L’historien Olivier Blanc, spécialiste d’Olympe de Gouges répond ici à l'article de Florence Gauthier ( à découvrir ici ) , qui s'était élevée contre l'entrée de la révolutionnaire au Panthéon.
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Pour dissuader le président de la République de choisir Olympe de Gouges, représentante des femmes engagées en politique, d'entrer au Panthéon, l'extrême gauche la plus ringarde fait feu de tout bois. Fidèle aux vielles méthodes - staliniennes - Florence Gauthier (Paris 7-Diderot) qui n'a jamais lu les écrits d'Olympe et n'a jamais publié sur elle autre chose qu'un brûlot d'apparence scientifique en réponse à un très bel article de presse de Myriam Perfetti paru dans l'hebdomadaire Marianne (17 août 2013), affirme sur son blog, au mépris de toute vraisemblance, qu'Olympe de Gouges fut une contre-révolutionnaire favorable à la loi martiale !
l'historien Olivier Blanc |
Je ne m'appesantirai pas sur la valeur relative de cette épithète de « contre-révolutionnaire », que l'on ne peut même pas appliquer au plus réactionnaire des Constituants de 1791 qui, par ses travaux "révolutionnaires" stricto sensu, aura quand même participé au passage de la monarchie absolue à la monarchie constitutionnelle, une avancée gigantesque qui ne sera suivie qu’au XIXe siècle par les autres États européens. Quoi qu'il en soit, et contrairement à ce qu'affirme gratuitement Florence Gauthier, Olympe de Gouges était plus que réservée sur la constitution de 1791: cette constitution n'offrait ni de droits politiques aux non-propriétaires comme elle (suffrage censitaire), ni aux Noirs des colonies ni aux femmes, trois catégories de citoyen(ne)s auxquel(le)s cette sociale-démocrate avant la lettre a consacré son temps, ses tout petits revenus et, finalement, sa vie. Elle est morte pauvre, à l'inverse de Marat et des Montagnards « de proie » [1] qui l'ont envoyée à l'échafaud.
Avant même la fin des travaux de la Constituante, Olympe de Gouges avait exprimé ses réserves sur cette Constitution (Repentir de Mme de de Gouges), qui était non seulement imparfaite à ses yeux mais dont la traduction dans la loi, pensait-elle, laisserait certainement à désirer. Elle revient régulièrement, notamment dans Le Bon sens français, sur les imperfections de la Constitution, demeurant elle-même attachée au respect de la loi, qu’elle célèbre au cours d’une fête nationale à laquelle (pour la première fois) les femmes sont associées, grâce à elle, et cela jusqu'au 10 août 1792, « événement salutaire, dit-elle, qui a tranché le nœud gordien qui maintenait les bons citoyens dans l’indécision ».
Le défaut d'Olympe, si l'on peut dire, et c'est apparemment ce que Florence Gauthier ne lui pardonne pas, est de considérer que les choses importantes de la vie publique doivent se résoudre par des délibérations plutôt que par des crises. Son aversion pour la violence venue de la rue et l'utilisation que certains (rarement ceux que l'on croit, pense-t-elle) peuvent en faire, l'a amenée à mettre sévèrement en cause les promoteurs des massacres de septembre, et le premier d'entre eux, Marat, l'ultra-démagogique Marat, aussi transparent qu'une bouteille d'encre, l'idole de Florence Gauthier.
L’article de cette dernière est donc une charge passionnelle, un concentré de contre-vérités, d'amalgames et d'interprétations fallacieuses ou hasardées. On a l'impression qu’elle s'appuie exclusivement sur les numéros de L’Ami du Peuple de Marat pour asseoir ce qui lui tient lieu de démonstration. Je ne me servirai donc pas des numéros du Véritable Ami du Peuple de Roch Marcandier pour lui répondre, même si Marcandier connaissait beaucoup mieux Marat – pour l'avoir longuement et intimement fréquenté aux Cordeliers – que Florence Gauthier. Je veux juste souligner que les Girondins ont été maltraités par l’historiographie française, à commencer par les Thermidoriens (c'est à dire les Montagnards moins Robespierre et ses fidèles), et par les royalistes. En réalité, la démocratie réinventée en 1793 doit beaucoup au parti de la Gironde qui, avant l'assassinat de ses membres, avait su faire face à d'immenses difficultés tant à l'intérieur qu'à l'extérieur, par la seule voie parlementaire. C'est à cette majorité que l'on doit la loi du maximum des denrées (4 mai 1793) : on ne peut donc pas dire, comme le fait pourtant Florence Gauthier, que les Girondins ont (Olympe avec eux) « célébré la liberté illimitée du commerce ». C'est à la même majorité girondine que la loi qui pose la République comme une et indivisible a été votée fin mars 1793.
Après l'élimination des Girondins, qui a entraîné un changement notable de majorité, la nouvelle constitution montagnarde de juin 1793 (quand les chefs girondins sont placés au secret en prison) a entériné le droit sacré à la propriété. J'ajoute que les principaux chefs montagnards, auteurs et promoteurs délirants des lois contre les "ennemis de la Révolution", etc.) ont pratiquement tous constitué des fortunes gigantesques dont on commence à peine à mesurer l'importance. Je conseillerai donc à Florence Gauthier d'ôter son bonnet rouge pour écrire l'histoire.
Olympe au Panthéon ?
Un certain nombre de personnes mettent en avant le « féminisme » (avant la lettre) de celle qui fut guillotinée pour ses écrits politiques [2]. Parler de féminisme sans cesse et partout, associer son nom à un « club des tricoteuses » accessoirement « lécheuses de guillotine » payées par l’ultra-démagogie [3], n'est-ce pas, au fond, une manière sournoise de disqualifier celle qui a tant donné pour la libre parole des femmes en politique et sur d’autres chasses gardées masculines ? Montrant l'exemple, par ses engagements divers, principalement humains, Olympe a au contraire donné une respectabilité à l'engagement politique au féminin, et cette grande partie de sa vie, dans son intensité et sa dramaturgie, n'était pas destinée à illustrer un « féminisme » trop caricatural pour être honnête.
C'est pourtant ce « féminisme » très en retrait de l’humanisme d’Olympe qui a été retenu par ceux et celles qui semblent avoir cédé aux sirènes de l’historiographie à bonnet rouge, représentée par Florence Gauthier et ses émules. N'est-ce pas un peu court, car Olympe a fait bien autre chose que de plaider la cause des femmes ? N’est-ce pas une impasse ? ou, pire, une stratégie destinée à neutraliser une idée formidable : l'entrée au Panthéon de celle qui incarne le mieux l'engagement politique au sens large de la femme moderne ? Olympe par son exemple, sans attendre la consécration légale des droits de la femme, a montré qu'il y avait une place pour elles en politique, notamment en exerçant, comme elle l’a fait, ce droit précieux du préambule de la Constitution de 1789 : la résistance à l'oppression.
Quand les Montagnards de proie, les mêmes d'ailleurs, qui renverseront Robespierre, eurent précipité les ami(e)s politiques d'Olympe dans les prisons et à l’échafaud, elle est la seule femme de son temps à s'être avancée à visage découvert, par la seule force de ses écrits et sans illusion sur la puissance de ses adversaires qui avaient, écrira-t-elle de prison, voilé les droits de l'homme : en un an en effet, la Convention aura réussi ce tour de force macabre consistant à emprisonner près de deux cents représentants du peuple, tant Girondins que Dantonistes et Robespierristes, dont près d'un tiers furent exécutés au prétexte qu'ils étaient des « ennemis de la patrie » et des « contre-révolutionnaires », mots à géométrie variable. Olympe de Gouges, peut-être plus courageuse que bien des hommes de son temps, est entrée en résistance dès le 2 juin 1793, date de l'arrestation des Girondins, jour où la Convention est devenue illégitime à ses yeux, et c'est le 9 qu'elle a publiquement annoncé son soutien à leur cause par une lettre lue puis censurée à la Convention.
Quel bel engagement politique que celui de la résistance à l'oppression ! Mais justement, c'est là que les choses ne vont pas. Les historiens à bonnet rouge, qui veillent sur soixante-dix ans de chasse gardée, le contrôle quasi exclusif des études universitaires sur la Révolution, ne veulent pas de la promotion d'une « vulgaire » girondine, qui donnerait l'impression que les Girondins représentent, ce qui pourtant était le cas, le parti le plus avancé sur le plan sociétal, ces mêmes Girondins qui ont promu la loi sur le divorce (accueillie avec soulagement par tant de femmes battues), ceux-là mêmes qui, au Club des Amis des Noirs, ont, par leurs actions et leurs écrits dès avant 1788 (comme Olympe), préparé le terrain pour que la Convention abolisse l'esclavage. Les écrits d'Olympe sur les Noir(e)s ou le rapport extraordinaire que Jérôme Pétion a préparé en vue de l'abolition montre assez de quel côté étaient les avancées en matière de droits de l'homme à la Convention.
Tout cela, faudrait-il donc l’oublier ? La machine à plomber la mémoire est-elle en marche, ou Olympe de Gouges trouvera-t-elle à la fin sa place légitime au Panthéon des Grands Hommes… et des Grandes Femmes ?
C'est pourtant ce « féminisme » très en retrait de l’humanisme d’Olympe qui a été retenu par ceux et celles qui semblent avoir cédé aux sirènes de l’historiographie à bonnet rouge, représentée par Florence Gauthier et ses émules. N'est-ce pas un peu court, car Olympe a fait bien autre chose que de plaider la cause des femmes ? N’est-ce pas une impasse ? ou, pire, une stratégie destinée à neutraliser une idée formidable : l'entrée au Panthéon de celle qui incarne le mieux l'engagement politique au sens large de la femme moderne ? Olympe par son exemple, sans attendre la consécration légale des droits de la femme, a montré qu'il y avait une place pour elles en politique, notamment en exerçant, comme elle l’a fait, ce droit précieux du préambule de la Constitution de 1789 : la résistance à l'oppression.
Quand les Montagnards de proie, les mêmes d'ailleurs, qui renverseront Robespierre, eurent précipité les ami(e)s politiques d'Olympe dans les prisons et à l’échafaud, elle est la seule femme de son temps à s'être avancée à visage découvert, par la seule force de ses écrits et sans illusion sur la puissance de ses adversaires qui avaient, écrira-t-elle de prison, voilé les droits de l'homme : en un an en effet, la Convention aura réussi ce tour de force macabre consistant à emprisonner près de deux cents représentants du peuple, tant Girondins que Dantonistes et Robespierristes, dont près d'un tiers furent exécutés au prétexte qu'ils étaient des « ennemis de la patrie » et des « contre-révolutionnaires », mots à géométrie variable. Olympe de Gouges, peut-être plus courageuse que bien des hommes de son temps, est entrée en résistance dès le 2 juin 1793, date de l'arrestation des Girondins, jour où la Convention est devenue illégitime à ses yeux, et c'est le 9 qu'elle a publiquement annoncé son soutien à leur cause par une lettre lue puis censurée à la Convention.
Quel bel engagement politique que celui de la résistance à l'oppression ! Mais justement, c'est là que les choses ne vont pas. Les historiens à bonnet rouge, qui veillent sur soixante-dix ans de chasse gardée, le contrôle quasi exclusif des études universitaires sur la Révolution, ne veulent pas de la promotion d'une « vulgaire » girondine, qui donnerait l'impression que les Girondins représentent, ce qui pourtant était le cas, le parti le plus avancé sur le plan sociétal, ces mêmes Girondins qui ont promu la loi sur le divorce (accueillie avec soulagement par tant de femmes battues), ceux-là mêmes qui, au Club des Amis des Noirs, ont, par leurs actions et leurs écrits dès avant 1788 (comme Olympe), préparé le terrain pour que la Convention abolisse l'esclavage. Les écrits d'Olympe sur les Noir(e)s ou le rapport extraordinaire que Jérôme Pétion a préparé en vue de l'abolition montre assez de quel côté étaient les avancées en matière de droits de l'homme à la Convention.
Tout cela, faudrait-il donc l’oublier ? La machine à plomber la mémoire est-elle en marche, ou Olympe de Gouges trouvera-t-elle à la fin sa place légitime au Panthéon des Grands Hommes… et des Grandes Femmes ?
Olivier Blanc
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