samedi 25 janvier 2014

L'histoire rurale de la Révolution Française (1)

Par Florence Gauthier, ICT-Université Paris Diderot-Paris 7


La Révolution française, révolution des droits de l’homme et du citoyen, abolit le régime féodal et l’esclavage dans les colonies, deux des piliers de l’oppression des peuples. Cette double abolition se réalisa en faveur de l'humanité opprimée. Le bonnet rouge de la liberté exprima le lien entre ces deux grandes conquêtes de la liberté civile et politique de portée mondiale.
Nous nous intéresserons ici au mouvement paysan qui imposa son rythme à la Révolution et dont l'objectif n'était pas seulement de se libérer du régime féodal. En effet, des rapports d'un type nouveau se développaient depuis la fin du Moyen-Âge. On pouvait voir dans les campagnes du Royaume de France, les progrès de la concentration de la propriété foncière par l’expropriation d’une partie grandissante de la paysannerie de ses tenures héritables, mais aussi ceux de la concentration de l’exploitation agricole aux mains d’une étroite couche de fermiers capitalistes entrepreneurs de culture, qui pratiquaient la réunion des fermes en rassemblant dans leurs mains les différents marchés de terre en location. On voyait encore la formation d’un marché privé des subsistances grâce à la spéculation à la hausse des prix des grains à une époque où les céréales représentaient la base de l’alimentation du petit peuple des villes et de l’immense population des paysans pauvres et sans terre. Ici, le pouvoir économique transformait le besoin social de se nourrir en arme alimentaire, ou guerre du blé, qui tuait, comme nous le savons, sous forme de disettes factices.
La Révolution en France fut aussi l’expression de la résistance populaire à ces formes capitalistes désignées par l’expression précise d’économie publique tyrannique à laquelle répondirent la revendication et l’élaboration d’une économie politique populaire. Un débat exemplaire s’ouvrait ici.
La Révolution en France fut aussi une expérience politique éclairée par les principes philosophiques de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et caractérisée par l’immense tâche de la construction de la souveraineté populaire, de l’élargissement d’un espace public démocratique, de la construction d’un pouvoir législatif suprême et d’une citoyenneté participant effectivement à l’élaboration des lois, toutes choses auxquelles la paysannerie participa pleinement, avec ses traditions spécifiques de droit des habitants qui organisait la vie des communautés villageoises.

I. La Grande Peur de juillet 1789
Les Etats généraux réunis à Versailles le 5 mai 1789 se transformèrent en Assemblée nationale constituante, le 17 juin, puis, par le Serment du jeu de Paume le 20 juin, jurèrent de ne pas se séparer avant d’avoir donné une constitution à la France.
Tout le processus de convocation des Etats généraux, le système électoral ouvrant le droit de vote aux chefs de famille domiciliés (de l’un et de l’autre sexe), la rédaction des cahiers de doléances, l’élection de députés mandatés par leurs électeurs, le remplacement des Etats généraux, conseil élargi du roi, par l’Assemblée nationale constituante, tout cela constitue le contrat social révolutionnaire et fut vécu comme tel par les contemporains. Ces notions de souveraineté de la nation, de contrat social, de constitution, de citoyenneté, de pouvoir législatif suprême n’étaient pas des idées abstraites, ni éloignées du peuple, mais bien au contraire des idées largement popularisées et devenues des actes. L’Assemblée constituante avait mis fin aux Etats généraux de sa propre initiative et instauré un pouvoir nouveau, émanant des élections, qui venait de renverser la monarchie de droit divin en France et de transférer la souveraineté du roi au peuple. Ce fut l’acte un de la Révolution.
Le second acte de la Révolution se joua dans les campagnes. L’immense jacquerie de juillet 1789, appelée Grande Peur, se répandit à la vitesse du tocsin. Si l’on tient compte du fait qu’elle prenait le relais des révoltes paysannes du printemps précédent, ce fut l’ensemble des campagnes qui entrèrent en insurrection contre le régime féodal.
Les révoltes paysannes conjuguaient des émeutes de subsistance avec des insurrections armées de caractère anti-monarchique, en s’opposant aux intendants et au fisc, anti-ecclésiastique en refusant le paiement des dîmes, et surtout anti-féodal. Sur ce point, les communautés villageoises s’en sont prises directement aux titres de propriété des seigneurs, qu’ils soient nobles, roturiers ou ecclésiastiques, soit pour les brûler, soit pour contraindre le seigneur à signer un acte de renonciation à la perception de ses droits dans l’avenir.
Elles récupérèrent aussi des biens communaux usurpés par les seigneurs et s’en servirent parfois immédiatement en envoyant leurs bêtes y pâturer. Les paysans rétablirent dès ce moment le partage égal des usages sur les biens communaux : bois, foin, fruits des arbres communs, droit de pâture, de glandée, de glanage etc…Cette reconquête démocratique s'opposait aux pratiques inégalitaires des paysans riches. Deux conceptions de l'exercice du pouvoir municipal s'affrontèrent alors, celle des possédants qui, lorsqu'ils tenaient la représentation municipale, restreignaient l'accès des fruits des communaux à la minorité au pouvoir, celle qui se fondait sur le droit des habitants et concevait la propriété communale comme un bien commun, une ré-publique, dont les fruits sont également à tous.
La Grande Peur fut une réelle jacquerie, une révolte paysanne armée dirigée principalement contre le régime féodal. C'était la destruction de la seigneurie qui était visée par ces actes qui s’en prenaient avec une rare violence à l’institution seigneuriale, mais non aux personnes. Georges Lefebvre, l’historien de cette Grande Peur a souligné ce fait très remarquable : durant cette Grande Peur qui ne dura guère plus de trois semaines, plusieurs centaines de demeures seigneuriales furent visitées, les titres de propriété brûlés, quelques châteaux furent démontés, parfois incendiés, mais il n’y eut pas de violence contre les personnes des seigneurs ni de leurs domestiques.
Par la même occasion, la grande institution de la monarchie se trouva paralysée et s'effondra : les administrateurs abandonnaient leur poste, cherchant à fuir ou à se cacher.
Ce fut la paysannerie qui fit une offre de contrat social et politique à la seigneurie. Pour la mieux saisir rappelons rapidement la structure de la seigneurie à cette époque.

1. Qu'était la seigneurie en 1789 ?
Un rapide rappel de l'histoire de la seigneurie s'avère nécessaire. On sait que dans le domaine ouest européen, le servage qui s'était généralisé à l'époque de la seigneurie carolingienne fut aboli. Cette grande révolution se produisit entre le XIe et le XIIIe siècles dans le Royaume de France. La seigneurie se trouva alors formée de deux parties, la réserve seigneuriale et le domaine des censives. La réserve seigneuriale rassemblait le lieu de résidence du seigneur, des terres cultivées pour l’entretien de sa maison, des terrains jugés utiles comme des forêts où il exerçait le noble sport de la chasse. Le domaine des censives connaissait une forme de propriété complexe puisque les droits y étaient partagés entre seigneur et paysans censitaires. Le cens était récognitif de la seigneurie, mais aussi des droits du censitaire et en premier lieu de son précieux droit de tenure héritable. Le seigneur ne pouvait exproprier le tenancier, en échange ce dernier devait payer des redevances et se soumettre à la justice seigneuriale. (Doniol et Bloch)
Cette abolition du servage avait conféré aux ci-devant serfs la liberté personnelle et des droits d'accès à la terre. Elle avait également permis à la communauté villageoise d'obtenir une reconnaissance juridique. Quant au seigneur, s'il avait renoncé à son ancien rôle de grand exploitant de terres travaillées par les corvées serviles, il voyait le nombre des villages soumis à sa directe augmenter considérablement. Les corvées, ou rente en travail, étaient remplacées par le paiement d'une rente payée par le paysan sur le produit de son travail. Le seigneur était devenu un rentier du sol (Bloch).
Le terme cens était largement usité pour désigner cette nouvelle rente que le censitaire s'engageait à payer au seigneur, en échange de droits sur la censive. On sait, par ailleurs, que la monarchie en France, créa son propre espace politique en se présentant comme l'arbitre entre seigneurie et communauté villageoise. En faisant de sa justice une justice d'appel, le roi de France exerçait cet arbitrage et constitua ses pouvoirs régaliens n'hésitant pas à dépouiller la seigneurie.
Au XIIIe siècle, cette abolition du servage s'était opérée largement et se poursuivit dans les siècles suivants. Elle s'effectuait par des lettres de manumissions et des chartes de franchise. En 1789, il existait encore près d'un million de serfs, ou plus précisément de mainmortables, non libres, qui relevaient de seigneuries ecclésiastiques, principalement situées dans le centre et l'est du Royaume. Précisons, pour éviter des contresens, que ce servage devenu mainmorte n'était plus qu'un vestige éloigné et transformé de la seigneurie asservissante.
La grande crise des XIVe-XVe siècles fut aggravée, au XVIe siècle, par l'afflux de métaux précieux, venus d'Amérique et d'Europe de l'Est, et qui entraînèrent une dévaluation des monnaies. Or, le montant du cens avait été évalué en argent et la dévaluation monétaire provoqua dans le domaine ouest européen une profonde et grave crise des rentes seigneuriales (Bloch).
Selon les pays et même les provinces, la réaction seigneuriale prit des formes diverses. Dans le Royaume de France la seigneurie réagit en cherchant à accroître la superficie de la réserve seigneuriale. Pour réaliser cette nouvelle restructuration de la seigneurie, le seigneur ne pouvait exproprier les censitaires protégés par les coutumes et la justice royale. Ce fut donc par le lent rachat de censives vendues par leurs titulaires, mais aussi par l'usurpation de biens communaux soustraits par les justices seigneuriales aux communautés villageoises, que la seigneurie parvint à augmenter la part de sa réserve.
On aura compris qu'en rachetant des censives et en les incorporant à sa réserve, le seigneur changeait le statut de la terre : la censive sortait du domaine des droits partagés avec le censitaire et rejoignait les biens sur lesquels le seigneur avait des droits exclusifs. Ainsi, depuis le XVIe siècle, la restructuration de la seigneurie en France permit au seigneur d'accroître la réserve au détriment du domaine des censives et des biens communaux usurpés. C'est alors que le seigneur put louer les terres de sa réserve sous des formes nouvelles qui lui seraient plus avantageuses que le système de la censive qui protégeait le censitaire. En effet, le montant des cens s'étant dévalué, les rentes fournies par les baux de fermage ou de métayage se révèlent bien plus élevées.
Les nouvelles formes de rentes furent le fermage et le métayage. Au XVIIIe siècle, le fermage dominait dans la moitié Nord du Royaume. Le métayage connut une histoire fort complexe que nous n'aborderons pas ici. Nous nous limiterons aux aspects suivants qui éclaireront les revendications des métayers pendant la Révolution.

D'après des études récentes, et nous prendrons celle de la Gâtine poitevine (Merle), l'exploitation agricole appelée métairie se généralisa à partir des XVe-XVIe siècles et fut le fruit d'une réaction seigneuriale à la crise des rentes que nous venons d'évoquer. Cette région connaissait précédemment un système agraire de champs ouverts et en lanières avec habitat groupé qui fut transformé en paysage de métairie grâce au lent travail de rachat des censives par le seigneur. Les résultats, spectaculaires ici, révèlent que des villages et hameaux disparurent pour laisser place à une ou deux métairies. Le seigneur avait réussi à racheter l'ensemble des censives qu'il incorpora à sa réserve. De plus, il récupérait les bâtiments et maisons des villages et les biens communaux abandonnés par la disparition de la population villageoise : l'opération s'était avérée fort avantageuse. L'orientation de la production changeait également : il ne s'agissait plus de nourrir la population d'un village, mais de produire pour le marché.

2. Les formes de propriété foncière sous l'Ancien régime
Nous pouvons maintenant préciser les formes de propriété foncière existantes à la veille de la Révolution. Il y en avait trois, la seigneurie, les biens communaux et les alleux.
La seigneurie était la forme dominante et de loin, avec ses deux parties, la réserve seigneuriale sur laquelle le seigneur exerçait des droits exclusifs et le domaine des censives sur lequel les droits étaient partagés entre seigneur et paysans. La seigneurie pouvait être achetée, vendue, échangée et son propriétaire pouvait être un noble, un ecclésiastique, un roturier.
Les biens communaux étaient une forme de propriété collective, propriété des habitants sur lesquels s'exerçaient des droits d'usage indispensables à la vie rurale. Ces communaux pouvaient être des bois, des terrains de pâturages indispensables à l'élevage, des terres cultivées que les communautés villageoises conservaient précieusement et louaient aux nécessiteux pour leur assurer un lopin de subsistance, des pièces d'eau, des tourbières, les bords de rivière et de mer etc…Les droits d'usage appartenaient aux habitants de la communauté villageoise et étaient soigneusement définis en fonction des communaux existants et distribués à chacun. Étaient habitant ayant droit les hommes, les femmes et les enfants. Cette conception des droits d'usage sur la propriété collective, accompagnée des réunions des habitants pour les mettre en œuvre a été, malgré toutes les atteintes qu'on a voulu lui porter, la source vivante d'une conception universelle du droit. Georges Lefebvre l'a admirablement rappelé :
"La communauté rurale conservait le sentiment très vif d'un droit social…Supérieurs à la propriété sont les justes besoins de la communauté dont tous les membres ont droit à la vie, elle doit être aménagée en conséquence."
Les communaux furent un enjeu véritable entre seigneurs et paysans. La seigneurie parvint à s'approprier les bois et les mis peu à peu en défens, c'est-à-dire qu'elle en interdit progressivement les usages aux habitants : chasse, puis ramassage du bois, puis pâturage, etc... À la fin du processus de mise en défens des usages, le bois était devenue forêt seigneuriale : ce fut chose faite dès le XVIe siècle dans les régions de plaine les plus peuplées et dont les besoins étaient, pourtant, les plus pressants.
Les alleux étaient des terres libres, c'est-à-dire non astreintes au paiement de rentes, témoins d'une époque antérieure à l'apparition de la seigneurie ou qui parvint à échapper à la directe seigneuriale. On estime à 1 % des terres cultivées la superficie de ce qui restait des alleux à la veille de la Révolution.
L'opposition entre seigneurie et communauté villageoise s'est exprimée dans les conceptions du droit de l'une et de l'autre. La réaction seigneuriale avait renforcé la doctrine de la concession primitive des fonds par le seigneur aux paysans et dont la devise était "Nulle terre sans seigneur". Toutefois, dans la pratique, la seigneurie était freinée par les coutumes qui ne connaissaient pas cette concession primitive des fonds revendiquée par le seigneur, et la résistance des communautés villageoises qui opposaient la conception paysanne du droit : "Nul seigneur sans titre" et dénonçaient "la seigneurie usurpante", textes à l'appui (Doniol, Bloch).
Pour la paysannerie, le terme liberté avait un sens précis, celui de franchise : être libre ou franc en tant que personne, ou non asservi, et pouvoir accéder à une terre libre ou franche elle aussi, c'est-à-dire non astreinte au paiement de rentes de quelque nature qu'elles soient. Et enfin, participer aux assemblées générales des habitants pour y délibérer et prendre part aux votes : en anglais, le mot franchise signifie toujours droit de vote.
Avant de donner une estimation de la répartition de la propriété, précisons que la seigneurie étant formée de la réserve seigneuriale et du domaine des censives, c'est bien l'addition de ces deux parties qui lui donne son sens. Ainsi à la veille de la Révolution, la part du clergé, c'est-à-dire la part des seigneuries ecclésiastiques, représentait environ 10 % des terres cultivées en réserve. À cette part s'ajoute une inconnue qui est celle du domaine des censives de ces seigneuries ecclésiastiques. Le clergé représentait environ 125 000 personnes, soit 0,5 % de la population du Royaume.
Même chose pour la noblesse, y compris le roi, dont on estime la part en réserve entre 20 et 25 % des terres cultivées, plus l'inconnue de la part du domaine des censives. La noblesse représentait 300 à 350 000 personnes, soit 1,5 % de la population.
Enfin, les seigneuries roturières, souvent présentées comme "bourgeoises", sont estimées de 20 à 25 % des terres cultivées en réserve, auxquelles s'ajoute la part du domaine des censives. Ces seigneurs roturiers représentaient approximativement 300 à 400 000 personnes, près de 2 % de la population. La France était alors le pays le plus peuplé d'Europe, et de loin, avec 26 à 28 millions d'habitants à la veille de la Révolution. La paysannerie formait les 85 % de cette population. À titre de comparaison, l'Angleterre était peuplée de 7 à 8 millions d'habitants à cette époque.
On estime très globalement la part de domaine des censives à environ 40 à 50 % des terres cultivées. On mesure ici le travail que la réaction féodale à cette crise des rentes était parvenu à réaliser depuis le XVIe siècle, en rassemblant 50 à 60 % des censives et des communaux dans la réserve, ces terres étant depuis louées en fermage ou en métayage.
Il est nécessaire maintenant, de faire un point sur quelques obscurités rencontrées dans l'historiographie depuis un siècle et demi. Très, et sans doute trop, brièvement, il faut insister sur le fait suivant : les recherches érudites concernant la révolution paysanne ont commencé dans la seconde moitié du XIXe siècle avec des études approfondies de la législation de la période. On retiendra les magnifiques travaux d'Henry Doniol et de Philippe Sagnac qui révèlent leur connaissance approfondie des réalités féodalo-seigneuriales et de la législation de leur abolition, obtenue à l'issue de luttes longues et acharnées, menées de 1789 à 1794, et maintenue contre toutes les tentatives possibles de restauration.
Ces études pionnières ne pouvaient sans doute pas rendre compte de façon détaillée des formes de résistance paysanne, ni des conditions précises de l'abolition de la féodalité. Depuis, des monographies locales ont mis à découvert le concret du mouvement paysan en révélant d'autres aspects de la lutte menée par les paysans qui faisaient face à la crise agraire cumulée avec celle de l'agriculture. La crise agraire concerne l'accès à la terre. Le processus d'expropriation de la paysannerie avait conduit, à la fin du XVIIIe siècle, à la situation suivante : près de 70 % des paysans n'avaient pas suffisamment de terres en exploitation pour pouvoir en vivre et cherchaient à compléter leurs revenus par un travail d'appoint que pouvait leur offrir la manufacture dispersée rurale. 20 % des paysans étaient sans terre. Les droits des habitants avec les usages sur les communaux (maison avec jardin attenant et accès aux pâturages) leur offraient des garanties d'existence indispensables à leur survie. Ils formaient la main-d'œuvre des ouvriers saisonniers et aussi de la manufacture rurale.
La crise de l'agriculture était liée aux déséquilibres que les différents systèmes agraires rencontraient avec l'appauvrissement des paysans et aussi la raréfaction des pâturages communaux qui provoqua des conséquences négatives en chaîne : moins de pâturages réduit le bétail, ce qui entraîne une diminution des engrais naturels et donc des rendements agricoles. L'introduction de cultures fourragères dans les assolements serait souhaitable, mais ces cultures exigent beaucoup d'engrais qui, précisément, manquent. Le cercle est devenu vicieux.
Au début du XXe siècle, l'historiographie, qui se trouvait enrichie par des monographies locales, perdit de vue la résistance paysanne à la seigneurie ! Ce fut le cas de Georges Lefebvre à qui l'on doit pourtant la remarquable mise en lumière du caractère autonome de la révolution paysanne et qui, en même temps, perdit de vue l'étude de l'abolition de la féodalité. Il y ici un paradoxe qui a été noté par Albert Soboul. Élève de Lefebvre, Soboul qui a consacré sa thèse à la mise en lumière de l'existence de la Sans-Culotterie parisienne et a son caractère également autonome, a signalé cette étrange disparition de la lutte paysanne contre le régime féodal et invité à reprendre ce champ de recherche. On dispose aujourd'hui de l'importante synthèse d'Anatoli Ado qui a enfin rendu visible la succession des jacqueries qui ont rythmé la Révolution de 1789 à 1793, accompagnant l'abolition de la féodalité.
La perte de visibilité de l'abolition de la féodalité que nous avons rappelée s'est accompagnée d'une incompréhension de ce qui a été aboli. Retournons à la Grande Peur et à l'offre de contrat social que fit la paysannerie à la seigneurie.
L’offre consistait à partager la seigneurie : le domaine des censives aux censitaires et la réserve au seigneur. Par ailleurs, en ce qui concerne les biens communaux, la paysannerie refusait tout partage et réclamait, d’une part la reconnaissance de cette forme de propriété aux communautés villageoises, d’autre part la restitution des communaux usurpés par les seigneurs.
Enfin, en ce qui concerne les terres louées en fermage ou en métayage, les locataires proposaient une législation de renouvellement des baux qui, pour aller à l’essentiel, supprimait leur caractère précaire et réduisait le montant des rentes à payer. L’esprit de cette dernière proposition visait à ménager l’accès le plus libre possible à la terre, instrument de travail élémentaire du paysan. Soulignons qu’ici la paysannerie était divisée, les vœux des petits et moyens exploitants différaient des intérêts des gros fermiers entrepreneurs de culture. Dans les régions proches des villes, ces gros fermiers recherchaient le juteux marché des subsistances urbaines et s’entendaient entre eux pour se réserver les locations de terres et en écarter les petits exploitants. (à suivre)

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