Ce
célèbre épisode de l'histoire du jansénisme (raconté ici par le
psychiatre Adrien Borel) donna bien du grain à moudre à tous ceux qui,
comme Voltaire, dénoncaient l'obscurantisme religieux de leur temps.
***
Et les miracles commencèrent. Je
vous rapporterai le premier. Il eut lieu le jour même des obsèques du diacre.
Une vieille femme, Madeleine Beignet, fileuse de laine, qui avait un bras
paralysé, vint s’agenouiller devant le lit mortuaire. Plusieurs fois, elle
avait rencontré Pâris, soit dans la maison où elle demeurait et où il venait
voir des indigents, soit encore à la paroisse. Elle l’avait toujours considéré
comme un saint. Apprenant sa mort, apprenant surtout les traits éclatants de
vertu que la foule racontait sur lui, apprenant enfin que chacun se disputait
comme de saintes reliques les objets qui lui avaient appartenu, elle résolut
d’aller, comme tant d’autres, prier autour de son corps, se disant que puisque
cet homme avait vécu comme un saint et que jusqu’à ce jour, elle n’avait point
obtenu sa guérison malgré qu’elle eût invoqué bien des fois la puissance
divine, peut-être Dieu la lui accorderait si le la lui demandait par son
intercession, Etant arrivée au moment où l’on apportait la bière, elle
s’approcha du corps, se mit à genoux pleine de confiance, et elle embrassa les
pieds du défunt : bientôt elle se relevait guérie.
N’était-ce point là la marque
certaine de la sainteté que ce miracle accompli avant même la mise au tombeau ?
Et l’on ne pouvait qu’admirer la promptitude du ciel à répandre ses bienfaits
en l’honneur de ce fils qu’il accueillait sans doute en grande pompe. Ce fut
aussi comme une traînée de poudre. Dès le lendemain, le cimetière ne
désemplissait plus et naturellement les Jansénistes étaient les plus ardents à
venir prier autour de la dépouille de celui qu’ils appelaient déjà leur saint.
Et d’ailleurs, les miracles continuaient. Sans doute, souvent furent-ils plus
discrets que ce premier que je vous ai décrit. On vit se tarir des ulcères, des
abcès se cicatriser, des tumeurs du sein se dissoudre, des paralysies
disparaître, etc., etc. Et tous ces miracles furent certifiés par de nombreux
témoins. Il serait certainement intéressant d’en reprendre la description et de
faire la critique des procès-verbaux qui les authentifient, mais cela ne serait
peut-être pas très généreux. Etaient-ce de vrais miracles ? Les pieux pèlerins
de Saint-Médard furent-ils vraiment guéris ou bien, comme on l’a dit, le
crurent-ils tout simplement ? Qu’importe; il ne m’appartient pas de trancher
cette question qui d’ailleurs souleva, à l’époque même, mille polémiques qui s’envenimaient
du conflit toujours aigu des Jésuites et des Jansénistes. Le doux Pâris
était-il un faux saint faisant de faux miracles ? C’était au fond la thèse des
Jésuites qui admettaient mal la possibilité d’un saint janséniste. Ou bien,
tout au contraire le Ciel l’avait-il reçu en béatitude, c’était le sentiment
populaire et c’était aussi le sentiment de tous ceux qui combattaient la bulle
Unigenitus, c’est-à-dire de tous les appelants.
Les choses sans doute en seraient
restées là et n’auraient guère dépassé le cadre des disputes théologiques, ou
d’un épisode de la lutte entre les Jésuites et les Jansénistes, si brusquement
et sans doute, grâce au déchaînement de l’exaltation toujours accrue, si
brusquement donc, au milieu de la piété ardente certes, mais sincère des
pèlerins de Saint-Médard, n’avait surgi un phénomène nouveau qui n’allait pas
tarder à transformer de fond en comble le petit cimetière aux miracles. Le
phénomène d’ailleurs se produisit d’abord comme avec une certaine timidité.
Plusieurs malades, et principalement des jeunes filles, venues auprès du
tombeau et qui naturellement s’étendaient sur la table de pierre qui le
couvrait avaient eu de légers soubresauts et même quelques mouvements nerveux.
Etait ce là le prodrome des grands accès convulsifs que l’on allait voir par la
suite ? Etait-ce comme un premier essai de la grande névrose qui fermentait et
n’attendait qu’une occasion pour se manifester ? Peut-être. Chacun sait
d’ailleurs qu’autour des foyers miraculeux, les névropathes de tous ordres se
pressent toujours au premier rang, Plus que les autres, ils ont besoin de
merveilleux. Ils l’appellent à leur secours, ils l’invoquent et plus encore
sans doute, à cette époque où les névroses apparaissaient comme relevant d’une
origine mystérieuse et restaient le plus souvent tragiquement incurables. Au
Moyen-âge, elles conduisaient parfois même au bûcher. Le XVIIIe siècle était
déjà trop rationnel, à Paris au moins, pour avoir de ces cruautés, mais mille
superstitions flottaient encore dans l’esprit des foules. Et d’ailleurs n’en
reste-t-il pas encore même aujourd’hui ?
Et puis, ce saint si discuté,
contre lequel tenaient les Jésuites, ce saint qui allait être persécuté après
sa mort, ce saint donc représentait, par l’exemple même que proposait sa vie,
la plus riche matière à exaltation. Il avait été pauvre parmi les pauvres et il
avait souffert. Pour obtenir son intercession, ne fallait-il pas vivre à son
image, ne fallait-il pas surtout souffrir comme lui ? Et peu à peu, cette idée
mystique de la souffrance salvatrice s’infiltrait dans les esprits. Cette idée
d’ailleurs est au fond du jansénisme, dont Pâris devait apparaître comme une
des plus hautes individualités. Et les appelants accouraient en foule,
assoiffés de pénitence et d’austérité. La mystique morbide qui allait bientôt
déborder s’élaborait. Une fureur pieuse s’allumait qu’exacerbaient chaque jour
davantage les luttes théologiques. Il fallait que le saint montrât sa
puissance. Il fallait qu’il confondît ses ennemis. Certes, il avait déjà fait
des miracles ; il fallait maintenant qu’il fit mieux. On y comptait, on
l’espérait, on en était sûr. Des oraisons et des cantiques alternaient autour
du tombeau. Les foules rassemblées s’exaltaient par la prière en commun, par
les appels unanimes au fait éclatant qui convaincrait les incrédules. Un
sentiment collectif d’une puissance inouïe unissait tous les fidèles. Le milieu
était créé, et la grande névrose n’attendait plus qu’une occasion pour se
manifester : elle le fit en juin 1731 et presque du premier coup atteignit sa
pleine intensité. La grande aventure commençait.
Un jour donc de ce mois de juin,
un infirme obscur et dont on n’a pas conservé le nom, vint implorer le tombeau
révéré. Il s’était couché sur la table de marbre comme avaient coutume de le
faire les pieux pèlerins de Saint-Médard. Brusquement, ses membres furent
violemment secoués par des attaques convulsives. Il s’agitait et se tordait sur
la pierre en poussant des cris inarticulés. La foule regardait avec stupeur ce
spectacle auquel elle n’était pas habituée. Cela dura quelques minutes, Puis
l’infirme se releva et s’étant assis déclara, en reprenant ses esprits,
qu’il était soulagé, et que ses jambes tordues ne lui faisaient plus mal.
L’effet fut énorme. C’était là le
fait éclatant demandé au ciel. Du moins tous l’interprétèrent ainsi. Et dès le
lendemain, pareillement étendu sur le tombeau un autre malade reproduisait la
même attaque. Huit jours après, il y en avait dix ! Il n’y avait plus assez de
place sur la table de marbre. Tout le sol du charnier était, à certains
moments, jonché de convulsionnaires qui, à la fois, se tordaient et se
démenaient en hurlant ou en gémissant. Et ce n’étaient plus seulement des
infirmes ou des malades qui étaient ainsi pris du grand mal, mais même et
surtout des gens en apparence normaux, qui parfois même n’étaient venus là
qu’en curieux. Certes ce devait être un spectacle étrange et qui tour à tour
devait frapper les spectateurs d’admiration ou de terreur. Les prières n’en
étaient que plus ardentes, les chants et les cantiques plus fortement entonnés.
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