Ce célèbre épisode de l'histoire du jansénisme (raconté ici par le psychiatre Adrien Borel) donna bien du grain à moudre à tous ceux qui, comme Voltaire, dénoncèrent l'obscurantisme religieux de leur temps.
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Le 29 février 1732, lit-on dans une chronique du XVIIIe
siècle, les habitants du quartier Saint-Marcel à Paris étaient réveillés dès
quatre heures du matin par le pas des chevaux. Un fort parti du guet à cheval,
dirigé par le lieutenant de police Hérault lui-même avançait sabre au clair et
venait se poster devant le petit cimetière de Saint-Médard afin d’en clore la
porte. Nulle résistance ne se manifestait à cette heure matinale. En sorte
qu’il pouvait paraître au moins bizarre de déranger une troupe aussi nombreuse
pour une si mince besogne. Un homme seul y eût bien suffi. Mais ce n’était pas
la simple porte d’un pauvre cimetière que le guet venait ainsi condamner.
L’affaire était d’importance : car dans ce cimetière reposait la dépouille
mortelle d’un humble diacre, François de Pâris, en qui la rumeur publique
voulait voir un saint. Et il ne s’agissait de rien moins que de soustraire sa
modeste tombe à l’enthousiasme de la foule.
Il y avait à cette époque déjà près de cinq ans que le
diacre Pâris était mort après une vie toute d’austérité et de piété ardente. Et
certes, rien dans cette existence consacrée à l’humilité et à la pénitence,
n’aurait pu faire pressentir l’étonnante aventure qui devait se développer
après sa mort.
François de Pâris, diacre proche des jansénistes |
Sans doute ses mérites avaient été si grands qu’on pouvait le
regarder comme un saint, et le vénérer comme tel. Sans doute aussi la piété
populaire pouvait aimer à venir prier sur son tombeau. Ce n’eût point été là
cause suffisante pour inquiéter le pouvoir royal. Or, il fallait bien que
celui-ci eût pris quelque inquiétude pour envoyer le guet à cheval fermer, au
nom du Roi, le cimetière où reposait le bienheureux. Car l’on n’arrache pas
ainsi un saint à la ferveur populaire. Nul n’eût voulu se charger d’une
pareille action et moins que tout autre un roi très chrétien comme
l’était le roi de France. Or, ce n’était un mystère pour personne que le diacre
Pâris avait ses détracteurs, ses ennemis acharnés. N’avait-il pas été un ardent
janséniste ? Et n’était-on pas justement à l’époque la plus aiguë de la
querelle qui séparait l’Eglise de France ? L’exaltation religieuse était à
son comble. Le pape Clément XI avait promulgué la bulle Unigenitus, à laquelle
un certain nombre de prélats n’avaient pas craint de résister. Tous les jansénistes
étaient derrière eux et en appelaient à un concile universel : d’où le nom
d’appelants qui leur fut donné. Les Jésuites, au contraire, se dressaient en
défenseurs du pape et de la vraie foi, et c’était une lutte sans merci entre
eux et les appelants.
L’extraordinaire piété suscitée par la vie édifiante de
Pâris n’était point faite pour servir leur cause. Les Jansénistes, au
contraire, triomphaient, ce qui ne pouvait qu’envenimer la querelle, et pousser
à son comble l’exaltation religieuse suscitée chez ces derniers par la fameuse
bulle papale. Il est probable que ce vaste état passionnel qui prenait un peu
toutes les classes de la population, eut une large part dans les évènements qui
suivirent. On peut affirmer même qu’il en favorisa l’éclosion, qu’il la
provoqua peut-être en préparant les esprits, en les mettant dans un état de
surexcitation tel que les phénomènes dont Saint-Médard devait être le théâtre,
allaient leur apparaître d’emblée comme une manifestation divine.
Car depuis la mort du diacre, l’humble pierre qui
l’abritait dans le petit charnier opérait des miracles. Et de tous côtés les
malades étaient venus qui s’en étaient retournés guéris ou qui avaient cru
l’être. En fallait-il davantage pour passionner l’opinion ? Et même de nos
jours quand un fait miraculeux est signalé, ne voyons-nous pas accourir de
toutes parts un peuple avide de merveilleux, tout prêt à croire et à
admirer ?
les convulsionnaires jansénistes du cimetière St-Médard |
On pourrait penser alors, comme l’ont fait plusieurs des
biographes du diacre, hommes pieux certes, mais surtout bons Jansénistes, que
ce furent précisément les miracles de Saint-Médard qui, en motivant la colère
des Jésuites, finirent par amener le roi à fermer le cimetière. L’exploit d’un
Janséniste, même mort, déclarait-on, portait une ombre insupportable à la Congrégation
et risquait de lui enlever de nombreux partisans. Encore une fois, il est
vraisemblable que Louis XV ne se fût point laissé arracher son ordonnance pour
si peu : il y avait autre chose. Depuis quelques mois la tombe du
bienheureux ne se bornait plus à des miracles. Elle était devenue la source de
phénomènes bizarres, étranges, extraordinaires, tellement extraordinaires que
le bruit s’en répandait dans toute la ville et qu’un grand concours de
peuple entourait chaque jour Saint Médard. Et chose plus étonnante encore, ces
faits étranges d’abord limités à un très petit nombre de fidèles s’étendaient
maintenant à la manière d’une épidémie. Des dizaines des centaines de personnes
y étaient prises, excitant ainsi l’étonnement et l’admiration. De toutes parts,
malades, fidèles, curieux, douteurs ou convaincus se pressaient vers le
quartier Saint-Marcel et l’on racontait que des scènes pour le moins
hallucinantes s’y passaient. On disait même à demi-mots que ces spectacles
n’étaient pas sans quelque inconvenance et qu’ils déshonoraient une terre
chrétienne.
On comprend mieux alors le geste de Louis XV. Et quand avec
le recul du temps, on étudie dans le détail la surprenante aventure qu’était
devenu le pieux pèlerinage du début, on ne peut manquer d’approuver la sagesse
du roi.
Le cimetière Saint-Médard fut donc fermé et ses fidèles
dispersés. Mais il était déjà trop tard. Sur la porte close par ordre du roi,
une main inconnue écrivit ce distique qui fut fameux le soir même à
Paris :
« De par le Roi défense à Dieu
« De faire miracle en ce lieu ».
Le roi fut écouté. Il n’y eut plus de miracles à
Saint-Médard puisqu’aussi bien on ne pouvait y accéder. Seulement le miracle se
déplaça et se transporta dans tout Paris, où pendant dix ans, de 1732 à 1742,
ses manifestations défrayèrent la chronique et continuèrent de passionner l’opinion.
(à suivre ici)
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