Jean-Jacques constate que « toute
la génération présente ne voit qu'erreurs et préjugés » dans la foi qui demeure
la sienne ; et quand il affirme ne « pouvoir comprendre » les persécutions qui
l'abreuvent, quand il écrit (« Première Promenade ») :
« Comment aurais-je pu
prévoir le destin qui m'attendait ? », il oublie cet éclair qui l'avait
traversé, lorsqu'en 1750, dans la préface de son Discours, ces mots lui avaient
été dictés par je ne sais quel avertissement : « Je prévois qu'on me pardonnera
difficilement le parti que j'ai osé prendre. » Au chapitre III de ses
Dialogues, Rousseau a bien senti que, « rebelle aux nouveaux oracles », il
s'exposait à leurs ressentiments, et, dans ses Rêveries même, il devine là
quelque chose ; « jamais je n'adoptai leur doctrine, et cette résistance à des
hommes aussi intolérants /.../ ne fut pas une des moindres causes qui
attisèrent les animosités ». Des hommes, précise-t-il, « qui d'ailleurs avaient
leurs vues ».
Et, plus loin, il a sur eux une
phrase pertinente. Car il est très exact, ainsi qu'il le dit, que si les
philosophes ont une morale de parade, humaniste et humanitaire, ils en ont une
autre, « secrète», « doctrine intérieure de tous leurs initiés », à laquelle
la première « ne sert que de masque, et qu'ils suivent seule dans leur conduite
». C'est celle qui sous-tend Candide : chacun Pour soi dans la jungle humaine,
et que les malins gagnent (1).
« Le temps fera distinguer ce que
nous avons pensé de ce que nous avons dit. » De qui ce joli cynisme ? De
Voltaire, à d'Alembert, 21 juillet 1751.
Et Robespierre, devant le Convention, définira
de la façon la plus lucide ce qu'il nommera très bien la « philosophie pratique
» de la « secte » : « réduisant l'égoïsme en système », elle « regarde la
société comme une guerre de ruse, le succès comme la règle du juste et de
l'injuste, la probité comme une affaire de goût, le monde comme le patrimoine
des fripons adroits ».
Galiani |
(1) Dans une lettre du 22 juin
1771, Galiani exposait la marche à suivre : « Si l'on rencontre sur son chemin
un prince sot, il faut lui prêcher la tolérance, afin qu'il donne dans le piège
et que le parti [des Lumières] ait le temps de se relever par la tolérance
qu'on lui accorde, et d'écraser son adversaire ». Galiani trouvait Catherine II
admirable : « Une maîtresse femme, car elle est intolérante et conquérante. »
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