jeudi 14 mars 2013

Henri Guillemin et Voltaire (5)


Remercions Etienne Chouard d'avoir mis en ligne cette enquête littéraire de Henri Guillemin, publiée dans Eclaircissements en 1961. Voici la fin de ce texte.
Etienne Chouard

Ozanam déclarait : Voltaire « n'a pas de plus grand ennemi que l'Histoire ». On dirait bien que c'est vrai. L'enquête sur son compte, quand on la mène loyalement, conduit à des conclusions sinistres. « Il est trop facile de faire le portrait de Voltaire en éliminant ce qui gêne » ; cette mise en garde de R. Pomeau n'est pas superflue, car on en ramasse à la pelle de ces « portraits » fumants et burlesques où, selon que le peintre est d'un clan ou de l'autre, de chez Condamin ou de chez Bayet, du Pèlerin ou de la Lanterne, Voltaire est l'un des dieux de l'Olympe laïc ou une incarnation de Satan. Je suis parti dans ma recherche avec la passion d'y voir clair, sans savoir où j'aboutirais, espérant (à cause de Besterman) que j'allais trouver enfouies dans ce destin des choses exaltantes. Voltaire rebute. Cette main, d'homme à homme, qu'on souhaitait de lui tendre, elle retombe. Jean-Jacques disait de lui : une « âme basse » (lettre à Vernet, 29 novembre 1760). Quand je le regarde dans beaucoup de ses voies, quand je l'entends prescrire à d'Alembert (6 janvier 1761) : « Marchez toujours en ricanant, mes frères, dans le chemin de la vérité », quand il s'avance, ce jour qu'elle n'oubliera plus, sur Mme du Châtelet, une dague à la main (et ce n'est pas une scène de jalousie), malgré moi s'évoque, sous le nom de Voltaire, ce personnage entrevu par Charles-Louis Philippe : un homme raclant un 
« violon rouge » et qui, par-dessus l'instrument à la « voix grimaçante », vous fixe « avec des yeux aigus où passent des étincelles et du sang ».

Jean-Jacques écrit encore — cette fois, dans ses Confessions — : « En feignant de croire en Dieu, Voltaire n'a jamais cru qu'au diable », et c'est mal ; dit-il, de s'appliquer, comme il l'a fait, à « désespérer » les gens. Où est-elle, en effet, la leçon de Voltaire ? Son message, comme on dit, en quels termes le résumerons-nous ? Rassemblant dans notre esprit son œuvre pour l'écouter, nous aurons, avec Delattre, cette observation préalable, que, chez lui, « la proportion du déchet » est exceptionnellement « élevée », et que « ses œuvres manquées sont constamment celles sur lesquelles il comptait » pour perpétuer sa gloire à travers les siècles. La Henriade est illisible, ses tragédies sont « flasques » et ses comédies « pitoyables ». Scolaire, jusqu'à la fin, dans les genres nobles où il croit régner, où il se regarde comme égal à Virgile, comme plus grand que Racine. Le bon élève ; le fort en thème (il sait le latin, mais pas le grec). Toutes les fleurs en papier, tous les faux ornements, toutes les ficelles de la rhétorique. La poésie, qu'il a pourtant, semble-t-il, discernée chez Shakespeare, il est incapable d'en recréer l'ombre. Et s'il esquisse, en décasyllabes, quelques sautillements çà et là, son inspiration se limite (Pomeau) à « d'aigres musiques pour danse macabre ».

Passons sur son Charles XII et sur son Siècle de Louis XIV, écrits valables, à leur date ; mais est-ce bien par ces livres-là qu'il survit ? Ce que l'on continue à lire, de Voltaire, ce sont ses contes, quelques-uns de ses pamphlets, et Candide. Ses pamphlets font pâle figure à côté des Provinciales et si ses contes séduisent, ils le doivent surtout à ce mélange qui les constitue 
« d'anticléricalisme et de polissonnerie » (Delattre) — deux sûrs articles de consommation. Reste Candide, chef-d'œuvre, réussite parfaite. Alors, sa « parole » ? Cette chose qu'il avait à nous dire ? L'annonce qu'il avait à nous faire ? L'avis qu'il entendait nous laisser ? Sa « vue-du-monde », son testament, sa raison d'être ? René Pomeau le place « entre Montaigne et Gide » ; il a, dit-il, « vécu et défendu la leçon humaniste ». Et Spenlé, de même, le range parmi « les grands maîtres de l'humanisme européen ». C'est usuel, mais je demande pourquoi. J'ai beau chercher, je ne vois pas dans le « message » de Voltaire ce contenu qui le classerait « humaniste », — ou peut-être ne suis-je pas doué pour pénétrer le sens de ce vocable. Humaniste, Voltaire qui, loin de célébrer la dignité de l'homme ou les pouvoirs de sa pensée, ne se lasse pas de nous redire que nous sommes infimes et bornés, nocturnes et répugnants, plus négligeables que des « souris », plus mauvais que des « puces » ? Si l'humanisme est un hédonisme, dans ce cas, oui. Voltaire est l'humaniste-type, car sa doctrine est sans mystère : « unum est necessarium » ; il le déclare à d'Alembert, en ces termes même, le 31 janvier 1770 : la santé, pour le plaisir ; c'est l'écho, à soixante-seize ans, de ce qu'il exposait « à Mme de G. », dans cette épître qu'il lui dédiait, à vingt-deux ans :

Le plaisir est l'objet, le devoir et le but
De tous les êtres raisonnables.

Entre les deux, ceci, des Notebooks : « Le bonheur est un mot abstrait composé de quelques idées de plaisir. »
Candide fuyant le théâtre de la guerre

Sur la « morale » de Candide, André Delattre s'interroge : ne serait-ce pas, « peut-être », un « retour au catéchisme » ? Si Voltaire, en prenant congé, nous recommande de « cultiver notre jardin », c'est que l'homme, selon le Livre, « a été mis sur la terre pour qu'il la travaillât ; ut operaretur... » (Delattre, op. cit., p. 85). Béni soit ce « peut-être », à la dernière seconde, qui sauve l'exégète ! Si Delattre n'avait pas eu cette hésitation bienheureuse, j'entends d'ici, dans les nuées, la crécelle du rire voltairien ; elle n'en finirait plus ; elle en serait inextinguible. Candide issu du catéchisme ! Quel triomphe ! La morale de Candide, mais c'est Voltaire lui-même qui nous la commente, explicite à souhait : « Ce monde est un grand naufrage. Sauve qui peut ! » (XXXIX, 210.) « La destinée se moque de nous... Vivons tant que nous pourrons, et comme nous pourrons » (2 juillet 1754). Que chacun s'arrange. Place aux adroits, à ceux que n'empêtre pas la naïveté des scrupules. L'important est de savoir nager, pour aborder à un bon coin et s'y creuser un trou confortable, une « bonne loge » (XXXIX, 203) d'où l'on assiste, « très à son aise », à la noyade générale. Le voilà, le jardin de Candide, qui s'appelle domaine de Ferney, avec 20 000 livres à dépenser par mois — fruit de rapines et de brigandages — pour la cour qu'on y entretient, et ce « petit carrosse à l'italienne, à trois glaces et doublé de soie », que Voltaire trouvait ravissant. « Je mets en pratique ce que j'ai dit dans le Mondain : Oh, le bon temps que ce siècle de fer ! Toutes les commodités de la vie en ameublement, en équipages, en bonne chère... Il y a là de quoi faire crever de douleur plus d'un de mes chers confrères. » Ainsi parle, celui que Michelet, délirant, saluait comme un immolé. L' « homme qui souffre », l'homme « qui a pris sur lui toute la douleur du monde », écoutons-le encore ; 14 octobre 1758 : « Que la guerre continue, que les hommes s'égorgent ou se trompent, vivamus et bibamus ! » La politique de Voltaire, les réformes qu'il aurait proposées, son effort pour quelque progrès ? Zéro. Voltaire a trop bien su tirer parti du désordre établi en son temps pour vouloir qu'on y touche. Son régime idéal est le « despotisme éclairé », autrement dit, pesant sur la masse qui travaille pour nourrir ceux qui ne travaillent pas, un pouvoir dispensateur de prébendes, avec une armée forte et une puissante police, et la gendarmerie « complémentaire » d'un clergé pour les imbéciles, étant entendu que ces prêtres n'importuneront point l'élite et ne la dérangeront pas dans ses jeux. Nul n'a mieux défini la pensée politique et sociale de Voltaire que Robespierre, à la Convention, dans son rapport du 18 floréal : « Cette espèce de philosophie pratique qui, réduisant l'égoïsme en système, regarde la société comme une guerre de ruse, le succès comme la règle du juste et de l'injuste, le monde comme le patrimoine des fripons adroits. »

Humanisme ? moi je veux bien. Et si Paul Souday, célébrant Voltaire l'anti-Pascal, s'envolait dans un geyser : « Il a vraiment ôté le poids de nos épaules. Il nous a tirés du cachot et nous a ramenés à la lumière. Joie ! Rires de joie ! Grâce à Voltaire, on respire, on vit ! », si M. Maurras, à ce que nous confie Bainville, relisait Candide une fois par année, afin de se bien nettoyer l'âme, et se plaisait à répéter : « Maintenant, la voie est libre ! », je m'en voudrais de les en blâmer. Trahit sua... Mais je comprends mieux Flaubert, que Candide attirait aussi, pour d'autres raisons ; parce que Voltaire est sans espoir, parce qu'il nous montre la créature hagarde, errant sous un ciel « de fer », parce que Candide est un livre noir, un livre amer, « bête comme la vie ». Mais Candide est pour les lettrés. Pour la foule, ce qui subsiste de Voltaire, c'est ceci :

Les prêtres ne sont pas ce qu'un vain peuple pense ;
Notre crédulité fait toute leur science.

Rien d'autre. Cela n'est pas peu, direz-vous. Question qui n'est pas la mienne. Je n'avais qu'un propos : savoir quel homme était cet homme et ce qu'il nous avait apporté.

Est-ce que je le sais, à présent, qui c'était ? Mal. À peine. Il y a ce cri, cet élan, dans une lettre de Mme de Grafigny : « Je l'aime, oui, je l'aime, et il a tant de bonnes qualités que c'est une pitié de lui voir des faiblesses si misérables. » Il y a le témoignage de Mme de Genlis, qui s'est rendue à Ferney sans amitié aucune pour Voltaire, sûre d'avance que cette expérience l'ancrera dans son aversion. Stupeur. Un charme est sorti de lui. Mme de Genlis n'est pas convertie, mais elle est ébranlée. Qu'il est différent, ce vieux magicien, de ce qu'elle attendait ! Dans ses yeux, « quelque chose de velouté, et d'une douceur inexprimable. » S'il est un mot, n'est-ce pas, qui ne lui va guère : chaleur humaine, si ce don du contact, du rayonnement, du cœur à cœur, Voltaire en paraît privé plus que quiconque, voici pourtant, en toutes lettres, ce que lui écrivait Moultou : « vos conversations », qu'elles me font du bien ! Mon âme s'y ranime à « cette chaleur d'humanité qui fait la vie de la vôtre » (sic).
Voltaire, par Huber

Ces choses-là ne peuvent être omises. Étudions bien, aussi, les visages de Voltaire. Ils ne sont pas tous « ricanants ». Le pastel de Nicolas Cochin, que Besterman a reproduit (l'original est en Amérique), on n'a jamais fini de le scruter. Un Voltaire qui doit avoir la cinquantaine ; son dos se voûte ; il serait presque gras ; un essai de sourire ; mais l'œil, bleu, ne rit pas ; il guette, de côté, attentif, sans bonheur. Et le regard qu'a vu Mme de Genlis, je le reconnais dans un des dessins de Huber. Voltaire, très vieux, qui n'a pas cet air corrosif qu'on lui voit si souvent ; il lève la tête ; il regarde quelque chose ; il écoute quelqu'un, peut-être, qui lui parle, debout, tandis que lui-même est assis. Et là, comme pour « chaleur humaine », un mot, encore, s'impose à nous, imprévisible, presque incroyable : enfance. Sur ce visage sérieux, aux grands yeux clairs, oui, je ne sais quelle enfance.
Voltaire et Mme Denis, par Cochin

Pomeau, Delattre se heurtent à une énigme : la raison, la raison déterminante de cette grande haine qu'a portée Voltaire au christianisme, où se cache-t-elle ? Le motif demeure « obscur » ; ils le disent, l'un et l'autre. Et il est bien vrai que nous manque, là, un élément d'intellection capital. Qu'est-ce qui a bien pu, dans la vie secrète de Voltaire, allumer un tel brasier ? Il ne s'agit pas seulement, chez lui, de rébellion de l'intelligence, d'indignation du sens commun ; il s'agit d'un règlement de comptes. Même révoltée, même indignée, la raison n'a pas de ces flamboiements. Un feu sauvage. Il dit qu'il « éclaire », mais ce qu'il veut, surtout, c'est ravager et anéantir. Sa besogne ressemble moins à l'accomplissement d'une mission qu'à l'assouvissement d'une vengeance. Pomeau et Delattre cherchent tous deux ce qu'ils appellent, chez Voltaire, un « traumatisme » originel. Ils sont persuadés qu'il est arrivé quelque chose à François-Marie Arouet, qu'il a reçu, enfant, une profonde blessure, et ils reprennent l'hypothèse du « jansénisme », à la maison, oppresseur, le frère Armand sombre dévot, le père sans tendresse, la « fixation » de l'enfant sur sa mère. Conjectures faiblement étayées ; car enfin, ce père, ce n'est pas chez les oratoriens jansénistes qu'il a mis en pension François après Armand, c'est chez les jésuites, autrement faciles et « mondains » ; et François n'y sera pas malheureux ; il n'en veut pas à ses anciens maîtres ; il aimait le P. Porée, il admirait le P. Tournemine. Quant au « jansénisme » tel qu'il l'a connu, ce jansénisme du XVIIIe siècle, cette mystique tournée en opposition bourgeoise et gallicane, un rationalisme déjà le pénètre qui l'écarté immensément, chez les laïcs, chez ces gens de robe parmi lesquels Voltaire a grandi, de ce qu'évoquent pour nous les noms de Nicole et d'Arnauld. Quand Voltaire dit « jansénisme », c'est « christianisme » qu'il entend, deux mots, pour lui, interchangeables, mais il préfère le premier, polémique, et qui porte tort.

Je crois, moi aussi, qu'un événement intérieur, lourd de conséquences, a eu lieu chez l'enfant Arouet, l'adolescent Arouet. Il ne s'en ouvrira à personne et tous ses biographes ont noté à quel point il est silencieux sur ses années premières. Ce qui n'est pas une conjecture, mais un fait, c'est le renversement qui s'est produit en lui entre sa dix-neuvième et sa vingt-deuxième année. François Arouet a quitté le collège en août 1711 (dix-sept ans) ; il n'écrit plus sous la dictée ; ce qu'il compose en 1713, il l'écrit parce qu'il le veut bien ; il est libre. Or son Épître sur les Malheurs de ce Temps condamne le monde des mondains, dénonce les exactions et le vice. Admettons que le jeune Arouet vise à plaire au vieux roi et qu'il tienne en 1713 ce langage pour la même raison qu'il tiendra le langage inverse lorsque la cour ne sera plus celle de Mme de Maintenon mais du Régent. Reste son amour pour Olympe Dunoyer. 
Voltaire et Olympe Dunoyer

Là nous ne sommes plus dans la littérature, mais dans la vie. Et François Arouet se jette dans cet amour à cœur perdu. Lui qu'on verra, si vite, n'avoir plus qu'une pensée : se pousser, s'enrichir, lui qui veillera avec un tel soin aux intérêts de son avancement, il fait, alors, « cent folies », c'est-à-dire qu'il compte pour rien les chances qui sont les siennes dans la carrière diplomatique, qu'il néglige tout, qu'il ignore tout, pourvu que « Pimpette » soit sa femme. Il l'aime. Il est le contraire d'un libertin avec elle ; il ne songe pas à la prendre, jouir de son corps, et passer à une autre ; il l'aime ; il lui écrit : « Notre amour est fondé sur la vertu ; il durera autant que notre vie. » C'est un enfant ? Précisément, je ne dis pas autre chose. Je dis qu'il y a eu, à dix-neuf ans, un Voltaire qui ne s'appelait pas Voltaire, qui n'avait encore ni changé de nom ni perdu ses prénoms, un être en qui ne s'annonçait point celui qui le supplantera. Entre les deux, une béance. Un François Arouet au cœur pur, avant le Voltaire, bientôt, qui rira, cynique, de son « cœur très immonde ».

La métamorphose, d'où vient-elle ? D'une mue toute simple ? Quelqu'un qui a fait ses classes, qui a ouvert les yeux sur la réalité, les réalités, et qui a mesuré sa méprise ? Cette fureur qui va l'emplir, est-ce d'avoir été une dupe, d'avoir cru à la pureté, à la droiture, à des puérilités absurdes, et à la sincérité de ces prêtres dont il découvre de toutes parts, dans cette terrible levée des masques dont s'accompagna la mort du « grand roi », l'incroyance et l'infamie ? L'explication est encore trop courte. Ceux qui parlent, chez Arouet, d'un « complexe » au creux duquel serait sa mère — cette femme dont nous savons si peu de chose, cette mère qui est morte quand il avait sept ans, cette maman qui appelait « Zozo » son petit François (François-Marie ; elle l'avait mis, à sa naissance, sous la double protection de saint François d'Assise et de la sainte Vierge) — j'ai bien l'impression qu'ils brûlent, qu'ils sont sur une piste. Mais ils ne prennent pas garde assez au contenu précis des deux seules allusions que je connaisse — en ai-je laissé échapper d'autres ? — de Voltaire à celle qui l'avait porté dans son ventre, puis dans ses bras, et qu'il avait chérie. Deux allusions publiques et horribles. Car c'est par lui, son fils, que cette mémoire d'une inconnue est une mémoire souillée. C'est lui, Voltaire, qui fait entendre que le chansonnier Rochebrune est son père autrement que dans l'art des vers ; c'est lui qui, s'esclaffant parce que Duché, plaisantin, l'a comparé au Messie, répondra tout haut :

Je n'ai de lui que sa misère
Et suis bien éloigné, ma foi,
D'avoir une vierge pour mère.

Est-ce que ce serait là son secret ? Est-ce qu'il y aurait eu « traumatisme », en effet, blessure énorme ? Mais pas dans le sens où on l'imagine. Une révélation qu'on lui a faite (Chateauneuf ?) engendrant une commotion ? François Arouet n'en laisse rien voir. Ce qui se passe au tréfonds de lui ne regarde personne. Mais de là naîtrait le ricanement...

Hypothèse que je propose à mon tour, et il est bien possible que je me trompe. Si j'avais raison, cependant, bien des choses deviendraient claires, et ce refus, par exemple, que tous ceux qui ont approché Voltaire ont observé chez lui, ce refus de se souvenir. Il vit à la pointe extrême de l'instant ; il est toujours au sommet de la vague ; il n'a jamais, dirait-on, de regard en arrière. Il est l'homme du « divertissement », le docteur du divertissement. Dans cette Épître même à Mme Denis contre Paris, contre Versailles, dans ce texte de 1749 qui est son propre Anti-Mondain, à la fin, ce gémissement : tout cela qui est faux, tout ce hideux tumulte, comment s'en passer ? « Où fuir loin de moi-même ? »

Il s'installe — de force — à la campagne, mais il lui faut une rumeur de foule et des adulations, et la maison de ce solitaire est un caravansérail. Mensonges, la Vierge et le Christ ! Mensonge, la Pucelle ! Mensonges, le Bien et le Mal. Il n'y a rien. « La vie n'est que de l'ennui ou de la crème fouettée. » Fouettons la crème et mangeons-la, en attendant le seul bonheur, celui du néant.

 (fin)


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