Voici un premier extrait de Qu'est-ce que le Tiers Etat ?
Emmanuel-Joseph Sieyès |
(...) Il ne suffit pas d’avoir montré que les Privilégiés, loin d’être utiles à la Nation, ne peuvent que l’affaiblir et lui nuire, il faut prouver encore que l’Ordre noble n’entre point dans l’organisation sociale; qu’il peut bien être une charge pour la Nation, mais qu’il n’en saurait faire une partie. D’abord, il n’est pas possible dans le nombre de toutes les parties élémentaires d’une Nation, de trouver où placer la Caste des Nobles. Je sais qu’il est des individus, en trop grand nombre, que les infirmités, l’incapacité, une paresse incurable, ou le torrent des mauvaises mœurs rendent étrangers aux travaux de la Société. L’exception et l’abus sont partout à côté de la règle, et surtout dans un vaste Empire. Mais l’on conviendra que moins il y a des abus, mieux l’État passe pour être ordonné. Le plus mal ordonné de tous serait celui où non seulement des particuliers isolés, mais une classe entière de Citoyens mettrait sa gloire à rester immobile au milieu du mouvement général ; et saurait consumer la meilleure part du produit, sans avoir concouru en rien à le faire naître ? Une telle classe est assurément étrangère à la Nation par sa fainéantise.
L’Ordre Noble n’est pas moins étranger au milieu de nous, par ses prérogatives civiles & politiques. Qu’est-ce qu’une Nation ? un corps d’Associés vivant sous une loi commune et représentés par la même législature, etc.
N’est-il pas trop certain que l’Ordre noble a des privilèges, des dispenses, qu’il ose appeler ses droits, séparés des droits du grand corps des Citoyens ? Il sort par là de l’ordre commun, de la loi commune. Ainsi ses droits civils en font déjà un Peuple à part dans la grande Nation. C’est véritablement imperium in imperio.
A l’égard de ses droits politiques, il les exerce aussi à part. Il a ses représentants à lui, qui ne sont nullement chargés de la procuration des Peuples. Le corps de ses Députés siège à part ; et quand il s’assemblerait dans une même salle avec les Députés des simples Citoyens, il n’en est pas moins vrai que sa représentation est essentiellement distincte et séparée : elle est étrangère à la Nation, d’abord par son principe, puisque sa mission ne vient pas du Peuple ; ensuite par son objet, puisqu’il consiste à défendre, non l’intérêt général, mais l’intérêt particulier. Le Tiers embrasse donc tout ce qui appartient à la Nation ; et tout ce qui n’est pas le Tiers, ne peut pas se regarder comme étant de la Nation. Qu’est-ce que le Tiers ? TOUT (...) à suivre
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