mardi 28 janvier 2014

L'histoire rurale de la Révolution Française (4)

Par Florence Gauthier, ICT-Université Paris Diderot-Paris 7



IV. La Révolution des 31 mai-2 juin 1793 : vers la réalisation du droit à l'existence

Cette nouvelle insurrection organisée à Paris, avec l’aide des soldats qui venaient encore une fois des provinces vers les frontières pour assurer la défense, ne renversa pas la Convention, mais réclama le rappel des vingt-deux députés de la Gironde considérés comme “ infidèles au peuple ”. Assignés à résidence et non emprisonnés, plusieurs de ces vingt-deux prirent la fuite au lendemain de cette nouvelle révolution, et choisirent de rallier la contre-révolution royaliste qui accompagnait maintenant la guerre aux frontières par la guerre civile.
À partir des 31 mai-2 juin 1793, ce furent les propositions politiques de la Montagne qui furent soutenues par la majorité de la Convention, jusqu’au 9 thermidor an II-27 juillet 1794.

1. La Constitution de 1793
constitution de l'An I

La première initiative de la Convention montagnarde fut de s’atteler sans attendre à la Constitution. Les 23 et 24 juin, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen rétablissait les droits naturels dans la continuation de celle de 1789 et la Constitution instaurait une république démocratique et sociale. Précisons que la loi martiale fut solennellement supprimée le 23 juin, avec tous ses compléments, y compris la loi Le Chapelier.
Le suffrage universel masculin était ouvert à tout homme de 21 ans né en France et à tout étranger vivant sur le territoire de la république, depuis au moins un an, et désirant être citoyen. La citoyenneté était attachée au fait d’habiter là. Notons que cette définition ouverte de la citoyenneté s’inspirait du droit des habitants des communautés villageoises qui le transmirent aux villes. Ainsi, la coutume de Paris reconnaissait les droits de citadin à toute personne habitant Paris depuis un an et qui en faisait la demande.
Ces dernières années, on a beaucoup reproché à cette Révolution d’avoir négligé, si ce n’est refusé, les droits de citoyenneté aux femmes. Notons que cet important problème d’égalité en droits politiques n’est toujours pas résolu de nos jours, même dans un pays comme la France qui, rappelons-le cependant, n’a reconnu le droit de vote aux femmes qu’en 1946, soit très tardivement dans le XXe siècle. Mais en ce qui concerne la Révolution, nous savons que le problème a été posé dès 1789, par exemple dans la Société fraternelle des deux sexes, et plus tard dans des sociétés de femmes comme celle des Républicaines révolutionnaires. Que le problème ait été posé, voilà qui est remarquable.
En ce qui concerne les pratiques de la citoyenneté, il faut distinguer entre la participation aux votes et l’éligibilité aux fonctions de responsabilité. Nous avons déjà noté que les femmes participaient, et votaient, aux assemblées primaires et aux assemblées générales des communes villageoises et urbaines lorsque ces dernières étaient populaires. Car il est avéré que l’appartenance de classe est ici décisive : les femmes du peuple participaient aux assemblées primaires, mais pas les femmes des classes supérieures. Par distinction de classe ? L'exclusion des femmes aurait-elle accompagné cette distinction de classe supérieure ?
L’exclusion des femmes s’effectuait au niveau de l’éligibilité aux fonctions de responsabilité. La question à examiner ici est celle de la conscience des femmes elles-mêmes, car on ne connaît aucun exemple de femme élue à un poste de responsabilité, ne serait-ce que présidente de séance à une assemblée générale de section. Seules les sociétés de femmes expérimentèrent ces fonctions entre elles. Mais il est aussi important de noter que les Républicaines révolutionnaires n’ont pas réclamé l’éligibilité des femmes aux fonctions de responsabilité, mais revendiquèrent en premier lieu l’armement des femmes, à l’égal des citoyens, comme formation nécessaire à leur conquête des droits politiques, et s’entraînèrent à des exercices militaires.

2. Le principe de la destruction entière du régime féodal est appliqué

La première initiative montagnarde fut de répondre enfin favorablement au mouvement paysan en mettant en application immédiatement une législation agraire. Le Comité des droits féodaux devint une section du Comité de législation ; on y retrouve Mailhe qui se remit au travail.
Loi du 3 juin : la vente en petits lots des biens nationaux (biens d’église et biens des émigrés) fut facilitée de façon à favoriser les petits acquéreurs. La loi du 13 septembre 1793 prévoyait de distribuer des bons de 500 livres pour permettre aux indigents d'acheter un lopin de subsistance.
La loi du 10 juin 1793 reprenait celle du 28 août 1792 en ce qui concerne les biens communaux reconnus comme propriété des communes. Les communaux usurpés par les seigneurs depuis 40 ans furent restitués aux communes, ainsi que tous les triages effectués depuis 1669.
La loi du 17 juillet mettait en application la suppression sans rachat du domaine des censives et assimilés selon la précision suivante : tout bail entaché de la moindre terminologie féodalo-seigneuriale relevait de l'application de la loi. C'est ainsi que des terres louées en fermage ou en métayage furent considérées comme des censives et données aux preneurs.
La destruction des châteaux fortifiés et le brûlement des titres de propriété des seigneurs sur les censives furent légalisés par la loi du 6 août suivant. Les titres de propriété des seigneurs, qui n'avaient pas déjà été brûlés à l'occasion des jacqueries précédentes, devaient être remis dans les trois mois aux municipalités, pour être détruits.
Enfin, le partage égal des héritages entre les héritiers des deux sexes, y compris les enfants naturels, fut institué par la loi du 26 octobre 1793.
L'application de cette législation se faisait au niveau de la commune, de la façon décentralisée prévue par la Constitution : en effet, les autorités municipales, cantonales, les directoires de districts et de départements étaient élus par les citoyens. La restitution des communaux usurpés pouvait se faire par simple arbitrage, procédure efficace et rapide : chaque partie choisissait ses arbitres qui se rencontraient et appliquaient la loi. La sentence arbitrale était sans appel.
Aucun gouvernement ultérieur, aussi restaurateur de l’ancien régime se voulut-il, n’osa toucher à la loi du 17 juillet ni à la récupération des communaux. Plus de la moitié des terres cultivées furent ainsi allodialisées en faveur des paysans et le caractère collectif de la propriété communale légalisé en France. Il y eut bien une véritable réforme agraire en faveur des paysans et de la communauté villageoise.
La proposition que la paysannerie avait faite de partager la seigneurie avait effectivement été réalisée et la résistance des seigneurs finalement brisée. La destruction du régime féodal correspondait à la conception que les censitaires s'en était faite. En Angleterre, la suppression de la féodalité ne s'était pas faite de cette manière, on l'a vu, car c'était la gentry qui l'avait conçue et mise en pratique : ainsi le domaine des censives et les communaux passèrent dans la réserve, au profit donc de cette gentry.
gravure de Laignet

Cependant, en France, la réserve avait été laissée aux ci-devant seigneurs, que nous appellerons maintenant propriétaires fonciers puisque la qualité de noble, et celle de seigneur, avaient été abolies entre 1789 et 1793. En Angleterre, la qualité de seigneur finit par disparaître, non celle Lord.
En France, les propriétaires fonciers louaient donc leurs terres en fermage et en métayage. C'est le sort des métayers qui nous intéresse ici.
La géographie des jacqueries révèle que les régions de l'Ouest où dominait le métayage le plus pesant y participèrent au même titre que les autres. Précisons rapidement ce que signifie un métayage pesant. Dans cet Ouest donc, des régions entières ne connaissaient plus d'autres formes d'exploitation agricole que ces métairies qui avaient remplacé le village primitif maintenant déserté. Le détail des baux écrits de métayage nous apprend que le seigneur qui avait racheté les anciennes censives pour les incorporer à sa réserve, avait maintenu les anciens droits. Le métayer devait ainsi payer la dîme à l'Eglise catholique, les droits féodaux des anciennes censives, l'impôt royal, en plus du bail de métayage proprement dit, qui était à mi-fruit. On aperçoit que la charge était bien pesante !
Des révoltes spécifiques de métayers se produisirent. Une des mieux connues est celle d'Issy L'Evêque, soumis à la seigneurie de l'évêché d'Autun, dont les métayers s'organisèrent et rédigèrent leurs doléances. Ils participèrent activement à la Grande Peur qui connut, dans le Mâconnais, une des plus impressionnantes jacqueries de l'histoire. En octobre 1789, les habitants d'Issy élirent un Comité municipal qui adopta un code d'administration publique, forma une garde nationale, un grenier d'abondance pour les subsistances, et "codifia" les baux de métayage.
Les métayers demandaient que les salaires que méritent les travaux du cultivateur soient pris en considération au même titre que les propriétés. Pour réaliser cet objectif, un contrôle public devait s'exercer afin de protéger les parties contractantes, et c'était le conseil municipal qui s'en chargeait. Cette expérience fut combattue et interrompue en 1790, mais d'autres la relayèrent.
Les métayers ne réclamaient donc pas un partage des terres en propre, mais la reconnaissance des salaires que méritaient leurs travaux et un partage des charges entre le propriétaire et le métayer. De façon générale, ils luttèrent pour obtenir une transformation de leurs baux et en particulier, le respect d'un bail véritablement à mi-fruit. Cela signifiait que le montant des rentes qu'ils payaient au seigneur devait baisser. Ils luttèrent pour que la suppression de la dîme, des impôts royaux et des droits féodaux qui étaient à leur charge, soit supprimés de leur bail.
On notera que les censitaires comme les métayers avaient une conception politique éclairée par les nécessités sociales d'un partage des richesses entre les classes. Ni les censitaires, ni les métayers ne voulaient l'élimination de l'autre pour s'accaparer ses biens, mais ils proposaient un partage des richesses permettant de faire vivre tout le monde.
Qu'un tel projet soit devenu difficilement audible au fil du temps n'empêche qu'il fut l'expression du mouvement paysan de cette époque. Il est vrai que l'histoire nous invite à faire l'effort de comprendre des conceptions, des mentalités, des sensibilités que nous avons sans doute ignorées, oubliées ou méprisées. C'est précisément cet effort de re-compréhension qui en fait l'intérêt.
La résistance des seigneurs dans l'Ouest fut particulièrement forte. Lorsque la dîme payée à l'Eglise catholique fut supprimée, avec la nationalisation des biens du clergé le 2 novembre 1789 et la constitution civile du clergé du 3 janvier 1791, les seigneurs de métairies continuèrent de la faire payer par leur métayer et cette fois à leur profit ! L'injustice était criante, car avec ces dîmes, l'Eglise était censée financer des charges à caractère social, comme l'enseignement et les Hôpitaux. Et le propriétaire en profitait pour accroître ses rentes !
La même chose se produisit avec la suppression des droits féodaux. Les propriétaires les maintinrent dans le bail et provoquèrent des révoltes spécifiques de métayers.

La Convention montagnarde vota la suppression de la dîme et des droits féodaux dans les baux de métayage le 1er brumaire an II-22 octobre 1793. Mais les métayers continuaient de se plaindre car les propriétaires se refusaient à le faire tant que le montant du bail lui-même n'était pas modifié par la loi. En effet, les propriétaires supprimaient les rubriques, mais augmentaient globalement le montant des rentes. La proposition de légaliser un bail véritablement à mi-fruit avait été faite par les métayers et des députés, mais elle ne vit pas le jour sans que l'on en connaisse encore les raisons, par manque d'études.
Dans les régions où les propriétaires de métairies étaient les plus forts, il apparaît que les métayers n'ont rien obtenu de la révolution et ont subi un acharnement judiciaire de la part de la contre-révolution des propriétaires rentiers qui semble s'être prolongé jusque tard dans le XIXe siècle (Massé).

3. Comment mettre fin à la Guerre du blé ? Par la réforme agraire !

Le troisième grand problème que la Convention montagnarde eut à résoudre fut celui des subsistances. Un programme dit du Maximum des prix des denrées de première nécessité fut organisé durant l’été 1793 et vint compléter la législation de réforme agraire qui, on l’a aperçu, facilitait l'accès à la terre, distribuait des lopins de terre aux paysans pauvres et favorisait les petites et moyennes exploitations agricoles afin d’accroître la production directe des subsistances.
En septembre 1793, la liste des denrées de première nécessité fut établie : on y trouvait des subsistances et des matières premières nécessaires aux artisans pour leur permettre de continuer de produire, comme les cuirs, les bois, les lins et laines etc… Les prix des denrées et les bénéfices commerciaux étaient fixés par rapport aux salaires urbains et ruraux, de façon à empêcher les spéculations à la hausse des prix responsables des troubles de subsistance et des poussées de mortalité par malnutrition ou inanition. Les salaires furent relevés d'un tiers pour corriger la dévaluation de l'assignat. Les marchés furent réorganisés avec la création de greniers publics créés dans chaque commune afin d'assurer le ravitaillement, et sous le contrôle du pouvoir municipal. À cet effet, les producteurs devaient déclarer aux communes le montant de leur production, de façon à ce que les réserves disponibles soient connues, et la fourniture des marchés se faisait par réquisitions.
La Convention montagnarde avait pris des mesures sérieuses pour trouver des solutions à la misère et prévoyait d'offrir des lopins de terre à ceux qui pouvaient travailler et des secours publics à ceux qui n'étaient pas en état de travailler. La législation agraire prenait toute sa place dans ce programme et prévoyait, en juin 1793, de réserver une part des biens nationaux aux paysans pauvres et sans terre en facilitant leur vente en petits lots, puis des bons de 500 livres avaient été distribués aux indigents pour acheter des lots.
La loi du 10 juin 1793 proposait le partage de communaux cultivables, dans le même but. Cette loi était très favorable aux paysans les plus pauvres, puisqu'elle prévoyait qu'une telle décision serait prise par les habitants des communes à une majorité d'un tiers des votants seulement. Toutefois, d'après les études existantes, le nombre de partage des communaux a été très faible dans les régions de plaine où leur raréfaction posait de multiples problèmes : les communaux étaient exceptionnellement en état d'être cultivés et leur maintien sous forme de pâturages s'avérait indispensable à l'ensemble des exploitants agricoles.
Les décrets des 8 et 13 ventôse-26 février et 3 mars 1794 proposés par Saint-Just décidaient de distribuer les biens des suspects aux indigents (J.P. Gross). La proposition fut votée et son application commençait lorsque l'arrestation de ceux que l'on allait appeler les robespierristes, le 9 thermidor an II-27 juillet 1794, interrompit l'expérience.
l'arrestation de Robespierre

Saint-Just avait, par ailleurs, attiré l'attention sur le problème que posait la dévaluation de l'assignat, en soulignant que les producteurs désertaient les marchés parce qu'ils répugnaient à être payés en monnaie dévaluée. Il proposa un plan de réévaluation de l'assignat en détruisant l'équivalent en papier-monnaie du montant de la vente des biens nationaux. La Convention montagnarde parvint à arrêter la dévaluation de l'assignat, mais là encore, le 9 thermidor mit brutalement fin à l'expérience d'assainissement des finances.
Dans les faits, la liberté illimitée du commerce des grains était supprimée ainsi que son moyen d’application, la loi martiale. Tant que la politique du Maximum fut appliquée, et elle le fut jusqu’à l’automne 1794, la population fut ravitaillée en produits de première nécessité, nourriture et matières premières nécessaires aux artisans.

4. Gouvernement révolutionnaire et démocratie

Le gouvernement révolutionnaire, nom donné à partir du 10 octobre 1793, par la Convention, à une forme précise de gouvernement, est devenu au XXe siècle l’objet des plus folles interprétations.
Le 9 thermidor, les thermidoriens accusèrent Robespierre, en l’isolant comme bouc émissaire, d’aspirer à la dictature et répandirent la calomnie surprenante selon laquelle il voulait épouser la fille de Louis XVI et rétablir la monarchie ! Mais ce fut au tournant des XIX-XXe siècles que l’aspiration à la dictature devint, dans l’historiographie, une dictature effective. C’est de cette même époque que datent des théories politiques favorables à l’établissement de dictatures, à gauche comme à droite. On vit alors accolé au gouvernement révolutionnaire le terme de dictature, les marxismes léniniste, puis stalinien et autres la qualifiant positivement. Dans les années 1950-60, des historiens non marxistes conservèrent le terme de dictature et le qualifièrent négativement. Dans les années 1970, on vit même des philosophes, ou prétendus tels, affirmer que la Révolution française aurait été la matrice des totalitarismes, au pluriel, du XXe siècle ! Il fallait un génocide, on en inventa un : la Vendée, guerre civile régionale entre révolution et contre-révolution, devenait un génocide franco-français ! La confusion était à son comble…
Un retour aux faits est pourtant possible ! Du 10 août 1792 à 1795, le pouvoir législatif fut effectivement le pouvoir suprême en France, selon les objectifs de la théorie de la Révolution exposés dans les deux Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et de 1793. La Constitution de 1793 établit une centralité législative, selon laquelle le corps législatif, formé d’une seule chambre, faisait les lois communes. Le pouvoir exécutif fut décentralisé, l’application des lois se faisant au niveau de la commune par un conseil municipal élu. De plus, les instances communales exerçaient une réelle autonomie locale, comme nous l’avons déjà aperçu.
Le 10 octobre, sur rapport de Saint-Just et de Billaud-Varenne, la Convention votait l’établissement du gouvernement révolutionnaire jusqu’à la paix. De quoi s’agissait-il ? Le corps législatif faisait toujours les lois. Cette révolution dans le gouvernement consista à soumettre les agents élus de l’exécutif qui restait décentralisé à une responsabilité imposante, en les obligeant à rendre des comptes de leur administration tous les dix jours, à l’instance supérieure (commune, canton, district, département) qui transmettait aux ministères par correspondance. Les agents de l’exécutif qui ne faisaient pas connaître les lois ou qui empêchaient leur application étaient destitués et remplacés par de nouveaux élus.
Pourquoi ce Gouvernement révolutionnaire ? Un exemple nous permettra de saisir la nature du problème à résoudre. On se souvient que la législation détruisant entièrement le régime féodal avait été votée en août 1792. Mais, l'application de cette législation avait été empêchée par une volonté politique contraire. La législation existait bien, mais elle n'était pas appliquée. Le pouvoir législatif avait donc été à la hauteur de la Révolution en répondant favorablement au mouvement paysan, mais le pouvoir exécutif refusait de passer à l'acte. Il fallut donc une nouvelle révolution pour contraindre le pouvoir exécutif à appliquer les lois. Ces lois furent complétées en juin et juillet 1793 et le Gouvernement révolutionnaire fut établi en octobre suivant pour contrôler étroitement les instances décentralisées qui appliquaient la loi, c'est-à-dire vérifier qu'elles le faisaient bien. Dans le cas contraire, la Convention envoyait des députés en mission enquêter sur les difficultés, puis rentrer à la Convention exposer le problème afin que le pouvoir législatif règle le problème par les lois. 
Ajoutons que le Comité de salut public, créé le 6 avril 1793, formé de députés élus chaque mois par la Convention, était responsable devant elle. Le rôle de ce Comité était de proposer des mesures de salut public à la Convention qui, seule, décidait, et d’exercer le droit de contrôle du législatif sur les ministères.
Ainsi, la Constitution de 1793 fut bien appliquée sous la Convention montagnarde en ce qui concerne l’organisation du pouvoir législatif. Par contre, le gouvernement révolutionnaire modifia l’organisation constitutionnelle du pouvoir exécutif qui prévoyait l’élection des ministres. Nous pouvons alors préciser que, contrairement aux idées reçues, la Constitution de 1793 fut largement appliquée sauf en ce qui concerne cette élection des ministres à la tête de l’exécutif.
Il y eut violence et répression, mais il n’y eut pas pour autant dictature. La contrainte a effectivement été pensée comme nécessaire pour établir le droit et la justice et combattre la contre-révolution. En ce qui concerne la révolution paysanne, nous avons précisé la nature et les moyens de la contre-révolution féodalo-seigneuriale. La législation qui détruisait entièrement le régime féodal, par exemple, était une réelle libération pour les paysans, mais une abominable contrainte pour le seigneur qui perdait une partie de ses rentes. Sa résistance fut en effet un objet de la répression révolutionnaire. Là aussi, gardons raison, la répression légale fut modérée. Le Tribunal révolutionnaire, créé le 10 mars 1793 et supprimé le 31 mai 1795 (26), a jugé 5.215 affaires, prononcé 2.791 condamnations à mort et 2.424 acquittements (27). Modération n’est pas justification, mais reconnaissons que les bains de sang ne furent pas une réalité de cette époque.
Il importe cependant de chercher à comprendre ce que cette Révolution a tenté de frayer, au milieu des plus grands dangers : l’avancée des droits de l’homme et du citoyen dans le fonctionnement très réel d’institutions civiles où le pouvoir législatif fut effectivement le pouvoir suprême et les agents de l’exécutif furent responsabilisés. Avancée des droits de l’homme dans le remise en cause sans cesse tentée et réfléchie de la répression, comme Saint-Just le proposa dans les décrets de ventôse en supprimant la peine de mort elle-même. La question centrale a été posée par Jean-Pierre Faye : “ Comment se peut-il que le temps de la Terreur, répression s’il en fut, est en même temps, et contradictoirement, fondation des libertés anti-répressives d’occident ? ”

Conclusion

La Révolution en France a été indéniablement une révolution paysanne dans son origine, dans son développement, dans son rythme. Ce caractère paysan est sensible dans la législation agraire qui en a transmis l'esprit dans le droit révolutionnaire lui-même, mais aussi dans la re-création d'une démocratie sociale avec participation effective du peuple à l'élaboration de la loi, ce que l'on appelait alors la souveraineté populaire.
Ce que le 9 thermidor, qui mit fin à la Convention montagnarde, fit perdre immédiatement, ce fut cette expérience de démocratie des droits de l'homme et du citoyen à laquelle le mouvement paysan avait largement contribué en œuvrant à l'élaboration de la notion de droit à l'existence et à sa réalisation.
Mais ce qui a été maintenu contre toutes les tentatives les plus folles a bien été la législation agraire qui détruisit entièrement le régime féodal en faveur des censitaires et reconnut les biens communaux aux communes. Ajoutons que même après le démantèlement de la politique du maximum par la réaction thermidorienne, aucun gouvernement n'osa plus abandonner le marché des grains et du pain à ce capitalisme de spéculation auquel les économistes avaient voulu croire depuis les années 1760. Dès l'Empire, le pain fut taxé et le ravitaillement des centres urbains fut assuré par des mesures gouvernementales. En dehors de quelques périodes de disettes réelles, les troubles de subsistance suscités par des spéculations disparurent. Les gouvernements, même libéraux, avaient été éclairés par la succession de ces expériences désastreuses des politiques de liberté illimitée du commerce des grains.
Ces conquêtes paysannes se sont traduites de façon significative par un arrêt de l'exode rural qui dura jusqu'en 1850 environ, et de façon concomitante, par une occupation du sol qui connut son maximum à la même époque.
Les schémas d'explication qui jusque-là faisaient la part belle au postulat selon lequel la grande culture serait le cadre naturel, ou la voie unique, du développement du capitalisme, si ce n'est du développement tout court, tandis que la petite culture serait condamnée à une routine passéiste, ne résistent plus au constat de leur coexistence. Grande et petite culture se révèlent tour à tour novatrices ou archaïques et, de ce point de vue, sans supériorité décisive de l'une sur l'autre. Sauf sur un point, si l'on prend en considération la nécessité de faire vivre la masse innombrable de ces millions de paysans. Or, c'était bien le cas à l'époque de la Révolution : la pression démographique de ce pays très peuplé qu'était la France orientait la réflexion et l'action vers une économie politique populaire, sociale et démocratique dont nous avons tenté de cerner les caractères originaux et dont l'objectif central fut indéniablement de restituer leurs droits et leur dignité humaine à ces êtres qui luttaient pour leur liberté depuis des siècles.

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