Remercions Etienne Chouard d'avoir mis en ligne cette enquête littéraire de Henri Guillemin, publiée dans Eclaircissements en 1961. Voici la fin de ce texte.
Etienne Chouard |
Ozanam déclarait : Voltaire « n'a
pas de plus grand ennemi que l'Histoire ». On dirait bien que c'est vrai.
L'enquête sur son compte, quand on la mène loyalement, conduit à des
conclusions sinistres. « Il est trop facile de faire le portrait de Voltaire en
éliminant ce qui gêne » ; cette mise en garde de R. Pomeau n'est pas superflue,
car on en ramasse à la pelle de ces « portraits » fumants et burlesques où,
selon que le peintre est d'un clan ou de l'autre, de chez Condamin ou de chez
Bayet, du Pèlerin ou de la Lanterne, Voltaire est l'un des dieux de l'Olympe
laïc ou une incarnation de Satan. Je suis parti dans ma recherche avec la passion
d'y voir clair, sans savoir où j'aboutirais, espérant (à cause de Besterman)
que j'allais trouver enfouies dans ce destin des choses exaltantes. Voltaire
rebute. Cette main, d'homme à homme, qu'on souhaitait de lui tendre, elle
retombe. Jean-Jacques disait de lui : une « âme basse » (lettre à Vernet, 29
novembre 1760). Quand je le regarde dans beaucoup de ses voies, quand je
l'entends prescrire à d'Alembert (6 janvier 1761) : « Marchez toujours en
ricanant, mes frères, dans le chemin de la vérité », quand il s'avance, ce jour
qu'elle n'oubliera plus, sur Mme du Châtelet, une dague à la main (et ce n'est
pas une scène de jalousie), malgré moi s'évoque, sous le nom de Voltaire, ce
personnage entrevu par Charles-Louis Philippe : un homme raclant un
« violon
rouge » et qui, par-dessus l'instrument à la « voix grimaçante », vous fixe «
avec des yeux aigus où passent des étincelles et du sang ».
Jean-Jacques écrit encore — cette
fois, dans ses Confessions — : « En feignant de croire en Dieu, Voltaire n'a jamais
cru qu'au diable », et c'est mal ; dit-il, de s'appliquer, comme il l'a fait, à
« désespérer » les gens. Où est-elle, en effet, la leçon de Voltaire ? Son
message, comme on dit, en quels termes le résumerons-nous ? Rassemblant dans
notre esprit son œuvre pour l'écouter, nous aurons, avec Delattre, cette
observation préalable, que, chez lui, « la proportion du déchet » est
exceptionnellement « élevée », et que « ses œuvres manquées sont constamment
celles sur lesquelles il comptait » pour perpétuer sa gloire à travers les
siècles. La Henriade est illisible, ses tragédies sont « flasques » et ses
comédies « pitoyables ». Scolaire, jusqu'à la fin, dans les genres nobles où il
croit régner, où il se regarde comme égal à Virgile, comme plus grand que Racine.
Le bon élève ; le fort en thème (il sait le latin, mais pas le grec). Toutes
les fleurs en papier, tous les faux ornements, toutes les ficelles de la
rhétorique. La poésie, qu'il a pourtant, semble-t-il, discernée chez
Shakespeare, il est incapable d'en recréer l'ombre. Et s'il esquisse, en
décasyllabes, quelques sautillements çà et là, son inspiration se limite
(Pomeau) à « d'aigres musiques pour danse macabre ».
Passons sur son Charles XII et
sur son Siècle de Louis XIV, écrits valables, à leur date ; mais est-ce bien
par ces livres-là qu'il survit ? Ce que l'on continue à lire, de Voltaire, ce
sont ses contes, quelques-uns de ses pamphlets, et Candide. Ses pamphlets font
pâle figure à côté des Provinciales et si ses contes séduisent, ils le doivent
surtout à ce mélange qui les constitue
« d'anticléricalisme et de polissonnerie
» (Delattre) — deux sûrs articles de consommation. Reste Candide, chef-d'œuvre,
réussite parfaite. Alors, sa « parole » ? Cette chose qu'il avait à nous dire ?
L'annonce qu'il avait à nous faire ? L'avis qu'il entendait nous laisser ? Sa «
vue-du-monde », son testament, sa raison d'être ? René Pomeau le place « entre
Montaigne et Gide » ; il a, dit-il, « vécu et défendu la leçon humaniste ». Et
Spenlé, de même, le range parmi « les grands maîtres de l'humanisme européen ».
C'est usuel, mais je demande pourquoi. J'ai beau chercher, je ne vois pas dans
le « message » de Voltaire ce contenu qui le classerait « humaniste », — ou
peut-être ne suis-je pas doué pour pénétrer le sens de ce vocable. Humaniste,
Voltaire qui, loin de célébrer la dignité de l'homme ou les pouvoirs de sa
pensée, ne se lasse pas de nous redire que nous sommes infimes et bornés,
nocturnes et répugnants, plus négligeables que des « souris », plus mauvais que
des « puces » ? Si l'humanisme est un hédonisme, dans ce cas, oui. Voltaire est
l'humaniste-type, car sa doctrine est sans mystère : « unum est necessarium » ;
il le déclare à d'Alembert, en ces termes même, le 31 janvier 1770 : la santé,
pour le plaisir ; c'est l'écho, à soixante-seize ans, de ce qu'il exposait « à
Mme de G. », dans cette épître qu'il lui dédiait, à vingt-deux ans :
Le plaisir est l'objet, le devoir
et le but
De tous les êtres raisonnables.
Entre les deux, ceci, des
Notebooks : « Le bonheur est un mot abstrait composé de quelques idées de
plaisir. »
Candide fuyant le théâtre de la guerre |
Sur la « morale » de Candide,
André Delattre s'interroge : ne serait-ce pas, « peut-être », un « retour au
catéchisme » ? Si Voltaire, en prenant congé, nous recommande de « cultiver
notre jardin », c'est que l'homme, selon le Livre, « a été mis sur la terre
pour qu'il la travaillât ; ut operaretur... » (Delattre, op. cit., p. 85). Béni
soit ce « peut-être », à la dernière seconde, qui sauve l'exégète ! Si Delattre
n'avait pas eu cette hésitation bienheureuse, j'entends d'ici, dans les nuées,
la crécelle du rire voltairien ; elle n'en finirait plus ; elle en serait
inextinguible. Candide issu du catéchisme ! Quel triomphe ! La morale de
Candide, mais c'est Voltaire lui-même qui nous la commente, explicite à souhait
: « Ce monde est un grand naufrage. Sauve qui peut ! » (XXXIX, 210.) « La
destinée se moque de nous... Vivons tant que nous pourrons, et comme nous
pourrons » (2 juillet 1754). Que chacun s'arrange. Place aux adroits, à ceux
que n'empêtre pas la naïveté des scrupules. L'important est de savoir nager,
pour aborder à un bon coin et s'y creuser un trou confortable, une « bonne loge
» (XXXIX, 203) d'où l'on assiste, « très à son aise », à la noyade générale. Le
voilà, le jardin de Candide, qui s'appelle domaine de Ferney, avec 20 000
livres à dépenser par mois — fruit de rapines et de brigandages — pour la cour
qu'on y entretient, et ce « petit carrosse à l'italienne, à trois glaces et
doublé de soie », que Voltaire trouvait ravissant. « Je mets en pratique ce que
j'ai dit dans le Mondain : Oh, le bon temps que ce siècle de fer ! Toutes les
commodités de la vie en ameublement, en équipages, en bonne chère... Il y a là
de quoi faire crever de douleur plus d'un de mes chers confrères. » Ainsi parle,
celui que Michelet, délirant, saluait comme un immolé. L' « homme qui souffre
», l'homme « qui a pris sur lui toute la douleur du monde », écoutons-le encore
; 14 octobre 1758 : « Que la guerre continue, que les hommes s'égorgent ou se
trompent, vivamus et bibamus ! » La politique de Voltaire, les réformes qu'il
aurait proposées, son effort pour quelque progrès ? Zéro. Voltaire a trop bien
su tirer parti du désordre établi en son temps pour vouloir qu'on y touche. Son
régime idéal est le « despotisme éclairé », autrement dit, pesant sur la masse
qui travaille pour nourrir ceux qui ne travaillent pas, un pouvoir dispensateur
de prébendes, avec une armée forte et une puissante police, et la gendarmerie «
complémentaire » d'un clergé pour les imbéciles, étant entendu que ces prêtres
n'importuneront point l'élite et ne la dérangeront pas dans ses jeux. Nul n'a
mieux défini la pensée politique et sociale de Voltaire que Robespierre, à la
Convention, dans son rapport du 18 floréal : « Cette espèce de philosophie pratique
qui, réduisant l'égoïsme en système, regarde la société comme une guerre de
ruse, le succès comme la règle du juste et de l'injuste, le monde comme le
patrimoine des fripons adroits. »
Humanisme ? moi je veux bien. Et
si Paul Souday, célébrant Voltaire l'anti-Pascal, s'envolait dans un geyser : «
Il a vraiment ôté le poids de nos épaules. Il nous a tirés du cachot et nous a
ramenés à la lumière. Joie ! Rires de joie ! Grâce à Voltaire, on respire, on
vit ! », si M. Maurras, à ce que nous confie Bainville, relisait Candide une
fois par année, afin de se bien nettoyer l'âme, et se plaisait à répéter : «
Maintenant, la voie est libre ! », je m'en voudrais de les en blâmer. Trahit
sua... Mais je comprends mieux Flaubert, que Candide attirait aussi, pour
d'autres raisons ; parce que Voltaire est sans espoir, parce qu'il nous montre
la créature hagarde, errant sous un ciel « de fer », parce que Candide est un
livre noir, un livre amer, « bête comme la vie ». Mais Candide est pour les
lettrés. Pour la foule, ce qui subsiste de Voltaire, c'est ceci :
Les prêtres ne sont pas ce qu'un
vain peuple pense ;
Notre crédulité fait toute leur
science.
Rien d'autre. Cela n'est pas peu,
direz-vous. Question qui n'est pas la mienne. Je n'avais qu'un propos : savoir quel
homme était cet homme et ce qu'il nous avait apporté.
Est-ce que je le sais, à présent,
qui c'était ? Mal. À peine. Il y a ce cri, cet élan, dans une lettre de Mme de
Grafigny : « Je l'aime, oui, je l'aime, et il a tant de bonnes qualités que
c'est une pitié de lui voir des faiblesses si misérables. » Il y a le
témoignage de Mme de Genlis, qui s'est rendue à Ferney sans amitié aucune pour
Voltaire, sûre d'avance que cette expérience l'ancrera dans son aversion.
Stupeur. Un charme est sorti de lui. Mme de Genlis n'est pas convertie, mais
elle est ébranlée. Qu'il est différent, ce vieux magicien, de ce qu'elle
attendait ! Dans ses yeux, « quelque chose de velouté, et d'une douceur
inexprimable. » S'il est un mot, n'est-ce pas, qui ne lui va guère : chaleur
humaine, si ce don du contact, du rayonnement, du cœur à cœur, Voltaire en
paraît privé plus que quiconque, voici pourtant, en toutes lettres, ce que lui
écrivait Moultou : « vos conversations », qu'elles me font du bien ! Mon âme
s'y ranime à « cette chaleur d'humanité qui fait la vie de la vôtre » (sic).
Voltaire, par Huber |
Ces choses-là ne peuvent être
omises. Étudions bien, aussi, les visages de Voltaire. Ils ne sont pas tous «
ricanants ». Le pastel de Nicolas Cochin, que Besterman a reproduit (l'original
est en Amérique), on n'a jamais fini de le scruter. Un Voltaire qui doit avoir
la cinquantaine ; son dos se voûte ; il serait presque gras ; un essai de
sourire ; mais l'œil, bleu, ne rit pas ; il guette, de côté, attentif, sans
bonheur. Et le regard qu'a vu Mme de Genlis, je le reconnais dans un des
dessins de Huber. Voltaire, très vieux, qui n'a pas cet air corrosif qu'on lui
voit si souvent ; il lève la tête ; il regarde quelque chose ; il écoute
quelqu'un, peut-être, qui lui parle, debout, tandis que lui-même est assis. Et
là, comme pour « chaleur humaine », un mot, encore, s'impose à nous,
imprévisible, presque incroyable : enfance. Sur ce visage sérieux, aux grands
yeux clairs, oui, je ne sais quelle enfance.
Voltaire et Mme Denis, par Cochin |
Pomeau, Delattre se heurtent à
une énigme : la raison, la raison déterminante de cette grande haine qu'a
portée Voltaire au christianisme, où se cache-t-elle ? Le motif demeure «
obscur » ; ils le disent, l'un et l'autre. Et il est bien vrai que nous manque,
là, un élément d'intellection capital. Qu'est-ce qui a bien pu, dans la vie
secrète de Voltaire, allumer un tel brasier ? Il ne s'agit pas seulement, chez
lui, de rébellion de l'intelligence, d'indignation du sens commun ; il s'agit
d'un règlement de comptes. Même révoltée, même indignée, la raison n'a pas de
ces flamboiements. Un feu sauvage. Il dit qu'il « éclaire », mais ce qu'il
veut, surtout, c'est ravager et anéantir. Sa besogne ressemble moins à
l'accomplissement d'une mission qu'à l'assouvissement d'une vengeance. Pomeau
et Delattre cherchent tous deux ce qu'ils appellent, chez Voltaire, un «
traumatisme » originel. Ils sont persuadés qu'il est arrivé quelque chose à
François-Marie Arouet, qu'il a reçu, enfant, une profonde blessure, et ils
reprennent l'hypothèse du « jansénisme », à la maison, oppresseur, le frère
Armand sombre dévot, le père sans tendresse, la « fixation » de l'enfant sur sa
mère. Conjectures faiblement étayées ; car enfin, ce père, ce n'est pas chez
les oratoriens jansénistes qu'il a mis en pension François après Armand, c'est
chez les jésuites, autrement faciles et « mondains » ; et François n'y sera pas
malheureux ; il n'en veut pas à ses anciens maîtres ; il aimait le P. Porée, il
admirait le P. Tournemine. Quant au « jansénisme » tel qu'il l'a connu, ce
jansénisme du XVIIIe siècle, cette mystique tournée en opposition bourgeoise et
gallicane, un rationalisme déjà le pénètre qui l'écarté immensément, chez les
laïcs, chez ces gens de robe parmi lesquels Voltaire a grandi, de ce
qu'évoquent pour nous les noms de Nicole et d'Arnauld. Quand Voltaire dit «
jansénisme », c'est « christianisme » qu'il entend, deux mots, pour lui,
interchangeables, mais il préfère le premier, polémique, et qui porte tort.
Je crois, moi aussi, qu'un
événement intérieur, lourd de conséquences, a eu lieu chez l'enfant Arouet,
l'adolescent Arouet. Il ne s'en ouvrira à personne et tous ses biographes ont
noté à quel point il est silencieux sur ses années premières. Ce qui n'est pas
une conjecture, mais un fait, c'est le renversement qui s'est produit en lui entre
sa dix-neuvième et sa vingt-deuxième année. François Arouet a quitté le collège
en août 1711 (dix-sept ans) ; il n'écrit plus sous la dictée ; ce qu'il compose
en 1713, il l'écrit parce qu'il le veut bien ; il est libre. Or son Épître sur
les Malheurs de ce Temps condamne le monde des mondains, dénonce les exactions
et le vice. Admettons que le jeune Arouet vise à plaire au vieux roi et qu'il
tienne en 1713 ce langage pour la même raison qu'il tiendra le langage inverse
lorsque la cour ne sera plus celle de Mme de Maintenon mais du Régent. Reste
son amour pour Olympe Dunoyer.
Voltaire et Olympe Dunoyer |
Là nous ne sommes plus dans la littérature, mais
dans la vie. Et François Arouet se jette dans cet amour à cœur perdu. Lui qu'on
verra, si vite, n'avoir plus qu'une pensée : se pousser, s'enrichir, lui qui
veillera avec un tel soin aux intérêts de son avancement, il fait, alors, «
cent folies », c'est-à-dire qu'il compte pour rien les chances qui sont les
siennes dans la carrière diplomatique, qu'il néglige tout, qu'il ignore tout, pourvu
que « Pimpette » soit sa femme. Il l'aime. Il est le contraire d'un libertin
avec elle ; il ne songe pas à la prendre, jouir de son corps, et passer à une
autre ; il l'aime ; il lui écrit : « Notre amour est fondé sur la vertu ; il
durera autant que notre vie. » C'est un enfant ? Précisément, je ne dis pas
autre chose. Je dis qu'il y a eu, à dix-neuf ans, un Voltaire qui ne s'appelait
pas Voltaire, qui n'avait encore ni changé de nom ni perdu ses prénoms, un être
en qui ne s'annonçait point celui qui le supplantera. Entre les deux, une
béance. Un François Arouet au cœur pur, avant le Voltaire, bientôt, qui rira,
cynique, de son « cœur très immonde ».
La métamorphose, d'où vient-elle
? D'une mue toute simple ? Quelqu'un qui a fait ses classes, qui a ouvert les
yeux sur la réalité, les réalités, et qui a mesuré sa méprise ? Cette fureur
qui va l'emplir, est-ce d'avoir été une dupe, d'avoir cru à la pureté, à la
droiture, à des puérilités absurdes, et à la sincérité de ces prêtres dont il
découvre de toutes parts, dans cette terrible levée des masques dont
s'accompagna la mort du « grand roi », l'incroyance et l'infamie ?
L'explication est encore trop courte. Ceux qui parlent, chez Arouet, d'un «
complexe » au creux duquel serait sa mère — cette femme dont nous savons si peu
de chose, cette mère qui est morte quand il avait sept ans, cette maman qui
appelait « Zozo » son petit François (François-Marie ; elle l'avait mis, à sa
naissance, sous la double protection de saint François d'Assise et de la sainte
Vierge) — j'ai bien l'impression qu'ils brûlent, qu'ils sont sur une piste.
Mais ils ne prennent pas garde assez au contenu précis des deux seules
allusions que je connaisse — en ai-je laissé échapper d'autres ? — de Voltaire
à celle qui l'avait porté dans son ventre, puis dans ses bras, et qu'il avait
chérie. Deux allusions publiques et horribles. Car c'est par lui, son fils, que
cette mémoire d'une inconnue est une mémoire souillée. C'est lui, Voltaire, qui
fait entendre que le chansonnier Rochebrune est son père autrement que dans
l'art des vers ; c'est lui qui, s'esclaffant parce que Duché, plaisantin, l'a
comparé au Messie, répondra tout haut :
Je n'ai de lui que sa misère
Et suis bien éloigné, ma foi,
D'avoir une vierge pour mère.
Est-ce que ce serait là son
secret ? Est-ce qu'il y aurait eu « traumatisme », en effet, blessure énorme ?
Mais pas dans le sens où on l'imagine. Une révélation qu'on lui a faite
(Chateauneuf ?) engendrant une commotion ? François Arouet n'en laisse rien
voir. Ce qui se passe au tréfonds de lui ne regarde personne. Mais de là
naîtrait le ricanement...
Hypothèse que je propose à mon
tour, et il est bien possible que je me trompe. Si j'avais raison, cependant,
bien des choses deviendraient claires, et ce refus, par exemple, que tous ceux
qui ont approché Voltaire ont observé chez lui, ce refus de se souvenir. Il vit
à la pointe extrême de l'instant ; il est toujours au sommet de la vague ; il
n'a jamais, dirait-on, de regard en arrière. Il est l'homme du « divertissement
», le docteur du divertissement. Dans cette Épître même à Mme Denis contre
Paris, contre Versailles, dans ce texte de 1749 qui est son propre
Anti-Mondain, à la fin, ce gémissement : tout cela qui est faux, tout ce hideux
tumulte, comment s'en passer ? « Où fuir loin de moi-même ? »
Il s'installe — de force — à la
campagne, mais il lui faut une rumeur de foule et des adulations, et la maison
de ce solitaire est un caravansérail. Mensonges, la Vierge et le Christ !
Mensonge, la Pucelle ! Mensonges, le Bien et le Mal. Il n'y a rien. « La vie
n'est que de l'ennui ou de la crème fouettée. » Fouettons la crème et
mangeons-la, en attendant le seul bonheur, celui du néant.
(fin)
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