jeudi 13 juin 2013

Voltaire vu par Michel Cuny (2)



Il faut tout de suite y insister : pour Voltaire, la transgression est une inégalable prometteuse de jouissance. Lorsque, de plus, elle s'accompagne du jaillissement du sang des autres, le voici bientôt transporté jusqu'à des sommets. Il est toutefois difficile de savoir en quoi sa pratique du théâtre a donné à ce dramaturge le schéma de mise à distance sans lequel la souffrance humaine tend à se partager par identification quasiment automatique. Quoi qu'il en soit, Voltaire est un vrai dur devant la souffrance d'autrui.

 Et qui est très certain de pouvoir, par l'écriture, convaincre qui il veut d'adopter son point de vue, c'est-à-dire le point d'où cette jouissance devient effective. Pour illustrer ceci, reprenons sa lettre du 23 août 1756 - il a tout de même maintenant 62 ans... - à la comtesse de Lutzelbourg :
« Dites-moi donc, Madame, vous qui êtes sur les bords du Rhin, si notre chère Marie-Thérèse, impératrice-reine, dont la tête me tourne, prépare des efforts réels pour reprendre sa Silésie. Voilà un beau moment ; et si elle le manque, elle n’y reviendra plus. »

Moment qui devrait donc être beau aux yeux de quiconque, et non pas au titre d'une tête qui viendrait à tourner en raison de qualités physiques ou autres de Marie-Thérèse, mais en conséquence du sang qu'elle s'apprête à faire couler...

   Jouissance, encore, qui ne peut guère, selon lui, faire défaut aux grands chefs de guerre. C'est ce que montre sa lettre du 27 août 1756 au duc de Richelieu :
« Je crois que ma chère Marie-Thérèse a grande envie de prendre ce temps-là pour reprendre, si elle peut, sa Silésie. Nous attendons toujours des nouvelles consolantes de quelque petit commencement d’hostilités. Le feu peut se mettre tout d’un coup aux quatre coins de l’Europe. Quel plaisir pour vous autres 
héros ! »
le duc de Richelieu

Or, ce sang qui doit couler ne paraît pas avoir quoi que ce soit d'humain, et il est essentiel pour Voltaire et ses disciples qu'il en aille effectivement ainsi, sans quoi la jouissance serait interdite... À François-Louis Allamand, le 17 septembre 1756 :

      « Tout est bien, tout est mieux que jamais. Voilà deux ou trois cent mille animaux à deux pieds qui vont s’égorger pour cinq sous par jour. »



     Et revoici l'essentielle comptabilité : cinq sous par jour... C'est ce que cela coûte pour que cela rapporte... à qui?

     Il est évidemment très important de savoir que c'est cette horreur (un clic?) qui est sous-jacente au rôle que les voltairomenteurs font tenir à "Candide" dans l'in-conscient de la jeunesse de France.
Nous leur souhaitons donc de... jouir... de leur rente de situation... tant qu'il en est temps encore...
Qui sont les vrais "saigneurs" de la guerre?

C'est Voltaire qui va nous le montrer à propos de cette Italie qui l'aura tant fait rêver... du côté des fleuves de sang et de l'or qui y barbote pour les "maîtres" de la finance internationale...

 Feuilletons cette Correspondance qui est tout simplement l'école du crime pour celles et ceux qui savent s'en réserver la lecture.
Le 28 mai 1722, et alors qu'il n'avait encore que 28 ans, Voltaire écrivait très tranquillement au cardinal Dubois, qui paraissait en passe de devenir le ministre prépondérant du Régent, une lettre comportant une offre de service en bonne et due forme. Mais de quel service? Lisons :
le cardinal Dubois
   
« Je peux plus aisément que personne au monde passer en Allemagne sous le prétexte d’y voir Rousseau [Jean-Baptiste et non pas Jean-Jacques] à qui j’ai écrit il y a deux mois que j’avais envie d’aller montrer mon poème [Henri IV] au prince Eugène et à lui. J’ai même des lettres du prince Eugène dans l’une desquelles il me fait l’honneur de me dire qu’il serait bien aise de me voir. Si ces considérations pouvaient engager Votre Éminence à m’employer à quelque chose, je la supplie de croire qu’elle ne serait pas mécontente de moi et que j’aurais une reconnaissance éternelle de m’avoir permis de la servir. »

   

     Mais de quelle expérience le jeune Voltaire peut-il alors se prévaloir? D'une expérience qui n'est pas tout de suite la sienne mais dont il connaît l'essentiel et qu'il pourrait donc reprendre pour son propre compte si le cardinal voulait bien lui en laisser le loisir. La voici avec ce caractère très internationaliste, c'est-à-dire d'alternance des trahisons, qui s'inscrit si bien dans les intérêts de la grande bourgeoisie. Le cardinal va comprendre aussitôt que ce petit poète n'est pas le premier venu, puisqu'il sait tout cela sur le bout des doigts :

     « Salomon Lévi, Juif, natif de Metz, fut d’abord employé par M. de Chamillart [ministre de la Guerre] ; il passa chez les ennemis avec la facilité qu’ont les Juifs d’être admis et d’être chassés partout. Il eut l’adresse de se faire munitionnaire de l’armée impériale en Italie ; il donnait de là tous les avis nécessaires à M. le maréchal de Villeroi ; ce qui ne l’empêchera pas d’être pris à Crémone. Depuis, étant dans Vienne, il eut des correspondances avec le maréchal de Villars. Il eut ordre de M. de Torcy, en 1713, de suivre milord Marlborough, qui était passé en Allemagne pour empêcher la paix, et il rendit un compte exact de ses démarches. Il fut envoyé secrètement par M. Le Blanc [autre ministre de la Guerre], à Siertz, il y a dix-huit mois, pour une affaire prétendue d’État, qui se trouva être une billevesée. »

Etre "munitionnaire", c'est fournir le blé, les chevaux, les habits aux armées en campagne, ce qui implique de connaître à l'avance les mouvements de celles-ci pour être en mesure de définir les voies et délais d'approvisionnement. De ce côté, c'est en savoir presque autant que les chefs de guerre eux-mêmes. En réalité, c'est en savoir plus. Car, comme le montre la Correspondance des maîtres de Voltaire, les frères Pâris, ce sont les financiers qui déterminent la stratégie des guerres (nous aurons l'occasion d'y revenir).

  Etre "munitionnaire", c'est - ainsi que le montre la description des allées et venues de l'exemplaire Salomon Lévi - avoir en mains toutes les cartes de la possible trahison, celle qui se paie d'autant plus cher qu'elle engage la victoire ou la défaite de tel ou royaume, de telle ou telle principauté, et à travers des situations d'extrême urgence...
Par conséquent, dans le cadre de l'Europe de ce temps-là, c'est à cet endroit qu'occupent les munitionnaires que passent les flux principaux de la finance internationale...



Et aujourd'hui?... Allez, bachelières et bacheliers, tout cela n'est décidément pas pour vous... Et comme, plus tard, il n'y a pas grand risque que vous reveniez sur tout cela, il suffira de vous avoir intoxiqué(e)s au bon moment avec "Candide" pour en avoir fini avec ce que votre conscience morale pourrait un jour exiger de vous en face de tel ou tel événement mondial (la Libye en 2011?)

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