Par Florence Gauthier, ICT-Université Paris Diderot-Paris 7
La Révolution française, révolution des droits de l’homme et du
citoyen, abolit le régime féodal et l’esclavage dans les colonies, deux
des piliers de l’oppression des peuples. Cette double abolition se
réalisa en faveur de l'humanité opprimée. Le bonnet rouge de la liberté
exprima le lien entre ces deux grandes conquêtes de la liberté civile et
politique de portée mondiale.
Nous nous intéresserons ici au mouvement paysan qui imposa son rythme
à la Révolution et dont l'objectif n'était pas seulement de se libérer
du régime féodal. En effet, des rapports d'un type nouveau se
développaient depuis la fin du Moyen-Âge. On pouvait voir dans les
campagnes du Royaume de France, les progrès de la concentration de la
propriété foncière par l’expropriation d’une partie grandissante de la
paysannerie de ses tenures héritables, mais aussi ceux de la
concentration de l’exploitation agricole aux mains d’une étroite couche
de fermiers capitalistes entrepreneurs de culture, qui pratiquaient la réunion des fermes
en rassemblant dans leurs mains les différents marchés de terre en
location. On voyait encore la formation d’un marché privé des
subsistances grâce à la spéculation à la hausse des prix des grains à
une époque où les céréales représentaient la base de l’alimentation du
petit peuple des villes et de l’immense population des paysans pauvres
et sans terre. Ici, le pouvoir économique transformait le besoin social
de se nourrir en arme alimentaire, ou guerre du blé, qui tuait, comme
nous le savons, sous forme de disettes factices.
La
Révolution en France fut aussi l’expression de la résistance populaire à
ces formes capitalistes désignées par l’expression précise d’économie publique tyrannique à laquelle répondirent la revendication et l’élaboration d’une économie politique populaire. Un débat exemplaire s’ouvrait ici.
La Révolution en France fut aussi une expérience politique éclairée
par les principes philosophiques de la Déclaration des droits de l’homme
et du citoyen, et caractérisée par l’immense tâche de la construction
de la souveraineté populaire, de l’élargissement d’un espace public
démocratique, de la construction d’un pouvoir législatif suprême et
d’une citoyenneté participant effectivement à l’élaboration des lois,
toutes choses auxquelles la paysannerie participa pleinement, avec ses
traditions spécifiques de droit des habitants qui organisait la vie des communautés villageoises.
I. La Grande Peur de juillet 1789
Les Etats généraux réunis à Versailles le 5 mai 1789 se
transformèrent en Assemblée nationale constituante, le 17 juin, puis,
par le Serment du jeu de Paume le 20 juin, jurèrent de ne pas se séparer
avant d’avoir donné une constitution à la France.
Tout le processus de convocation des Etats généraux, le système électoral ouvrant le droit de vote aux chefs de famille
domiciliés (de l’un et de l’autre sexe), la rédaction des cahiers de
doléances, l’élection de députés mandatés par leurs électeurs, le
remplacement des Etats généraux, conseil élargi du roi, par l’Assemblée
nationale constituante, tout cela constitue le contrat social
révolutionnaire et fut vécu comme tel par les contemporains. Ces notions
de souveraineté de la nation, de contrat social, de constitution, de
citoyenneté, de pouvoir législatif suprême n’étaient pas des idées
abstraites, ni éloignées du peuple, mais bien au contraire des idées
largement popularisées et devenues des actes. L’Assemblée constituante
avait mis fin aux Etats généraux de sa propre initiative et
instauré un pouvoir nouveau, émanant des élections, qui venait de
renverser la monarchie de droit divin en France et de transférer la
souveraineté du roi au peuple. Ce fut l’acte un de la Révolution.
Le second acte de la Révolution se joua dans les campagnes. L’immense
jacquerie de juillet 1789, appelée Grande Peur, se répandit à la
vitesse du tocsin. Si l’on tient compte du fait qu’elle prenait le
relais des révoltes paysannes du printemps précédent, ce fut l’ensemble
des campagnes qui entrèrent en insurrection contre le régime féodal.
Les révoltes paysannes conjuguaient des émeutes de subsistance avec
des insurrections armées de caractère anti-monarchique, en s’opposant
aux intendants et au fisc, anti-ecclésiastique en refusant le paiement
des dîmes, et surtout anti-féodal. Sur ce point, les communautés
villageoises s’en sont prises directement aux titres de propriété des
seigneurs, qu’ils soient nobles, roturiers ou ecclésiastiques, soit pour
les brûler, soit pour contraindre le seigneur à signer un acte de
renonciation à la perception de ses droits dans l’avenir.
Elles récupérèrent aussi des biens communaux usurpés par les
seigneurs et s’en servirent parfois immédiatement en envoyant leurs
bêtes y pâturer. Les paysans rétablirent dès ce moment le partage égal
des usages sur les biens communaux : bois, foin, fruits des arbres
communs, droit de pâture, de glandée, de glanage etc…Cette reconquête
démocratique s'opposait aux pratiques inégalitaires des paysans riches.
Deux conceptions de l'exercice du pouvoir municipal s'affrontèrent
alors, celle des possédants qui, lorsqu'ils tenaient la représentation
municipale, restreignaient l'accès des fruits des communaux à la
minorité au pouvoir, celle qui se fondait sur le droit des habitants et
concevait la propriété communale comme un bien commun, une ré-publique,
dont les fruits sont également à tous.
La Grande Peur fut une réelle jacquerie, une révolte paysanne armée
dirigée principalement contre le régime féodal. C'était la destruction
de la seigneurie qui était visée par ces actes qui s’en prenaient avec
une rare violence à l’institution seigneuriale, mais non aux personnes.
Georges Lefebvre, l’historien de cette Grande Peur a souligné ce fait
très remarquable : durant cette Grande Peur qui ne dura guère plus de
trois semaines, plusieurs centaines de demeures seigneuriales furent
visitées, les titres de propriété brûlés, quelques châteaux furent
démontés, parfois incendiés, mais il n’y eut pas de violence contre les
personnes des seigneurs ni de leurs domestiques.
Par la même occasion, la grande institution de la monarchie se trouva
paralysée et s'effondra : les administrateurs abandonnaient leur poste,
cherchant à fuir ou à se cacher.
Ce fut la paysannerie qui fit une offre de contrat social et
politique à la seigneurie. Pour la mieux saisir rappelons rapidement la
structure de la seigneurie à cette époque.
1. Qu'était la seigneurie en 1789 ?
Un rapide rappel de l'histoire de la seigneurie s'avère nécessaire.
On sait que dans le domaine ouest européen, le servage qui s'était
généralisé à l'époque de la seigneurie carolingienne fut aboli. Cette
grande révolution se produisit entre le XIe et le XIIIe siècles dans le
Royaume de France. La seigneurie se trouva alors formée de deux
parties, la réserve seigneuriale et le domaine des censives. La réserve
seigneuriale rassemblait le lieu de résidence du seigneur, des terres
cultivées pour l’entretien de sa maison, des terrains jugés utiles comme
des forêts où il exerçait le noble sport de la chasse. Le domaine des
censives connaissait une forme de propriété complexe puisque les droits y
étaient partagés entre seigneur et paysans censitaires. Le cens était
récognitif de la seigneurie, mais aussi des droits du censitaire et en
premier lieu de son précieux droit de tenure héritable. Le seigneur ne
pouvait exproprier le tenancier, en échange ce dernier devait payer des
redevances et se soumettre à la justice seigneuriale. (Doniol et Bloch)
Cette abolition du servage avait conféré aux ci-devant serfs la
liberté personnelle et des droits d'accès à la terre. Elle avait
également permis à la communauté villageoise d'obtenir une
reconnaissance juridique. Quant au seigneur, s'il avait renoncé à son
ancien rôle de grand exploitant de terres travaillées par les corvées
serviles, il voyait le nombre des villages soumis à sa directe augmenter
considérablement. Les corvées, ou rente en travail, étaient remplacées
par le paiement d'une rente payée par le paysan sur le produit de son
travail. Le seigneur était devenu un rentier du sol (Bloch).
Le terme cens était largement usité pour désigner cette nouvelle
rente que le censitaire s'engageait à payer au seigneur, en échange de
droits sur la censive. On sait, par ailleurs, que la monarchie en
France, créa son propre espace politique en se présentant comme
l'arbitre entre seigneurie et communauté villageoise. En faisant de sa
justice une justice d'appel, le roi de France exerçait cet arbitrage et
constitua ses pouvoirs régaliens n'hésitant pas à dépouiller la
seigneurie.
Au XIIIe siècle, cette abolition du servage s'était opérée largement
et se poursuivit dans les siècles suivants. Elle s'effectuait par des
lettres de manumissions et des chartes de franchise. En 1789, il
existait encore près d'un million de serfs, ou plus précisément de
mainmortables, non libres, qui relevaient de seigneuries
ecclésiastiques, principalement situées dans le centre et l'est du
Royaume. Précisons, pour éviter des contresens, que ce servage devenu
mainmorte n'était plus qu'un vestige éloigné et transformé de la
seigneurie asservissante.
La grande crise des XIVe-XVe siècles fut aggravée, au XVIe siècle,
par l'afflux de métaux précieux, venus d'Amérique et d'Europe de l'Est,
et qui entraînèrent une dévaluation des monnaies. Or, le montant du cens
avait été évalué en argent et la dévaluation monétaire provoqua dans le
domaine ouest européen une profonde et grave crise des rentes seigneuriales (Bloch).
Selon les pays et même les provinces, la réaction seigneuriale prit
des formes diverses. Dans le Royaume de France la seigneurie réagit en
cherchant à accroître la superficie de la réserve seigneuriale.
Pour réaliser cette nouvelle restructuration de la seigneurie, le
seigneur ne pouvait exproprier les censitaires protégés par les coutumes
et la justice royale. Ce fut donc par le lent rachat de censives
vendues par leurs titulaires, mais aussi par l'usurpation de biens
communaux soustraits par les justices seigneuriales aux communautés
villageoises, que la seigneurie parvint à augmenter la part de sa
réserve.
On aura compris qu'en rachetant des censives et en les incorporant à
sa réserve, le seigneur changeait le statut de la terre : la censive
sortait du domaine des droits partagés avec le censitaire et rejoignait
les biens sur lesquels le seigneur avait des droits exclusifs. Ainsi,
depuis le XVIe siècle, la restructuration de la seigneurie en France
permit au seigneur d'accroître la réserve au détriment du domaine des
censives et des biens communaux usurpés. C'est alors que le seigneur put
louer les terres de sa réserve sous des formes nouvelles qui lui
seraient plus avantageuses que le système de la censive qui protégeait
le censitaire. En effet, le montant des cens s'étant dévalué, les rentes
fournies par les baux de fermage ou de métayage se révèlent bien plus
élevées.
Les nouvelles formes de rentes furent le fermage et le métayage. Au
XVIIIe siècle, le fermage dominait dans la moitié Nord du Royaume. Le
métayage connut une histoire fort complexe que nous n'aborderons pas
ici. Nous nous limiterons aux aspects suivants qui éclaireront les
revendications des métayers pendant la Révolution.
D'après des études récentes, et nous prendrons celle de la Gâtine poitevine (Merle), l'exploitation agricole appelée métairie
se généralisa à partir des XVe-XVIe siècles et fut le fruit d'une
réaction seigneuriale à la crise des rentes que nous venons d'évoquer.
Cette région connaissait précédemment un système agraire de champs
ouverts et en lanières avec habitat groupé qui fut transformé en paysage
de métairie grâce au lent travail de rachat des censives par le
seigneur. Les résultats, spectaculaires ici, révèlent que des villages
et hameaux disparurent pour laisser place à une ou deux métairies. Le
seigneur avait réussi à racheter l'ensemble des censives qu'il incorpora
à sa réserve. De plus, il récupérait les bâtiments et maisons des
villages et les biens communaux abandonnés par la disparition de la
population villageoise : l'opération s'était avérée fort avantageuse.
L'orientation de la production changeait également : il ne s'agissait
plus de nourrir la population d'un village, mais de produire pour le
marché.
2. Les formes de propriété foncière sous l'Ancien régime
Nous pouvons maintenant préciser les formes de propriété foncière
existantes à la veille de la Révolution. Il y en avait trois, la
seigneurie, les biens communaux et les alleux.
La seigneurie était la forme dominante et de loin, avec ses deux
parties, la réserve seigneuriale sur laquelle le seigneur exerçait des droits exclusifs et le domaine des censives sur lequel les droits étaient partagés entre seigneur et paysans. La seigneurie pouvait être achetée, vendue,
échangée et son propriétaire pouvait être un noble, un ecclésiastique,
un roturier.
Les biens communaux étaient une forme de propriété collective,
propriété des habitants sur lesquels s'exerçaient des droits d'usage
indispensables à la vie rurale. Ces communaux pouvaient être des bois,
des terrains de pâturages indispensables à l'élevage, des terres
cultivées que les communautés villageoises conservaient précieusement et
louaient aux nécessiteux pour leur assurer un lopin de subsistance, des
pièces d'eau, des tourbières, les bords de rivière et de mer etc…Les
droits d'usage appartenaient aux habitants de la communauté villageoise et étaient soigneusement définis en fonction des communaux existants et distribués à chacun. Étaient habitant ayant droit
les hommes, les femmes et les enfants. Cette conception des droits
d'usage sur la propriété collective, accompagnée des réunions des
habitants pour les mettre en œuvre a été, malgré toutes les atteintes
qu'on a voulu lui porter, la source vivante d'une conception universelle
du droit. Georges Lefebvre l'a admirablement rappelé :
"La communauté rurale conservait le sentiment très vif d'un droit
social…Supérieurs à la propriété sont les justes besoins de la
communauté dont tous les membres ont droit à la vie, elle doit être
aménagée en conséquence."
Les communaux furent un enjeu véritable entre seigneurs et paysans.
La seigneurie parvint à s'approprier les bois et les mis peu à peu en
défens, c'est-à-dire qu'elle en interdit progressivement les usages aux
habitants : chasse, puis ramassage du bois, puis pâturage, etc... À la
fin du processus de mise en défens des usages, le bois était devenue
forêt seigneuriale : ce fut chose faite dès le XVIe siècle dans les
régions de plaine les plus peuplées et dont les besoins étaient,
pourtant, les plus pressants.
Les alleux étaient des terres libres, c'est-à-dire non astreintes au paiement de rentes,
témoins d'une époque antérieure à l'apparition de la seigneurie ou qui
parvint à échapper à la directe seigneuriale. On estime à 1 % des terres
cultivées la superficie de ce qui restait des alleux à la veille de la
Révolution.
L'opposition entre seigneurie et communauté villageoise s'est
exprimée dans les conceptions du droit de l'une et de l'autre. La
réaction seigneuriale avait renforcé la doctrine de la concession primitive des fonds par le seigneur aux paysans
et dont la devise était "Nulle terre sans seigneur". Toutefois, dans la
pratique, la seigneurie était freinée par les coutumes qui ne
connaissaient pas cette concession primitive des fonds revendiquée par
le seigneur, et la résistance des communautés villageoises qui
opposaient la conception paysanne du droit : "Nul seigneur sans titre"
et dénonçaient "la seigneurie usurpante", textes à l'appui (Doniol,
Bloch).
Pour la paysannerie, le terme liberté avait un sens précis, celui de franchise :
être libre ou franc en tant que personne, ou non asservi, et pouvoir
accéder à une terre libre ou franche elle aussi, c'est-à-dire non
astreinte au paiement de rentes de quelque nature qu'elles soient. Et
enfin, participer aux assemblées générales des habitants pour y
délibérer et prendre part aux votes : en anglais, le mot franchise signifie toujours droit de vote.
Avant de donner une estimation de la répartition de la propriété,
précisons que la seigneurie étant formée de la réserve seigneuriale et
du domaine des censives, c'est bien l'addition de ces deux parties qui
lui donne son sens. Ainsi à la veille de la Révolution, la part du
clergé, c'est-à-dire la part des seigneuries ecclésiastiques,
représentait environ 10 % des terres cultivées en réserve. À
cette part s'ajoute une inconnue qui est celle du domaine des censives
de ces seigneuries ecclésiastiques. Le clergé représentait environ 125
000 personnes, soit 0,5 % de la population du Royaume.
Même chose pour la noblesse, y compris le roi, dont on estime la part
en réserve entre 20 et 25 % des terres cultivées, plus l'inconnue de la
part du domaine des censives. La noblesse représentait 300 à 350 000
personnes, soit 1,5 % de la population.
Enfin, les seigneuries roturières, souvent présentées comme "bourgeoises", sont estimées de 20 à 25 % des terres cultivées en réserve,
auxquelles s'ajoute la part du domaine des censives. Ces seigneurs
roturiers représentaient approximativement 300 à 400 000 personnes, près
de 2 % de la population. La France était alors le pays le plus peuplé
d'Europe, et de loin, avec 26 à 28 millions d'habitants à la veille de
la Révolution. La paysannerie formait les 85 % de cette population. À
titre de comparaison, l'Angleterre était peuplée de 7 à 8 millions
d'habitants à cette époque.
On estime très globalement la part de domaine des censives à environ
40 à 50 % des terres cultivées. On mesure ici le travail que la
réaction féodale à cette crise des rentes était parvenu à réaliser
depuis le XVIe siècle, en rassemblant 50 à 60 % des censives et des
communaux dans la réserve, ces terres étant depuis louées en fermage ou
en métayage.
Il est nécessaire maintenant, de faire un point sur quelques
obscurités rencontrées dans l'historiographie depuis un siècle et demi.
Très, et sans doute trop, brièvement, il faut insister sur le fait
suivant : les recherches érudites concernant la révolution paysanne ont
commencé dans la seconde moitié du XIXe siècle avec des études
approfondies de la législation de la période. On retiendra les
magnifiques travaux d'Henry Doniol et de Philippe Sagnac qui révèlent
leur connaissance approfondie des réalités féodalo-seigneuriales et de
la législation de leur abolition, obtenue à l'issue de luttes longues et
acharnées, menées de 1789 à 1794, et maintenue contre toutes les
tentatives possibles de restauration.
Ces études pionnières ne pouvaient sans doute pas rendre compte de
façon détaillée des formes de résistance paysanne, ni des conditions
précises de l'abolition de la féodalité. Depuis, des monographies
locales ont mis à découvert le concret du mouvement paysan en révélant
d'autres aspects de la lutte menée par les paysans qui faisaient face à
la crise agraire cumulée avec celle de l'agriculture. La crise agraire
concerne l'accès à la terre. Le processus d'expropriation de la
paysannerie avait conduit, à la fin du XVIIIe siècle, à la situation
suivante : près de 70 % des paysans n'avaient pas suffisamment de terres
en exploitation pour pouvoir en vivre et cherchaient à compléter leurs
revenus par un travail d'appoint que pouvait leur offrir la manufacture
dispersée rurale. 20 % des paysans étaient sans terre. Les droits des
habitants avec les usages sur les communaux (maison avec jardin attenant
et accès aux pâturages) leur offraient des garanties d'existence
indispensables à leur survie. Ils formaient la main-d'œuvre des ouvriers
saisonniers et aussi de la manufacture rurale.
La crise de l'agriculture était liée aux déséquilibres que les
différents systèmes agraires rencontraient avec l'appauvrissement des
paysans et aussi la raréfaction des pâturages communaux qui provoqua des
conséquences négatives en chaîne : moins de pâturages réduit le bétail,
ce qui entraîne une diminution des engrais naturels et donc des
rendements agricoles. L'introduction de cultures fourragères dans les
assolements serait souhaitable, mais ces cultures exigent beaucoup
d'engrais qui, précisément, manquent. Le cercle est devenu vicieux.
Au début du XXe siècle, l'historiographie, qui se trouvait enrichie
par des monographies locales, perdit de vue la résistance paysanne à la
seigneurie ! Ce fut le cas de Georges Lefebvre à qui l'on doit pourtant
la remarquable mise en lumière du caractère autonome de la révolution paysanne et qui, en même temps, perdit de vue l'étude de l'abolition de la
féodalité. Il y ici un paradoxe qui a été noté par Albert Soboul. Élève
de Lefebvre, Soboul qui a consacré sa thèse à la mise en lumière de
l'existence de la Sans-Culotterie parisienne et a son caractère
également autonome, a signalé cette étrange disparition de la lutte
paysanne contre le régime féodal et invité à reprendre ce champ de
recherche. On dispose aujourd'hui de l'importante synthèse
d'Anatoli Ado qui a enfin rendu visible la succession des jacqueries qui ont rythmé la Révolution de 1789 à 1793, accompagnant
l'abolition de la féodalité.
La perte de visibilité de l'abolition de la féodalité que nous avons
rappelée s'est accompagnée d'une incompréhension de ce qui a été aboli.
Retournons à la Grande Peur et à l'offre de contrat social que fit la
paysannerie à la seigneurie.
L’offre consistait à partager la seigneurie : le domaine des censives
aux censitaires et la réserve au seigneur. Par ailleurs, en ce qui
concerne les biens communaux, la paysannerie refusait tout partage et
réclamait, d’une part la reconnaissance de cette forme de propriété aux
communautés villageoises, d’autre part la restitution des communaux
usurpés par les seigneurs.
Enfin, en ce qui concerne les terres louées en fermage ou en
métayage, les locataires proposaient une législation de renouvellement
des baux qui, pour aller à l’essentiel, supprimait leur caractère
précaire et réduisait le montant des rentes à payer. L’esprit de cette
dernière proposition visait à ménager l’accès le plus libre possible à
la terre, instrument de travail élémentaire du paysan. Soulignons qu’ici
la paysannerie était divisée, les vœux des petits et moyens exploitants
différaient des intérêts des gros fermiers entrepreneurs de culture.
Dans les régions proches des villes, ces gros fermiers recherchaient le
juteux marché des subsistances urbaines et s’entendaient entre eux pour
se réserver les locations de terres et en écarter les petits
exploitants. (à suivre)
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