lundi 23 décembre 2013

Qu'est-ce que le Tiers Etat ? (3)

Enfin, après avoir constaté l'insuffisance des "droits politiques" du Tiers Etat, l'abbé Sieyès émet ses trois demandes.
Necker insistera, lui aussi, sur l'idée d'équité dans la représentation, à savoir le doublement du Tiers, mais également la proportionnalité entre le nombre de représentés et celui de représentants.
1789 constitue en cela une étape décisive : désormais, on considère que les individus sont égaux en droits pour former le pouvoir politique...
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Que demande le Tiers-État ? à devenir quelque chose. (…)

Première Demande.

Que les Représentants du Tiers-État ne soient choisis que parmi les Citoyens qui appartiennent véritablement au Tiers.


On a cru renforcer la difficulté que nous venons de détruire, en avançant que le Tiers-État n’avait pas des Membres assez éclairés, assez courageux, etc. Pour le représenter, et qu’il fallait recourir aux lumières de la Noblesse… Cette ridicule assertion ne mérite pas de réponse. Considérez les classes disponibles du Tiers-État ; et j’appelle, avec tout le monde, classes disponibles, celles où une sorte d’aisance permet aux hommes de recevoir une éducation libérale, de cultiver leur raison, enfin de s’intéresser aux affaires publiques. Ces classes-là n’ont pas d’autre intérêt que celui du reste du Peuple. Voyez si elles ne contiennent pas assez de Citoyens instruits, honnêtes, dignes, à tous égards, d’être de bons Représentants de la Nation

Mais enfin, dit-on, si un Bailliage s’obstine à ne vouloir donner sa procuration du Tiers qu’à un Noble, ou un Ecclésiastique ? S’il n’a confiance qu’en lui ?…

J’ai déjà dit qu’il ne pouvait pas y avoir de liberté illimitée, et que parmi toutes les conditions à imposer à l’éligibilité, celle que le Tiers réclamait était la plus nécessaire de toutes. Répondons plus immédiatement. Je suppose qu’un Bailliage veuille absolument se nuire ; doit-il avoir pour cela le droit de nuire aux autres ? Si je suis seul intéressé aux démarches de mon Procureur fondé, on pourra se contenter de me dire : Tant pis pour vous ; pourquoi l’avez-vous mal choisi ?  (...)

Deuxième demande du Tiers-État.

Que des Députés soient en nombre égal à ceux des deux Ordres privilégiés.


Je ne puis m’empêcher de le répéter ; la timide insuffisance de cette réclamation se ressent encore des vieux temps. Les villes du Royaume n’ont pas assez consulté les progrès des lumières et même de l’opinion publique. Elles n’auraient pas rencontré plus de difficultés en demandant deux voix contre une, et peut-être se fût-on hâté, alors, de leur offrir cette égalité contre laquelle on combat aujourd’hui avec tant d’éclat.

Au reste, quand on veut décider une question comme celui-ci, il ne faut pas se contenter, comme on le fait trop souvent, de donner son désir, ou sa volonté, ou l’usage, pour des raisons ; il faut remonter aux principes. Les droits politiques comme les droits civils, doivent tenir à la qualité de Citoyen. Cette propriété légale est la même pour tous, sans égard au plus ou moins de propriété réelle dont chaque individu peut composer sa fortune ou sa jouissance. Tout Citoyen qui réunit les conditions déterminées pour être Electeur, a droit de se faire représenter, et sa représentation ne peut pas être une fraction de la représentation d’un autre. Ce droit est un ; tous l’exercent également, comme tous sont protégés également par la Loi qu’ils ont concouru à faire. Comment peut-on soutenir, d’un côté, que la Loi est l’expression de la volonté générale, c’est-à-dire, de la pluralité, et prétendre en même temps que des volontés individuelles peuvent balancer mille volontés particulières ? N’est-ce pas s’exposer à laisser faire la loi par la minorité ? ce qui est évidemment contre la nature des choses.

Si ces principes, tout certains qu’ils sont, sortent un peu trop des idées communes, je ramènerai le Lecteur à une comparaison qui est sous ses yeux. N’est-il pas vrai qu’il paraît juste à tout le monde, que l’immense Bailliage du Poitou ait plus de Représentants aux États-Généraux que le petit Bailliage de Gex ? Pourquoi cela ? Parce que, dit-on, la population et la contribution du Poitou sont bien supérieures à celles de Gex. On admet donc des principes d’après lesquels on peut déterminer la proportion des Représentants. Voulez-vous que la contribution en décide ? Mais quoique nous n’ayons pas une connaissance certaine de l’imposition respective des Ordres, il saute aux yeux que le Tiers en suppose plus de la moitié.

A l’égard de la population, on sait quelle immense supériorité le troisième Ordre a sur les deux premiers. J’ignore, comme tout le monde, quel est le véritable rapport ; mais comme tout le monde, je me permettrais de faire mon calcul.

Troisième et dernière demande du Tiers-État.

Que les États-Généraux votent non par Ordres, mais par têtes.


Les Privilégiés craignent l’égalité d’influence dans le troisième Ordre, et ils la déclarent inconstitutionnelle ; cette conduite est d’autant plus frappante, qu’ils ont été jusqu’à présent deux contre un, sans rien trouver d’inconstitutionnel à cette injuste supériorité. Ils sentent très intimement le besoin de conserver le veto sur tout ce qui pourrait être contraire à leur intérêt. Je ne répéterai point les raisonnements par lesquels vingt Ecrivains ont battu cette prétention et l’argument des anciennes formes. Je n’ai qu’une observation à faire. Il y a sûrement des abus en France, ces abus tournent au profit de quelqu’un ; ce n’est guère au Tiers qu’ils sont avantageux, mais c’est bien à lui surtout qu’ils sont nuisibles. Or, je demande si dans cet état des choses, il est possible de détruire aucun abus, tant qu’on laissera le veto à ceux qui en profitent. Toute justice serait sans force ; il faudrait tout attendre de la pure générosité des Privilégiés. Serait-ce là l’idée qu’on se forme de l’ordre social ?
 
les 3 ordres
 

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