vendredi 1 mars 2013

Henri Guillemin, préface aux Rêveries (3)

Jean-Jacques constate que « toute la génération présente ne voit qu'erreurs et préjugés » dans la foi qui demeure la sienne ; et quand il affirme ne « pouvoir comprendre » les persécutions qui l'abreuvent, quand il écrit (« Première Promenade ») :
« Comment aurais-je pu prévoir le destin qui m'attendait ? », il oublie cet éclair qui l'avait traversé, lorsqu'en 1750, dans la préface de son Discours, ces mots lui avaient été dictés par je ne sais quel avertissement : « Je prévois qu'on me pardonnera difficilement le parti que j'ai osé prendre. » Au chapitre III de ses Dialogues, Rousseau a bien senti que, « rebelle aux nouveaux oracles », il s'exposait à leurs ressentiments, et, dans ses Rêveries même, il devine là quelque chose ; « jamais je n'adoptai leur doctrine, et cette résistance à des hommes aussi intolérants /.../ ne fut pas une des moindres causes qui attisèrent les animosités ». Des hommes, précise-t-il, « qui d'ailleurs avaient leurs vues ».
Et, plus loin, il a sur eux une phrase pertinente. Car il est très exact, ainsi qu'il le dit, que si les philosophes ont une morale de parade, humaniste et humanitaire, ils en ont une autre, « secrète», « doctrine intérieure de tous leurs initiés », à laquelle la première « ne sert que de masque, et qu'ils suivent seule dans leur conduite ». C'est celle qui sous-tend Candide : chacun Pour soi dans la jungle humaine, et que les malins gagnent (1).
« Le temps fera distinguer ce que nous avons pensé de ce que nous avons dit. » De qui ce joli cynisme ? De Voltaire, à d'Alembert, 21 juillet 1751.

Et Robespierre, devant le Convention, définira de la façon la plus lucide ce qu'il nommera très bien la « philosophie pratique » de la « secte » : « réduisant l'égoïsme en système », elle « regarde la société comme une guerre de ruse, le succès comme la règle du juste et de l'injuste, la probité comme une affaire de goût, le monde comme le patrimoine des fripons adroits ».
Galiani
(1) Dans une lettre du 22 juin 1771, Galiani exposait la marche à suivre : « Si l'on rencontre sur son chemin un prince sot, il faut lui prêcher la tolérance, afin qu'il donne dans le piège et que le parti [des Lumières] ait le temps de se relever par la tolérance qu'on lui accorde, et d'écraser son adversaire ». Galiani trouvait Catherine II admirable : « Une maîtresse femme, car elle est intolérante et conquérante. »

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