots que vous. Puis il a voulu me rassurer, m’expliquer que les gazettes écrivaient force sottises sur ces événements, mais que notre vie allait reprendre comme avant. Sauf qu’il n’avait plus rien de l’homme aimant et doux avec lequel je m’étais mariée. Et que plus rien n’a jamais été comme avant…

Elle détourna les yeux et s’absorba un moment dans ses pensées, indifférente aux badauds qui commençaient à se presser dans l’allée. Ne sachant que dire, Arno éloigna sa monture de quelques pas et fit mine de s’intéresser au carrousel des voitures en provenance des Tuileries. Après tout, que lui importaient les états d’âme de cette femme ? Et pourquoi diable l’aurait-il réconfortée ? Non, cela aurait été malhonnête de sa part, et même indigne, d’autant qu’en devenant l’instrument de son malheur, il finirait immanquablement par trahir sa confiance.

- Rentrons, Madame ! annonça-t-il avec force. Votre époux doit commencer à s’inquiéter.

Joignant le geste à la parole, il fit tourner bride à sa monture et s’avança lentement au-devant de la jeune femme. Prise au dépourvu, elle avait tiré un mouchoir de sa manche et s’en tamponnait nerveusement les joues ainsi que le coin des paupières.

- Cette chaleur est décidément insupportable, dit-elle d’une voix tremblante.

Arno sentit à nouveau son cœur se serrer. D’instinct, il se pencha vers elle et posa sa main sur la sienne.

- Rentrons, Marie, répéta-t-il plus bas. À demeurer ici, vous allez finir par vous trouver mal.

En l’entendant prononcer son prénom, la jeune femme leva sur lui ses yeux rougis et un sourire timide éclaira son visage.

 

15

 

Ils bavardèrent un long moment, notamment de la Corse et de ses paysages, Marie questionnant Arno sur ses jeunes années, lui se livrant sans retenue sur ses aventures dans l’arrière-pays du Cap. Il se retint pourtant de parler de Stella et mentit encore sur les raisons qui l’avaient mené à Paris.

- Quelques semaines, dites-vous, répéta Marie au moment de se séparer. Eh bien, nous profiterons de ce temps pour faire d’autres promenades et améliorer votre tenue à cheval, ne croyez-vous pas ?

Elle le raccompagna jusqu’à l’entrée de l’hôtel où patientait un porte-falot, sa lanterne à la main.

- Avec la nuit qui tombe, vous pourriez faire de mauvaises rencontres, dit-elle pour couper court à ses protestations.

Arno acquiesça de mauvaise grâce, et après l’avoir saluée, il reprit la direction du Châtelet. Le domestique, un tout jeune homme portant gourdin à la ceinture, se mit bientôt à brailler :

- V’là le falot ! V’là le falot !

Agacé par ses cris, Arno se laissa d’abord distancer de quelques pas, et lorsqu’ils parvinrent en vue de la forteresse, il ordonna au garçon de le laisser.

Autant que Brissart ignore où je réside, songea-t-il tout en poursuivant son chemin jusqu’au quai de Gesvres. Là, il s’engagea dans la petite venelle qui s’insinuait à l’arrière du groupe de bâtisses où vivait la Vaudry. Il marcha un moment dans l’obscurité, contournant la maison, lorsqu’un bruit se fit entendre dans son dos. Arno se plaqua dans un renfoncement de la façade, la main sur son épée, et demeura quelques instants aux aguets.

Le falot qui m’aurait suivi ? se demanda-t-il tout en scrutant la nuit pour y distinguer un mouvement. Non, même sur ordre, jamais le garçon n’aurait osé s’aventurer seul dans un tel quartier. Lentement, il longea la paroi jusqu’à parvenir sur la placette éclairée par les feux tout proches du pont Notre-Dame. Deux fiacres stationnaient devant l’entrée de la maison. Après un nouveau coup d’œil de droite et de gauche, Arno s’avança et donna deux légers coups de heurtoir. Un pas précipité, un grincement de verrou, et le visage de Victoire apparut dans l’entrebâillement de la porte.

- Dieu du ciel, vous voilà, Monsieur ! Nous étions mortes d’inquiétude ! Venez, ne restez pas dehors !

Déjà, elle entraînait Arno dans le couloir, l’index devant les lèvres pour qu’il garde le silence. Elle tendit à nouveau l’oreille en direction du sérail, et comme rien ne bougeait, elle reprit tout bas :

- C’est la police, Monsieur ! Ils sont dans les étages, avec Maman, en train de fouiller nos chambres. Vous devez vous cacher, sans quoi…

- Mais comment est-ce possible, demanda Arno, je croyais qu’ils n’inquiétaient jamais ta patronne ?

- Maman est enragée, Monsieur ! Quelqu’un l’a dénoncée auprès de l’inspecteur ! Ils recherchent le responsable des agressions qui ont eu lieu voilà peu dans le quartier. Mais de grâce, pour l’heure, éloignez-vous ! Car ils ne vont pas tarder à redescendre.

Arno prit la jeune femme par les épaules et la serra un instant dans ses bras.

- Là, n’aie crainte, petite, je retourne me cacher dans la ruelle. Jamais ils ne m’y débusqueront.

La pauvre fille tremblait de tout son corps, et avant de partir, il dut encore lui promettre de se montrer prudent et de ne pas bouger tant qu’on ne lui aurait pas fait signe. Arno la rassura comme il put, puis après avoir vérifié que la voie était libre, il sortit et se faufila jusqu’à l’étroite venelle qui prenait au coin de la maison. Là, il s’abrita dans l’encoignure d’un pan de mur d’où il avait vue sur l’ensemble de la placette, jusqu’au quai Pelletier et au pont Notre-Dame. Ici, il ne risquait rien. Il leva les yeux en direction des combles, où se trouvait sa chambre. Que pouvaient-ils dénicher ? Son argent était dissimulé sous une lame de plancher, et hormis quelques papiers sans importance, il n’avait laissé aucun indice qui pût mener les exempts jusqu’à lui. Pourtant, quelqu’un les avait envoyés sur sa piste ! La Vaudry tenait ses filles d’une main de fer, mais elle les aimait également comme une mère l’aurait fait de ses enfants. Alors qui d’autre ? Depuis son arrivée à Paris, il s’était montré des plus prudents, limitant ses déplacements au strict minimum et ne se confiant quasiment à personne. À l’exception de Brissart, évidemment… Avec Blayac, lui seul était en mesure de lancer la police sur sa trace. La veille, Arno n’avait-il pas surpris l’homme de main en train de murmurer à l’oreille de son maître ? Cette vipère avait sans doute mené sa propre enquête sur son compte, devinant confusément qu’il mentait sur son identité et ses prétendues affaires d’antimoine. Et lui, sot qu’il était, il n’avait rien vu venir !

Un faible bruissement dans son dos le tira brusquement de ses pensées. À peine avait-il tourné la tête qu’un coup le heurta à la poitrine, le projetant violemment contre la façade. Étourdi par le choc, il sentit quelqu’un le saisir à bras-le-corps pendant que d’autres mains le prenaient au cou et glissaient un sac de toile sur sa tête. Il n’eut pas le temps de se débattre. Déjà, un nœud coulant se resserrait sur sa gorge et une voix lui murmurait à l’oreille :

- Sois sage, petit ! Si tu veux voir le jour se lever, tu ferais mieux de nous suivre sans faire d’histoires…

Arno sentit ses os se glacer : cette voix, il connaissait cette voix !

- Qui… ?

Un nouveau coup de bâton, sur la base du crâne cette fois, l’empêcha d’achever.

- Avance, maintenant ! reprit la voix. Des amis souhaitent te rencontrer. Tu leur poseras toutes les questions que tu veux.

Les mains attachées dans le dos, Arno se laissa malgré lui entraîner par les deux hommes. Ses jambes le supportaient péniblement, et la toile plaquée contre son visage l’empêchait presque de respirer. Qui étaient ces hommes ? Que lui voulaient-ils ? Au bruit du clapotis et au sable qui se dérobait sous leurs pieds, il devina qu’ils approchaient du fleuve. Puis, quelqu’un ouvrit une portière et il fut jeté sans ménagement sur une banquette de bois. Déjà, la voiture s’ébranlait.

- Où m’emmenez-vous ?

Seul un ricanement lui répondit. L’un des hommes chuchota quelque chose, et l’autre saisit Arno par le col pour le redresser. Une lame s’insinua aussitôt contre sa gorge.

- Nous arrivons d’ici peu, n’aie crainte.

En sentant la voiture ralentir et se déporter, Arno comprit qu’ils venaient de quitter les quais. Les chevaux se mirent bientôt à renâcler sous l’effort. À travers le sac, Arno crut distinguer une lueur, puis une autre, mais rien qui lui indiquât où ils se trouvaient. Ils cheminèrent encore quelque temps, puis la voiture s’arrêta et on le tira à l’extérieur.

- Là-bas ! ordonna l’homme à son complice.

On entendait maintenant d’autres voix, lointaines et confuses, qui s’élevaient de tous côtés. Arno fut poussé en avant, encore et encore, jusqu’à une espèce de pieu autour duquel on le ligota. Puis, on le laissa seul.

Au bout d’un moment qui lui parut interminable, il entendit approcher un bruit de pas et une présence s’insinua à côté de lui, tout près, jusqu’à le frôler. Elle passa lentement dans son dos, s’approcha à nouveau, et Arno entendit renifler dans son cou, comme si l’autre le humait.

Ne lui montre rien de tes émotions, pensa le jeune homme, cette canaille n’attend que ça.

La scène s’étira, toujours silencieuse, Arno feignant de ne pas remarquer l’inquiétant ballet qui se poursuivait autour de lui. Une dizaine de minutes s’étaient écoulées, peut-être davantage, lorsqu’il sentit une main se glisser lentement derrière sa nuque et se refermer avec force sur la base de son cou. Sous l’effet de la douleur, Arno rejeta la tête en arrière, lâchant un gémissement qui fit ricaner son agresseur. Maintenu dans cette position inconfortable, le jeune homme devina que l’autre se penchait sur son oreille pour lui parler.

Ses paroles lui glacèrent le sang.

- Alors, bastardu, comme on se retrouve…

 

(à suivre ici)

 

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